Interview / Yvan Bourgnon : "J'ai réussi, mais avec du recul ce n'était pas sérieux…

Yvan Bourgnon à son arrivée à Nuuk © Pierre Guyot

L'aventurier et navigateur Yvan Bourgnon vient de réaliser l'incroyable exploit de traverser le Passage du Nord-Ouest en solitaire, sur un catamaran de sport non habitable. À son arrivée au Groenland, nous avons eu la chance de l'avoir au téléphone pour qu'il nous raconte sa fin de parcours. Il revient pour Bateaux.com sur son aventure et le bilan qu'il en fait et nous donne quelques informations sur ses projets futurs.

Comment se sont passés tes derniers jours de navigation ?

J'ai été plutôt gâté pour terminer ces derniers jours, le temps était au rendez-vous. Le soulagement c'était de plus être tendu… Entre les glaçons, les tempêtes et le froid, j'étais sous tension permanente et j'avais peu de moment pour relâcher la pression. D'avoir pu me détendre sur les 2 ou 3 derniers jours de navigations, c'était agréable.

J'ai réalisé que j'avais eu des conditions exécrables avant, alors que ma traversée de la mer de Baffin jusqu'à Nuuk s'est très bien déroulée. Il y avait toujours le froid, car c'est une constante, mais pas je n'ai pas eu de tempête, il a fait beau. J'ai relâché un petit peu, même si je n'avais plus mon sac de couchage qui s'était envolé quelques jours avant l'arrivée. La nuit on a besoin d'avoir encore plus de couches et là c'était difficile de dormir, car j'avais vraiment très froid.

Quel a été ton moment préféré ?

J'en ai eu plusieurs, mais je crois que ce que j'ai préféré, c'était le passage du détroit du Simpson, avant d'être bloqué par les glaces, et arrêté à Taloyoak. Ce détroit abrite des centaines d'îles et c'était magnifique ! Il faisait beau, la lumière était exceptionnelle, j'ai slalomé entre les îles dans une brise légère et en plus, j'ai vu des baleines !

J'ai eu plein d'autres bons moments même si je pensais savourer plus ce défi qui s'est transformé en calvaire sur la fin.

Et le pire ?

Les vents catabatiques pendant que j'étais au mouillage à Weld Bay, en attendant que s'ouvrent les glaces. À mon arrivée à Nuuk, j'ai recroisé l'équipage du voilier (7 tonnes/23 m) qui était avec moi dans la baie et qui m'a indiqué qu'à ce moment-là, on avait eu 70 nœuds (130 km/h) de vent pendant 4 heures !

Moi, j'étais en catamaran de sport, avec mes 2 ancres métalliques et mes 2 ancres flottantes en pleine nuit noire, entre deux falaises pour entrer dans la mer de Baffin. Si je chavirais, c'était la fin… Tu ne peux pas t'en sortir dans des conditions comme ça et je ne voulais pas vivre ça. C'était un sacré risque et c'est de l'ordre du miracle qu'il ne me soit rien arrivé… Quand j'ai recroisé le voilier, ils ont été surpris de me voir, ils pensait que je n'avais pas survécu à la violence des vents.

Après 3 semaines d'attente, quand j'ai quitté mon mouillage, je savais que ce n'était pas sérieux. Les conditions s'étaient dégradées, la nuit s'était installée plus longuement… Pendant ma navigation dans la mer de Baffin, il y avait des glaçons partout… Jusqu'à 1 km de long. Les gros ne sont pas les plus dangereux parce qu'encore tu les vois, mais les petits qui font 10 m de long, tu ne les vois pas… C'est la roulette russe, soit tu as la chance de passer au travers, soit tu tapes et c'est fini… Ton destin est lié à la chance à ce moment-là !

De retour sur terre, quel bilan/leçon tu retires de cette traversée ?

