Un 23 pieds dans l'Atlantique : on a réparé après un démâtage sauvage sous un pont

Réparation du mât après l'accident de Nordkyn

En septembre 2021, nous avons quitté Granville pour un voyage d'un an à travers l'Atlantique à bord de Nordkyn, un voilier de 23 pieds. A Lisbonne, dans une manoeuvre malheureuse, notre bateau a démâté en heurtant une passerelle.

Les livres regorgent de mésaventures vécues par des navigateurs malchanceux ou trop naïfs. De déboires survenant dans les circonstances les plus inimaginables et qui peuvent aisément transformer l'innocent rêve de voyage en un pur cauchemar. C'est ce genre de mauvaise fortune que nous avons vécu en quittant Lisbonne lundi 4 octobre 2021. Partis de Granville (Manche) un mois plus tôt pour un an de voyage à bord d'un Etap 23, nous avons bien cru que notre périple allait tout bonnement s'arrêter là.

Ce jour-là, nous nous apprêtons à négocier les dernières étapes en eaux portugaises. Après notre traversée du Golfe de Gascogne, puis quelques semaines de cabotage le long de la péninsule ibérique, nous potassons déjà l'arrivée sur Porto Santo et Madère. Les conditions sont parfaites pour cette journée lors de laquelle nous espérons pousser jusqu'à Sines. Je précise au passage que nous n'avons guère fait de grosse navigation ou de fête endiablée la veille, si bien que nous sommes tout à fait disposés au moment d'attaquer ce qui se profile comme une simple balade d'une cinquantaine de milles.

Un moment d'inattention et le mât dégringole

Il est environ 8 heures lorsque nous quittons le ponton et nous dirigeons vers la sortie du port, dans les belles lumières rasantes de ce début de matinée. Éblouis par le soleil que nous avons en pleine face, nous ne distinguons pas la passerelle qui barre le chenal. Imposante, massive avec ses solides poutrelles métalliques, et bien trop basse pour qu'il soit possible de la rater.

La passerelle que nous avons heurtée. Aussi étonnant que cela puisse paraître, plusieurs professionnels nous ont indiqué que ce genre d'incidents arrivait relativement régulièrement.
La passerelle que nous avons heurtée. Aussi étonnant que cela puisse paraître, plusieurs professionnels nous ont indiqué que ce genre d'incidents arrivait relativement régulièrement.

Comment peut-on commettre une si grossière erreur ? La passerelle en question était ouverte lors de notre arrivée et notre guide de navigation stipulait qu'elle ne se refermait normalement jamais… Autant dire que nous avions totalement oublié l'existence de l'ouvrage. Enfin, il se trouve que nous ne sommes guère les premiers à l'emboutir. Quelques jours plus tôt, un gros voilier allemand a connu exactement le même sort, se retrouvant avec un mât brisé en trois parties.

C'est nul, stupide, honteux, mais c'est comme ça : notre mât dégringole. Celui-ci pendouille misérablement par-dessus bord comme un membre cassé tandis que nous regagnons piteusement le ponton. Rassemblant nos esprits et notre ferraille, démontant, triant les morceaux de haubans, d'enrouleurs et d'espars, nous constatons que le plus gros des dégâts se concentre sur la base du poteau. Celle-ci a littéralement éclaté lorsque l'étai avant s'est rompu et que le mât a basculé. Une partie de notre enrouleur de génois est également pliée ainsi que divers dommages sans grande importance comparés à ceux précédemment cités.

Après le dématage sous la passerelle, la base du mât est endommagée sur une quinzaine de centimètres.
Après le dématage sous la passerelle, la base du mât est endommagée sur une quinzaine de centimètres.

Un mât raccourci de quinze centimètres

Dans les jours qui suivent l'incident, nous soupesons différentes solutions : manchonner la partie brisée, la rafistoler avec du carbone, commander un nouveau mât ce qui nous immobiliserait au minimum deux mois…

Au final, nous optons pour un raccourcissement pur et simple dudit pylône que nous décidons d'amputer d'une quinzaine de centimètres à sa base. Deux options s'offrent alors à nous. Nous pouvons recouper l'ensemble du gréement dormant, remonter le vit-de-mulet pour la bôme et retailler les voiles (tout cela s'avère moins compliqué qu'on pourrait le penser, sauf peut-être pour l'enrouleur). Pour autant, nous préférons jouer sur la hauteur des jumelles : des pièces constituées de deux tôles en aluminium entre lesquelles la base du mât, maintenue par un axe, vient s'intercaler.

