Interview / Clarisse Crémer : "Mon premier concurrent, c'est moi-même"

Clarisse Crémer sur le Défi Azimut © Jérémie Lecaudey / BPCE

Clarisse Crémer vient de prendre les commandes de l'IMOCA Banque Populaire X et sera sur la ligne de départ de la Transat Jacques Vabre 2019 avec Armel le Cléac'h. Son objectif  : Terminer et surtout pouvoir prendre la route retour vers la maison en solo !

La découverte de la voile

Si Clarisse Crémer ne vous est pas inconnue, c'est parce que depuis 2016 et sa participation à la Mini Transat, la jeune skipper a beaucoup fait parler d'elle. En 4 ans, elle est passée d'un Mini 6.50 à un Figaro Bénéteau et navigue désormais sur l'IMOCA Banque Populaire X — rien que ça ! — avec un objectif Vendée Globe 2020.

Pourtant, rien ne la prédestinait à se retrouver au cœur d'une classe aussi prestigieuse de la course au large. "Je n'ai pas le parcours classique de voile légère et parcours olympique. J'ai toujours fait un peu de voile en club, pendant les vacances à Carnac. Dans ma famille, on adorait le bateau, mais on n'en possédait pas. C'est par le biais de mes études que j'ai vraiment découvert la voile. J'ai eu pas mal d'opportunités pour apprendre à naviguer et côtoyer le monde professionnel. Résultat, quand je suis rentré à l'école, je passais plus de temps à naviguer qu'à étudier."

Mais elle navigue de plus en plus — notamment sur le Tour de France à la Voile en 2010 — et commence à y prendre goût. C'est d'ailleurs à force de trainer sur les pontons qu'elle rencontre son compagnon, Tanguy Le Turquais, engagé sur le circuit Mini en 2013 et en 2015.

Tanguy pour sa première campagne Mini en 2014

Le lancement d'une carrière professionnelle

À la suite d'un parcours classique "prépa/école de commerce" et l'obtention de son diplôme en 2013, Clarisse monte sa boite de sport outdoor avec son frère, en 2015. Puis, elle décide de faire ses valises et de quitter Paris pour rejoindre Tanguy en Bretagne.

"J'ai travaillé de moins en moins pour faire de plus en plus de bateau. J'ai découvert le circuit Mini en suivant les deux campagnes de Tanguy et j'ai pu avoir un bel aperçu de ce que c'était. J'ai participé à quelques convoyages et deux courses en double avec lui. J'ai continué à naviguer pour réfléchir à l'idée de débuter une carrière professionnelle. Je ne faisais pas beaucoup de bateau et j'avais passé très peu de nuits en mer."

Mais le goût de la course au large est fort et elle décide de monter son propre projet Mini pour courir la Mini Transat 2017, où elle réalise un beau parcours : victoire de la Mini Fastnet en 2017 avec Erwan Le Draoulec, victoire en solitaire sur la Transgascogne, et 2e place de la Mini Transat en 2017.

La jeune femme est talentueuse et bien accompagnée ! Elle apporte d'ailleurs beaucoup de fraicheur dans ce monde de la course au large très masculin avec une très bonne stratégie de communication. Grâce à ses vidéos, elle rend accessible ce petit monde de la voile et ouvre les coulisses de sa vie de coureuse au large. Elle n'hésite pas à partager ses émotions et à dire ce qu'elle pense.

Clarisse en Mini en 2017

Du Mini au Figaro à l'IMOCA

Après la Mini, elle enchaine avec un circuit Figaro et participe à la Transat AG2R 2018 puis à la Solitaire du Figaro 2019 sur le nouveau Figaro Bénéteau 3. Courtisée par le monde de l'IMOCA, elle dira finalement oui à Banque Populaire qui lui confie la barre de Banque Populaire X, avec un objectif Vendée Globe 2020.

