Interview / La cohésion de la classe Mini mise à mal par une première étape hors-norme

Après une première étape jamais vue sur une Mini Transat, plusieurs concurrents - Série et Proto - confondus ont décidé de porter des réclamations quant au déroulement de la course et au classement d'arrivée. Explications avec plusieurs d'entre eux.

Un BMS qui vient changer l'ordre des choses

Alors que les 25 Protos et les 65 Séries de la Mini Transat s'élançaient – avec un jour de retard – des Sables-d'Olonne le 27 septembre 2021, un BMS diffusé le 2 octobre venait rebattre les cartes de cette première étape.

"Alors que nous étions en train de passer le Cap Finisterre, l'organisation de course a diffusé le samedi matin un BMS via les bateaux accompagnateurs nous indiquant le passage d'un front avec des rafales à 50 nœuds", nous explique Hugo Picard en catégorie Série (Mini 1014 SVB Team).

Hugo Picard © Alexis Courcoux
Hugo Picard © Alexis Courcoux

Ce BMS est complété par une demande de l'organisation : tous les bateaux qui à partir de samedi minuit se trouveraient dans les zones Finisterre Nord et Sud devaient rejoindre un port et s'y abriter, tous ceux se trouvant dans la zone de Porto étaient conseillés de rejoindre le port le plus proche… selon les propos du coureur. Tout est question de nuance.

"D'après les fichiers météo – vent de nord-ouest de 15 nœuds -, on aurait largement eu le temps de gagner Porto. Sauf que sur l'eau c'était totalement différent. On avait depuis 2 jours un vent de sud-ouest de 5/10 nœuds. Difficile donc d'estimer où on serait le lendemain. Avec des rafales à plus de 50 nœuds, ce ne sont pas des conditions safe en Mini 6.50. J'ai pris rapidement la décision de m'arrêter, grâce à ce recul que j'ai de la classe ayant été président pendant 3 ans. De toute façon le peloton de 4 était déjà devant. J'ai rejoint Baiona, où il y avait pas mal de bateaux. Le premier est arrivé vers 21 h et le dernier vers 5 h du matin. J'étais très content de cette décision et tout le monde l'était aussi. Même dans le port, c'était costaud" détaille à son tour Sébastien Pebelier, en Proto (Mini 787 Decosail).

Sébastien Pebelier
Sébastien Pebelier

En Série, c'est à peu près le même raisonnement. Alors que le peloton de tête navigue à portée de VHF, c'est d'une décision commune qu'est décidé de rallier le port.

"À part les 4 protos, on était tous concernés par cette demande. On était 10 ou 15 bateaux à portée de VHF. Au début, on s'est dit qu'on allait tracer au sud. On aurait pris le front. Ça n'aurait pas été rigolo, mais on aurait mis le tourmentin. On avait 24 h pour faire du sud-ouest à fond et ça serait passé. Sauf que pourquoi se mettre en danger quand on nous offre une possibilité de relâcher et de pouvoir repartir ? Si le groupe de tête continuait, le reste de la flotte aurait suivi. Et toute la flotte aurait été en danger. On n'était pas au milieu de l'Atlantique et ça aurait été dangereux de continuer si l'on en croit les précédentes éditions. Alors que si on s'arrêtait, tout le monde le ferait aussi. Et tout le monde repartait de manière équitable" détaille Hugo Picard.

C'est d'ailleurs ce qu'il s'est passé pour les 22 marins en escale à Baiona, qui ont décidé de reprendre le classement avant le BMS pour repartir, respectant un intervalle de temps entre chaque départ.

"C'était beau à voir. On s'est tous réunis rapidement autour d'une table pour trouver une solution pour ne pas gâcher l'étape. Sur le papier ça aurait du bien se passer, mais il n'y avait pas de vent pour le départ. C'est le jeu de la météo" détaille Sébastien Pebelier.

Tous en escale, sauf un !

Sauf que si 82 marins ont pris la décision de s'abriter pour se préserver et préserver l'intégralité de la flotte en bon marin, l'allemand et jeune Melwin Fink en série (920 SignForCome) et l'Autrichien Christian Kargl (980 – All Hands on Deck) ont continué leur route. Incompréhension du BMS ? Mauvaise volonté ? Toujours est-il que les conditions rencontrées – finalement plus calmes que celles annoncées par le BMS – ont permis à Melvin Fink (son concurrent autrichien ayant finalement décidé de faire escale) de tracer sa route et de creuser un écart considérable. Et c'est donc avec plus d'un jour d'avance sur le reste de la flotte qu'il gagnait Las Palmas. Et c'est bien là que le bât blesse.