Le génois avait plusieurs accrocs après avoir heurté la passerelle. Quelques points de coutures s'imposaient.
Le génois avait plusieurs accrocs après avoir heurté la passerelle. Quelques points de coutures s'imposaient.

Sur l'Etap 23, un boîtier situé entre ces deux jumelles abrite une partie du mécanisme servant à baisser et relever la quille. Pour ne pas avoir à intervenir sur ce boîtier, notre idée est donc simplement de faire rehausser les jumelles existantes par un artisan. Les travaux à entreprendre se trouvent ainsi considérablement limités, même si l'opération induit tout de même pas mal de bricoles à recouper, déplacer, renforcer

 Nous décidons de couper la partie endommagée sur une quinzaine de centimètres. Au premier plan, les anciennes jumelles.
Nous décidons de couper la partie endommagée sur une quinzaine de centimètres. Au premier plan, les anciennes jumelles.

Une réparation express

Il faut reconnaître que pour diverses raisons, nous avons eu un mal de chien à nous mettre d'accord avec un professionnel afin de façonner les jumelles. La barrière de la langue ne facilite pas les choses dans ce genre de travaux, certains détails techniques ne pouvant être négligés par mécompréhension. Certain nous proposaient des tarifs totalement ubuesques, comme si ces deux tôles valaient le prix de notre voilier. De déconfitures en déconvenues, nous avons tout de même fini par trouver un métallier pour mener à bien ce travail.

 Constituées de deux tôles en aluminium entre lesquelles la base du mât, maintenue par un axe, vient s'intercaler, les jumelles (ici rehaussées) apportent un gros plus sur ce type de bateau en permettant de mâter et démâter très facilement.
Constituées de deux tôles en aluminium entre lesquelles la base du mât, maintenue par un axe, vient s'intercaler, les jumelles (ici rehaussées) apportent un gros plus sur ce type de bateau en permettant de mâter et démâter très facilement.

Nous avons assuré par nous-même le reste du chantier ; c'est-à-dire couper le mât, le renforcer et le percer pour accueillir l'axe de maintien entre les jumelles. Nous avons également changé deux cadènes endommagées. Enfin, il nous a fallu démonter et remonter intégralement notre enrouleur afin de remplacer le profilé tordu dans l'accident (heureusement, nous avions la pièce détachée dans notre stock en France).

Apres avoir coupé, redressé et renforcé le pied de mât, nous disposons d'une bonne base de travail pour la suite.
Apres avoir coupé, redressé et renforcé le pied de mât, nous disposons d'une bonne base de travail pour la suite.

Deux semaines après le démâtage, notre brave Nordkyn avait retrouvé fière allure avec son mât raccourci solidement posé entre deux jumelles légèrement plus hautes. Il est évident que nous nous en tirons bien et que la modeste taille de notre embarcation a clairement facilité les opérations.

Les jumelles ont été consolidées avec une entretoise. Depuis, nous avons éprouvé la solidité de cette réparation en naviguant jusqu'aux Antilles.
Les jumelles ont été consolidées avec une entretoise. Depuis, nous avons éprouvé la solidité de cette réparation en naviguant jusqu'aux Antilles.

Depuis, nous avons pu éprouver la solidité de l'ensemble en naviguant du Portugal vers Madère, puis vers les Canaries et le Cap Vert ainsi que durant la transat que nous venons tout juste de réaliser. L'ensemble ne montre pas de signes de faiblesse, même s'il faudra très certainement changer le mât un jour ou l'autre. Enfin, de telles anecdotes donnent très clairement un autre goût au voyage. Après cette expérience, on sait mieux savourer chaque mille parcouru à sa juste valeur.

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Patrick Leblanc
Patrick Leblanc
Bonjour, Est-ce le même Nordkyn qui a navigué en Scandinavie?
Frédérique Gautier
Frédérique Gautier
Oui, en Ecosse en Suède et au Spitzberg quatre étés. Bravo à Hugo de l'avoir emmené dans les eaux chaudes des Antilles !
Ta Mb
Ta Mb
Je souhaiterais acheter un etap 23i de 1991 QRelevable, mais un copain très averti en matière de voile m'a fait le commentaire suivant '' sur le pied de mat qui bien que pratique pour le matage, n’est tenu que par un axe… ce qui semble faible pour reprendre les efforts parfois très disparate (quand le bateau tape dans les vagues par exemple) '' Vous qui avez navigué dans plusieurs conditions de mer(s)... Qu'en pensez vous ? Je vous remercie
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