En trois ans, elle passe d'un Mini de 6,50 m à un IMOCA de 18,28 m. "C'est plus gros, mais en restant la même chose. Un bateau à voile, c'est un bateau à voile ! Ça m'a bloqué au début en IMOCA, mais il faut persévérer. Plus tu pratiques, plus tu y arrives. La taille et tout ce qui va avec. C'est sûr que j'étais plus à l'aise en Mini. Plus le bateau est gros pour les manœuvres prennent de temps. En même temps, on peut naviguer dans de plus grosses conditions."

Il n'y a pas que le support qui change, l'équipe aussi ! Aujourd'hui, Clarisse fait partie d'un team d'environ 15 personnes. "En Mini, j'étais toute seule pour tout, même la communication. Tanguy m'a énormément aidé sur le plan technique. Aujourd'hui, j'ai une énorme équipe et sans elle, ce projet ne serait pas possible. Les contraintes sont exponentielles avec la taille du bateau."

Le Figaro Bénéteau 3 Everial

Banque Populaire X, l'un des bateaux à dérive les plus fiabilisés du circuit

C'est donc à la barre de Banque Populaire X que Clarisse prendra le départ de la prochaine Transat Jacques Vabre 2019 puis du Vendée Globe 2020. Ce 60 pieds mis à l'eau en 2011 n'est autre que l'ancien SMA à bord duquel Paul Meilhat a remporté la Route du Rhum 2018 et encore avant ça l'ancien Macif à bord duquel François Gabart a remporté le Vendée Globe 2012-2013.

"Il n'y a pas eu d'optimisation importante comme on peut le voir sur le bateau d'Isabelle Joschke avec un objectif de performance (NDLR : Isabelle a équipé de foils son IMOCA MACSF). Le bateau a été remis en état par Banque Populaire qui possède une immense expérience dans le domaine. Le mât est neuf, le gréement courant aussi. On a conservé les dérives et les safrans."

Le chantier a porté sur la fiabilisation et l'optimisation liée à la préparation du bateau et non sur la performance. "On l'a aussi adapté à mon physique en tournant la colonne du moulin à café de sens par exemple."

Pas question donc d'installer des foils sur l'un des "meilleurs bateaux à dérive de la classe IMOCA et l'un des plus fiabilisés." En effet l'objectif de Clarisse c'est le Vendée Globe 2020 avec l'ambition de terminer son tour du monde en solitaire. "Même si on sait que ça fonctionne, les foils représentent un élément de risque et ce n'est pas l'état d'esprit du projet. C'est n'est ni un regret, ni une frustration. On figure parmi les favoris des bateaux à dérive, même si on n'est plus si nombreux dans cette catégorie. Sur le prochain Vendée Globe, il n'y aura qu'un tiers d'IMOCA sans foils."

Défi Azimut © Jérémie Lecaudey / BPCE

Une formation accélérée et un super mentor

Pour découvrir son nouveau bateau, elle est accompagnée d'Armel le Cléac'h – skipper Banque Populaire depuis 2011 – qui a retrouvé les bancs du circuit Figaro en attendant la construction de son nouvel Ultime.

"J'ai découvert l'IMOCA il y a 3 mois donc c'est encore forcément assez nouveau, même si j'apprends tous les jours. Je me compare aussi à Armel pour qui c'est une seconde nature, alors la pression est forte !"

Même si la préparation est courte, elle est intense et surtout instructive. "C'est court comme préparation, mais pour l'instant ça le fait bien. Sur le Fastnet, je naviguais sur Banque Pop depuis seulement une semaine et j'arrivais à suivre le rythme. J'étais un peu attentiste, mais ça le faisait. Chaque jour je m'améliore et j'apprends et ça ira de mieux en mieux."

Car Clarisse peut compter sur le soutien d'Armel, qui découvre ici un projet atypique : former une jeune skipper pour son projet Vendée Globe, alors qu'il est lui-même au cœur de sa carrière.

Il sera d'ailleurs à ses côtés sur la Transat Jacques Vabre 2019.

"Ce n'était pas une question de choix. Il fallait surtout qu'Armel soit d'accord et face confiance à son équipe. On n'a rien à voir et nos profils sont différents, mais notre binôme fonctionne. L'objectif c'est de me préparer."

