Interview / Associer l'humain et la technologie pour des records de vitesses sur l'eau

© Zephir - Richard Bord

Marc Amerigo s'est associé avec Antoine Albeau pour développer le Projet Zephir, un projet de record du monde de vitesse sur l'eau. C'est à travers une philosophie à la fois scientifique et humaine baptisée l'Ultra Performance par l'Épanouissement Humain que les deux hommes ont monté un pôle d'experts pour mettre à bien une nouvelle manière de développer des projets.

L'Ultra Performance et l'épanouissement humain

Marc Amerigo est d'origine marseillaise. Depuis qu'il marche, il est sur l'eau : planche à voile, bateau, kitesurf, foil…

"J'aime tout ce qui est sur l'eau."

C'est par le biais d'un ami commun - Olivier Ponrouch, précurseur du windsurf – que Marc Amerigo fait la connaissance d'Antoine Albeau. Lui-même détenteur de plusieurs records de vitesse, il cherche aujourd'hui à battre le record de vitesse sur l'eau. Et c'est grâce à Antoine qu'il va pouvoir réaliser ce projet.

"J'avais déjà travaillé sur des projets de vitesse pendant mes études à Centrale. À l'époque, le projet était d'atteindre 50 nœuds et la planche était le support le plus rapide pour y arriver à ce moment-là. On avait conçu des prototypes de voile et de planche, Antoine commençait tout juste la compétition.

Aujourd'hui, on s'est rencontré pour ce projet de vitesse et le feeling est bien passé. On a cherché qui l'on connaissait sur la planète pour être des bons et de belles personnes. Aujourd'hui, on a réuni 80 personnes et 50 entreprises autour de ce projet."

Car pour développer ce projet Zephir – qui va s'étaler sur plusieurs années avec des étapes intermédiaires – Marc est parti d'une philosophie qu'il a créée : l'Ultra performance et l'épanouissement humain.

"C'est mon univers. Zephir, c'est un démonstrateur dans lequel on applique cette philosophie à la lettre. On pousse la technologie à bloc en se recentrant sur l'humain, afin qu'il soit central et épanoui de ce qu'il fait. Il y a une dynamique collective hors du commun. On ne se donne aucune limite, tout est possible. L'idée est de créer un lien fort entre les personnes et de s'appuyer les uns sur les autres pour mettre nos tripes sur la table. Chaque individu est respecté et grandit avec les projets de l'entreprise et nous avons l'adhésion de tous. On utilise la sensibilité et les compétences extrêmement élevées de chacun dans tous les domaines. On travaille avec de belles personnes sans ego démesuré pour faire avancer une vision collective.

L'objectif c'est de se fixer une cible qui parait complètement inatteignable. Une planche ne peut pas aller plus vite qu'un bateau, notamment à cause de la cavitation. Quand on est dans des univers extrêmes, il ne s'agit de prendre ce qui existe pour tenter de faire plus avec. Il faut prendre une feuille blanche et réinventer un concept complètement différent. On va jouer sur deux dimensions, techniques et humaines. On met à plat toutes les dimensions technologiques et organisationnelles et on pousse tous les curseurs."

Marc Amerigo et Antoine Albeau © Zephir - Richard Bord
Marc Amerigo et Antoine Albeau © Zephir - Richard Bord

80 experts et 50 entreprises d'univers variés

Ainsi, pour mettre à bien ce projet, Marc et Antoine se sont entourés d'acteurs provenant de domaines divers et variés : motion-caption (film d'animation), formule 1, Coupe de l'America, intelligence artificielle… Au total ce sont 11 sous-projets qui sont développés avec des « notions d'interdisciplinité ». Chacun puise dans son savoir-faire et toutes les semaines, toutes les équipes échangent entre elles, et ce depuis déjà 1 an.

"Il y a tout un faisceau de compétences que l'on croise autour de notre vision. Les savoir-faire vont se compléter pour créer une synergie. Le faire pour la planche c'est génial, car j'aime ça et Antoine est un colosse de la planche."

Mais finalement, si le projet Zephir porte sur un record en planche à voile, le concept de " l'Ultra performance et l'épanouissement humain" a un spectre bien plus large.

"Tout ce qui glisse sur et au-dessus de l'eau à haute vitesse est concerné par notre travail. On va devoir être capable d'avoir un objet qui utilise l'eau à la surface et l'air avec tous les problèmes d'instabilité que ça génère, mais aussi les problèmes d'interface entre sous l'eau et sur l'eau, notamment la cavitation. On travaille avec des experts de l'aviation pour explorer ces domaines peu connus."

