Interview / Vincent Lauriot-Prévost : "Le foil, je crois que l'on ne peut plus s'en passer"

Vincent Lauriot-Prévost

Le Défi Azimut, qui s'est tenu le 22 septembre 2018, était l'occasion de découvrir l'IMOCA Charal sur sa première course. Ce tout nouveau 60 pieds Open avec son design radical et ses foils immense était particulièrement attendu. Et les images parlent d'elles même ! Charal "vole" comme une fusée ! Nous avons voulu en savoir plus sur ce nouveau bateau dessiné par VPLP et l'évolution des foils depuis le Vendée Globe 2016. Réponses de l'architecte naval Vincent Lauriot-Prévost.

Pouvez-vous nous parler de l'évolution des foils depuis 2015 ?

Le foil c'est un projet sur lequel on a commencé à travailler pour le Vendée Globe 2016.

Sur le dernier Vendée Globe, on a conçu des bateaux en imaginant qu'on pouvait mettre des foils dessus. On n'était pas trop surs de la pertinence de ce choix. On a continué à faire ce que l'on savait faire, à savoir, dessiner des bateaux puissants, avec des carènes faites pour développer beaucoup de puissance, sur laquelle on a rajouté des foils. On a d'abord fait une première version, puis une deuxième. Il s'est passé une année et demie pendant laquelle on a hésité à continuer sur cette voie ou à revenir dans une voie plus traditionnelle.

À la deuxième version de foils, on a décidé de continuer dans cette voie.

Quelles étaient les différences entre ces deux versions de foils ?

Avec la première version, on a appris à faire voler, mais on s'est rendu compte que les foils n'étaient pas polyvalents. On avait de gros gains à certaines allures, mais du négatif sur d'autres allures.

Avec la deuxième version de foils, on avait confiance dans le fait que les foils pouvaient être polyvalents et ne pénalisaient pas trop le bateau dans certaines allures.

Qu'a changé le Vendée Globe 2016 ?

Le Vendée Globe est arrivé et on a validé le fait que les foils étaient largement gagnants sur les IMOCA traditionnels.

Ce qui fait qu'on a commencé à réfléchir aux bateaux du Vendée Globe 2020, en concevant le bateau autour de cette option de foils. Ça a impacté la philosophie générale du bateau : la forme de coque, les ballasts, mais aussi les foils en eux-mêmes. On a conçu les bateaux autour des foils alors qu'on construisait des foils sur des bateaux existants. La conception a pris en compte les foils dès le départ.

Pourquoi avoir choisi de grands foils pour Charal ? C'est une évolution logique ?

Le foil c'est efficace et c'est un vrai turbo parce que ça diminue les freins et augmente les performances. Le bateau devait foiler, avec notamment l'objectif de foiler dans des vents médiums alors qu'avant on volait dans des vents forts.

L'objectif pour Charal était de voler dans des vents de 13/14 nœuds. On a donc réalisé une transition sur les foils avec plus d'envergure, plus de puissance pour qu'ils développent 80 % du poids du bateau. Avant c'était plutôt 60 % du poids du bateau.

C'est possible parce qu'on a une meilleure connaissance des matériaux, un retour sur les charges que les foils sont capables de supporter grâce à des enregistrements… On accepte de prendre de la masse et d'avoir des foils deux fois plus lourds qu'avant.

Lorsqu'on n'avait pas de foils, on comptait sur la carène pour développer la puissance du bateau et on acceptait d'être limité à cause de la trainée. Maintenant, avec les foils, la démarche c'est d'avoir des carènes qui ont le moins de trainées possible.

Avant quand on concevait une carène, on la concevait autour du poids du bateau. Aujourd'hui, elles doivent être nettement allégées dans des conditions normales, parce que le foil prend le relai du bateau de 50 à 80 %. Ce n'est plus uniquement la carène qui porte le poids du bateau, mais l'ensemble foil + carène + coque.

Charal est-il un IMOCA de 3es générations, un bateau "volant" ?

C'est le premier IMOCA conçu pour le Vendée Globe 2020 avec, avec un cahier des charges qui stipule que le bateau va naviguer avec des foils. On peut considérer que c'est foiler, puisque le foil a été pris en compte dès les premières réflexions sur la conception. Et il y en aura d'autres après.

Aujourd'hui, le foil a vraiment trouvé sa légitimité ?

C'est un peu la physique du voilier, quel que soit le bateau. On doit trouver l'équilibre entre les forces de poussée des voiles – la force de propulsion — qui s'oppose à tous les freins de la coque dans l'eau et dans l'air.

Avec les foils, on diminue les freins en sortant la coque de l'eau. Elle est donc moins pénalisante en termes de trainées. Mais comme les bateaux vont plus vite, et sortent de l'eau, la trainée dans l'air commence à être de plus en plus importante. Plus les bateaux vont vite, plus ce qui est dans l'air prend de l'importance. Aujourd'hui, on travaille donc pour qu'il y ait le moins de trainées dans l'air. On fait la chasse, aux trainées.

Même si on travaille à réduire la trainée dans l'air, on n'en a pas fini avec les foils non plus parce qu'il a sa propre trainée. On doit améliorer le rendement des foils. On est à l'aube de quelques années de développement pour trouver le foil qui va être le plus efficace, générer le plus d'effet positif pour le moins d'effet négatif.

Quelles sont les évolutions à venir ?

Aujourd'hui, notamment quand on parle d'un bateau Vendée Globe, il faut respecter des règles de jauge. Elles sont contraignantes par rapport aux foils parce qu'on n'a pas le droit d'ajouter des plans porteurs sur les safrans, ce qui permettrait d'équilibrer et de déjauger complètement le bateau. Si on pouvait s'appuyer sur d'autres plans porteurs, ça nous permettrait de voler encore plus. Mais aujourd'hui, comme la jauge l'interdit, on va essayer de s'adapter dans ce sens. À moins qu'elle n'évolue

Pensez-vous que le foil soit la valeur sûre de la course au large et l'avenir de la plaisance ?

Sur l'avenir de la plaisance, je suis mitigé. L'élément prépondérant pour avoir un foil rentable c'est un bateau le plus léger possible pour pouvoir le sustenter. On ne peut pas dissocier le fait que pour extraire un bateau de l'eau, il doit être léger et rapide. L'efficacité des foils fonctionne avec le poids du bateau. Si on parle de bateaux lourds, les foils ne seront pas efficaces, ils traineront plus qu'ils ne sustenteront.

Ça reste donc efficace pour la petite plaisance et sur des déplacements légers, mais sur des déplacements lourds, je suis mitigé.

Après, on peut détourner la fonction même du foil. En course l'important est le facteur de performance. On pourrait imaginer qu'en croisière un peu légère, on pourrait aller chercher la stabilité, le confort et pas seulement la performance pure.

De la même manière, mon associé Marc a beaucoup travaillé sur les ailes rigides, que l'on a découvertes sur la Coupe de l'America. À la base, l'aile est 100 % dédiée à la performance. Lui a repris le concept, l'a détournée pour faire des ailes adaptables aux bateaux de travail, de commerce. Elles permettent de réduire la consommation de carburant. C'est un détournement de ce qu'on étudie et qu'on applique en course, pour la de la performance, à des sujets différents. On peut récupérer d'autres vertus.

Pour résumer, le foil c'est l'avenir ?

Le foil, je crois que l'on ne peut plus s'en passer.

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