Défi Azimut © Jérémie Lecaudey / BPCE

Objectif Transat Jacques Vabre 2019 : arriver de l'autre côté

Avec seulement 3 mois de prise en main, le saut dans le grand bain est rapide pour Clarisse Crémer. "C'est une course mythique et c'est assez fou d'y participer avec Banque Populaire et Armel."

Mais son objectif est rationnel. "L'objectif ce n'est pas de performer, c'est d'arriver de l'autre côté et de faire le retour jusqu'en France en solitaire pour me qualifier pour le Vendée Globe. Au moins jusqu'aux Canaries ou en Espagne. Une demi-transat seule sur le bateau moins d'un an avant le Vendée Globe c'est psychologiquement important."

Ils seront nombreux d'ailleurs à faire ce trajet retour en solo pour gagner le précieux sésame ouvrant les portes du plus rude tour du monde à la voile en solitaire.

Cette première course au large en IMOCA permettra donc à la jeune femme d'acquérir de l'expérience. "J'ai déjà fait deux transats, une en Mini et une AG2R et j'ai halluciné de tout ce que l'on apprend sur ces traversées. J'espère me sentir plus à l'aise sur le bateau et assez en forme et confiante pour repartir seule."

Défi Azimut © Jérémie Lecaudey / BPCE

Les favoris des IMOCA à dérive

Sur Banque Populaire X, Clarisse et Armel font office de favoris. En effet, leur bateau est l'un des plus fiables de sa catégorie et possède un palmarès éloquent. Pourtant, la jeune femme fait preuve d'humilité quand elle évoque ce statut.

"Je fais la part des choses entre mes courses avec Armel et mes courses sans. Dans le premier cas, on fait alors partie des favoris. Je ne suis pas l'équipier qu'aurait choisi Armel pour une performance, mais je ne veux pas parler trop tôt. On verra bien le résultat. Armel est connu pour naviguer prudemment et de manière réfléchie."

Défi Azimut © Jérémie Lecaudey / BPCE

"Mon principal concurrent c'est moi"

Si Clarisse doit se battre avec les autres skippers de la classe IMOCA, elle devra aussi livrer une bataille sur elle-même. "Mon principal concurrent c'est moi, face à moi-même c'est de me retrouver seule face à moi-même. Il faut avoir l'esprit de compétition sur le Vendée Globe et avoir du temps pour faire les choses bien. Me comparer aux autres projets, ce n'est pas vraiment un projet. J'ai de l'expérience à rattraper et c'est parfait d'avoir le team Banque Populaire à mes côtés pour gérer le projet. Ça me permet de consacrer mon énergie à l'apprentissage."

Pour valider ses compétences et se jauger, Clarisse s'est lancée dans une campagne de Figaro avant l'IMOCA. "Faire du Figaro m'a permis de faire voir ce que je valais. Ça a son importante dans ce petit monde de marins. Je me faisais un peu de soucis. Aujourd'hui tout se passe bien."

Défi Azimut © Jérémie Lecaudey / BPCE

Un gros investissement physique

Sur les réseaux sociaux, Clarisse partage ses nombreux entrainements sportifs visant à la rendre plus performante. Car si être une femme en IMOCA n'a aucun impact sur les performances d'après la coureuse, elle l'est sur le physique.

"Physiquement, on n'est pas au même niveau. À côté d'Armel j'ai l'air frêle alors que je fais beaucoup de sport. Sur un Mini, ça ne change rien, si tant est que l'on sportive. L'effort physique se passe plutôt dans la tête. Sur un IMOCA c'est la première fois que je me sens limitée physiquement. C'est dur pour le mental, mais il faut accepter notre différence. A l'échelle d'un Vendée Globe, ce n'est pas pénalisant de mettre 10 minutes de plus pour changer une voile. Il faut compenser ailleurs. Globalement, la voile est de moins en moins facile et les navigateurs se préparent de plus en plus physiquement."

Défi Azimut © Jérémie Lecaudey / BPCE
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