Car rappelons-le, la Mini Transat est une course en deux étapes qui se joue sur le temps et non sur le classement… Difficile donc de récupérer un tel écart sur la 2e étape. Surtout quand la Mini Transat est pour beaucoup l'aventure d'une vie.

Réclamations déposées

C'est ainsi qu'à l'arrivée à Las Palmas, 17 ministes ont porté réclamation. La majorité demande une bonification de temps pour ceux qui ont décidé en bon marin de s'abriter. Certains veulent l'annulation de la première étape. Seul le jury décidera du choix à faire.

"Pour ma part, j'ai réclamé pour essayer de récupérer un peu de temps, celui du BMS pour lequel on s'est arrêté. Ça va creuser trop d'écarts avec la tête de flotte. On fait de la course au large, et il y a le mot course. C'est une bonne porte de sortie de donner du temps à tout le monde, de réduire les écarts de tous ceux qui se sont arrêtés, tout en conservant le classement actuel. Le côté sportif a été oublié à l'annonce du BMS. Il y a un problème d'équité sportive. On aurait pu envisager de cadrer plus l'escale avec une longitude et un timing à respecter pour repartir, quel que soit le port d'escale. Cela aurait permis aux concurrents de repartir dans les temps, même au nord. Dans tous les cas je ne veux pas annuler la première étape. Je serais mal à l'aise vis-à-vis de mes concurrents, car ils méritent leur place sur cette 1re étape. Je suis toujours dans leur peloton, mais là, je n'ai pas eu de vent et je suis resté coincé pendant deux jours" explique Sébastien Pebelier.

Pierre Le Roy, à gauche sur le podium des Proto
Pierre Le Roy, à gauche sur le podium des Proto

Si ces réclamations rebattraient finalement peu les cartes en Série – excepté pour le premier arrivé – il en va différemment en Proto, où les 4 échappés ont bouclé leur parcours en plus ou moins 7 jours. Si Tanguy Bouroullec (969 - Tollec MP/Pogo) premier dans sa catégorie n'a pas souhaité s'exprimer à ce sujet, Pierre Le Roy (10119 – Teamwork) s'est confié à nous.

"De ma position, je n'ai rien à réclamer. Ma course s'est déroulée, je suis bien classé. Chacun a choisi individuellement de s'arrêter ou pas, en bon marin. Si la manche est annulée, j'ai besoin de me concentrer sur la suite. Ça remet les compteurs à zéro. Ce sont des éléments sur lesquels je n'ai pas de maitrise. J'essaye de me focaliser sur la 2e étape et d'être prêt. Ce que je vise c'est la victoire et il faudra juste faire mieux si l'étape 1 est annulée.

En Mini, tu montres aussi que tu sais bien naviguer pour envisager une carrière par la suite. Et c'est ce que j'ai fait. Les gens ont vu que les 4 premiers protos ont collé 400 milles avant le BMS et l'arrêt de la flotte. Notre course s'est déroulée sans encombre et on avait creusé notre trou avant."

Quelle décision pour le jury ?

Le jury va désormais trancher en faveur d'une décision qui sera rendue publique avant le départ de la 2e étape. Si la demande d'escale a été faite par la direction de course, et suivie par la quasi-totalité de la flotte, n'oublions pas les motivations de chacun. En dehors de la mise en danger, rappelons que les Mini 6.50 ne sont originellement pas homologués pour traverser l'atlantique et bénéficie d'une dérogation (d'où notamment les bateaux accompagnateurs). Ainsi, il serait regrettable que plusieurs accidents viennent entacher la réputation de la classe, voir même la contraindre à oublier certaines courses. Car la classe Mini n'est pas qu'une porte d'accès à la course au large, mais aussi et surtout la possibilité pour de nombreux marins de tout horizon de vivre l'aventure d'une vie !

"Il faut s'arrêter et aller au port le plus proche. Quand Denis (NDLR : Hughes, directeur de course) te le dit, vu son expérience, tu le fais. On a déjà eu ça sur la Transgascogne 2007 et on ne veut pas le revivre. Rappelons que ces bateaux ne sont pas homologués pour ça normalement, alors il faut faire attention" conclut Sébastien Pebelier.

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