Grâce à cette phase importante de recherche et développement, l'équipe espère pouvoir développer un engin capable de se déplacer à plus de 70 nœuds !

"On espère pouvoir développer tout cet univers technologique qui n'existe pas. Créer des engins de la mer pour le déplacement rapide en limitant la trainée à très haute vitesse. On collabore d'ailleurs avec Martin Fischer qui travaille pour l'équipe Luna Rossa sur la Coupe de l'America. Il y a tout un travail à faire sur le foil. Il doit avoir de la portance pour faire sortir la planche de l'eau et rester stable une fois en navigation, tout en ayant assez de puissance corporelle pour le maintenir dans l'eau. Car plus on va vite, plus le foil à envie de sortir de l'eau.

Sur le fond, on travaille sur un projet d'humain qui doit être plus rapide qu'un bateau. Les bateaux n'ont pas de limite de puissance. Nous on a un petit bonhomme. On a cette sorte de limitation qui fait que l'on doit se rapprocher de la nature et des oiseaux. On a peu de puissance et d'énergie, et on doit aller très vite. On a besoin de créer un rapport homme/machine, une sorte de bonhomme augmenté. C'est un peu du biomagnétisme, c'est passionnant."

Tests scientifiques © Zephir - Richard Bord
Tests scientifiques © Zephir - Richard Bord

Développer des prototypes pour le record

Pour développer la planche qui servira au record, l'équipe travaille sur des prototypes de planches, de voiles, mais aussi de combinaison.

"L'objectif est tellement fin qu'on est obligé de passer par des calculs, des analyses et compréhensions des phénomènes. On a impérativement besoin de mettre Antoine dans des conditions de confort et de vitesse. Dans l'absolu, il doit pouvoir boire son café à très haute vitesse. L'objectif est qu'il se déplace à la limite de la rupture. On fait des analyses pour qu'il sache ce qu'il se passera à 50 nœuds, à 60 nœuds, etc."

Cette phase d'étude scientifique permet donc de déterminer quelle vitesse est atteignable pour pouvoir ensuite accompagner le sportif sur cette performance.

"On ne peut pas l'envoyer dans l'inconnu."

Pour la combinaison, l'équipe travaille avec des spécialistes du wingsuit, du jetman, mais aussi avec le bureau de développement Jonathan & Fletcher, qui développe notamment les combinaisons de ski de slalom.

Pour étudier les phénomènes d'obstruction au vent et faire en sorte qu'Antoine contribue à sa vitesse au lieu de créer des trainées, l'équipe a mené des tests pour voir d'où venaient les décollements. Ils pourront ainsi créer une combinaison spécifique.

Il faudra ensuite étudier la manière dont Antoine sera ensuite connecté à son engin.

"C'est beaucoup plus complexe que l'on ne l'imagine. Il faut étudier l'aérodynamisme, la sécurité… C'est un sous-projet sur lequel 15 personnes sont impliquées : de l'intelligence artificielle, la chaine d'acquisition des données…"

Etudier les flux d'air autour d'Antoine Albeau © Zephir - Richard Bord
Etudier les flux d'air autour d'Antoine Albeau © Zephir - Richard Bord

La prochaine étape sera le développement de l'aile, qui permettra sans doute déjà d'améliorer certains records.

"Tous les 3 ou 4 mois, on franchira une nouvelle étape. On ne va pas travailler dans l'ombre. On avril, on retournera en soufflerie, avec une centrale inertielle embarquée. C'est un système qui permet de connaitre la position dans l'espace (axe, vitesse…) avec un boitier au cœur du système d'acquisition. Ça n'a jamais été fait sur une planche et ça va nous permettre de voir comment vole Antoine."

En attendant, Marc et Antoine cherchent des sponsors qui leur apportent un soutien financier.

"On vient avec tout le système, mais on a besoin d'entreprises et de passionnés qui nous aident financièrement. On cherche un partenaire d'aventure pour qui notre projet a un sens, d'un point de vue humain et technologique.

On travaille sur le monde de la mer dans sa globalité. Sur l'organisation de demain, du futur, la façon dont on travaille, en mixant les compétences de domaines différents. L'opportunité de Zephir c'est de mettre en lumière un démonstrateur du monde de demain. La manière de se reconnecter dans la nature en mettant l'humain au centre du système. La technologie est au service de la connexion de l'individu avec les éléments. On passe par l'humain, on va avoir besoin de ses sens, de son équilibre, de la fusion avec son élément et de son matériel. "

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