Finalement, ce défi aurait pu passer comme une lettre à la poste. Il aurait pu se faire en 45 jours, sans glace, sans tempêtes et je serais arrivée en me disant que ce n'était pas facile, mais réalisable. Mais ça a dégénéré… En Alaska, je n'ai pas vu le soleil du tout, j'ai eu de la pluie, du mauvais temps… On m'avait dit que je rencontrerais maximum deux tempêtes et j'en ai eu sept !

Du coup, avec mon retard suite à mon blocage par les glaces, tout mon programme s'est décalé… J'avais prévu d'arriver fin août à Nuuk pour ne pas avoir à naviguer de nuit, mais je ne m'attendais pas à rencontrer autant de glace, de cailloux, des nuits aussi longues… Je me suis retrouvé à naviguer entre les icebergs, dans des creux de 3 à 4 m… ça a été l'effet boule de neige…

Et ça s'est vraiment dégradé… La deuxième moitié de mon parcours, et surtout le dernier tiers, c'était hard ! C'est passé, mais je me dis avec du recul que ce n'était pas sérieux. Quand j'ai tenté pour la 4e fois (au mouillage à Weld Bay) de passer les glaces, je voyais bien que j'étais à la limite de ce qui était réalisable. Et effectivement, en attendant plus, ça risquait de vraiment dégénérer.

Tu ne tires pas la même leçon quand tu fais le tour du monde par les Tropiques et que les conditions ne t'empêchent pas de passer… J'ai frôlé l'abandon plusieurs fois…

Maintenant que tu es de retour sur terre, qu'est-ce qui t'a le plus manqué pendant ton voyage ? Hormis ta femme et ton fils bien sûr.

C'est surtout de ne plus être sous tension nerveuse. Sur mes autres défis, il y avait de la tension dans des moments particuliers alors qu'ici c'était permanent. Et surtout sur la deuxième partie, où je n'ai pas eu beaucoup de répit, ou je pouvais relâcher et me détendre. Et surtout, je n'ai plus à lutter pour rester en vie.

Ton voyage avait également l'objectif de sensibiliser au réchauffement climatique, la mission est réussie ?

On peut en tirer deux leçons : la première sur la pollution et la deuxième sur le réchauffement climatique.

Une étude allemande indiquait la présence de plastique dans l'océan Arctique. Or, avec l'association Sea Cleaner (et la conception d'un bateau pour dépolluer les océans), la pollution plastique me concernait particulièrement. J'avais le souhait de voir de mes propres yeux s'il y avait des déchets plastiques. Or, je n'ai pas décelé la présence de pollution plastique à la surface des océans en Arctique. Les courants n'ont pas encore apporté de pollution dans cet endroit.

Au niveau du réchauffement climatique, j'ai certes été bloqué par les glaces à un moment du parcours… Mais il y a 10 ans, ce parcours était composé à 80 % de glaces. Aujourd'hui, la zone qui m'a bloqué n'a représenté que 20 % de mon parcours et j'ai navigué sur la mer le reste de mon parcours. Il y a 10 ans, je n'aurai pas pu naviguer en solitaire à la voile sur ce parcours.

Quels sont tes projets pour la suite ?

On va sortir un film de 52 minutes sur l'aventure avec Canal + et un livre à l'automne prochain avec les éditions Arthaud. Moi je reprends mon activité avec mon projet Sea Cleaner, qui a pour but de lutter contre la pollution des océans. On devrait pouvoir présenter prochainement les premiers plans du bateau. Cette activité devrait me prendre quasiment tout mon temps l'année prochaine, puisque sur ces 8 derniers mois, j'ai pris beaucoup d'énergie sur l'aspect sportif.

Au niveau de la partie sportive, j'ai envie de continuer l'aventure et de reprendre un peu la compétition et la course au large. En 2016, j'avais fait la Québec – Saint-Malo.

Par contre, ma prochaine aventure se fera sur des grands bateaux. Je ne prendrais plus de risques comme je l'ai fait sur le Passage du Nord-Ouest. L'aventure, ce n'est pas forcément synonyme de danger de mort. Je n'ai rien annoncé pour l'instant, mais je réfléchis sérieusement au projet et je ferais sans doute une annonce avant la fin de l'année.

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