2000 : Le tour du monde à l'envers et dans la souffrance de Philippe Monnet

En 2000, Philippe Monnet s'est élancé dans une tentative de record du tour du monde à l'envers à bord de son 60 pieds Uunet. Récit d'une navigation éprouvante, ponctuée par accumulation d'épreuves physiques et matérielles.

Deux marins ont réussi ce parcours avant lui

Le 9 janvier 2000, quelques jours après le fameux bug qui n'a jamais eu lieu, Philippe Monnet appareille de Brest pour tenter de battre le record du tour du monde à l'envers, détenu par l'Anglais Mike Golding en 161 jours. A l'inverse du parcours suivi par les skippers du Vendée Globe, Philippe Monnet va emprunter un itinéraire d'ouest en est, contre les vents et les courants dominants. Deux navigateurs britanniques sont parvenus à boucler ce parcours exigeant : Chay Blyth en 1970, puis Mike Golding en 1994.

Afin de raccourcir la distance, la stratégie de Monnet consiste à descendre très au sud, au-delà du cercle polaire antarctique, là ou très peu de bateaux se sont aventurés, et encore moins un 60 pieds mené en solitaire.

Une descente de l'Atlantique tonique mais rapide

C'est sous les encouragements d'Oliver de Kersauson et Florence Arthaud que Philippe Monnet passe la ligne de départ entre Ouessant et le Cap Lizard. Pour cette aventure, il a choisi de partir à bord de Uunet, un plan Briand qu'il a entièrement refait et préparé pour les spécificités de ce parcours. La majorité du parcours s'effectuant au près dans le gros temps, il a opté pour une carène moins large que les autres 60 pieds, très typés pour le portant. De plus, sa construction en kevlar sur une structure carbone résonne moins au près qu'une coque entièrement en carbone.

La descente de l'Atlantique est ponctuée par plusieurs grosses dépressions occasionnant quelques dégâts mineurs sur le jeu de voiles. Le parc batteries présente également un dysfonctionnement mais Unnet, réputé comme étant bon marcheur, allonge de belles moyennes. Au large du Chili, une énorme vague fait décoller le skipper alors qu'il bricole à l'intérieur, et le fait atterrir sur la table à cartes, brisant un de ses ordinateurs et le Standard C, dispositif de communication.  Philippe passe l'équateur le 26 janvier 2000 avec 5 jours d'avance sur Mike Golding, et double le Cap Horn le 16 février, après 39 jours de mer.

Un Grand Sud éprouvant

Une fois le "Cap dur" laissé à tribord, Monnet s'enfonce dans le Grand Sud, et sait qu'il va naviguer au près serré durant deux mois au milieu des glaces, et dans le gros temps. Le Pacifique accueille le skipper avec des rafales à 50 nœuds, et les températures chutent rapidement. Le ciel et la mer deviennent gris. Le décor est planté.

Le bateau et le skipper souffrent dans ces conditions de navigation éprouvantes. Une membrure se brise dans le coqueron avant, et oblige Monnet à la restratifier.

La température de l'air est négative et l'eau tourne autour de zéro degré. Le 22 février, Uunet croise son premier iceberg. La vie à bord est compliquée, d'autant que le chauffage au mazout est tombé en panne. Tout est froid et humide.

Par 65 degrés sud, avec la neige et le brouillard, la visibilité est nulle. Le skipper slalome entre les icebergs et les growlers, l'œil rivé sur son radar. Les conditions sont épouvantables, et le vent descend rarement en dessous des 35 nœuds. Après chaque manœuvre, Monnet plonge ses doigts dans la cocotte-minute pour tenter de les réchauffer. Il vit terré comme un animal, dort en ciré et en bottes, avec la peur constante de percuter un growler, que le radar est incapable de détecter.

Le 26 février, il affronte des vents de 80 nœuds à sec de toile. Mais ce n'est qu'un début. Son routeur, Pierre Lasnier, lui annonce l'arrivée de trois ouragans, qui génèrent des rafales proches des 100 nœuds.

Les hublots gèlent et une couche de glace se forme sur le mât et les haubans, que Philippe doit régulièrement casser pour ne pas mettre en péril l'équilibre du bateau.

Début mars, l'équerre de fixation de la bastaque tribord montre des signes de faiblesse. Si elle lâche, le mât tombe. Le skipper remonte un peu au nord pour retrouver de meilleures conditions. Par 54 degrés sud, il subit le cyclone Leo, avec des vents de 60 nœuds.

Après 1 mois dans ces conditions épouvantables, Monnet conserve encore 4 jours d'avance sur le record de Mike Golding. Le soleil refait son apparition le 17 mars. L'enfer du grand sud est terminé.

Un Océan indien plein de surprises

Le 27 mars, Uunet quitte le Pacifique Sud et s'engouffre dans l'Océan indien. Les températures remontent et le risque de collision avec les glaces est terminé. Mais le vent reste soutenu. Sous 3 ris et trinquette, le bateau taille sa route. C'est alors que Philippe est victime d'une crise de paludisme au beau milieu de l'Océan indien. Amorphe, sans traitement, il passe trois jours au fond de sa bannette avec une fièvre soutenue.

Le 4 avril, les vents deviennent portant et Monnet envoie son gennaker et retrouve les plaisirs de la glisse. Le skipper revit et remet son bateau au propre. Le bilan technique est plutôt bon, et la délamination de la bastaque tribord s'est stabilisée.

Uunet enchaine les journées à 250 milles. Le record et le plaisir de naviguer reprennent sens.

Le 25 avril, les appareils du bord clignotent. L'alimentation électrique du bord présente un problème et le skipper se dirige vers le coqueron arrière, où sont branchées les batteries qui ont déjà causé des problèmes. A peine la porte ouverte, une épaisse fumée s'en dégage. Le parc est en feu, à cause de câbles en court-circuit. Monnet les sépare à mains nues et se brûle gravement les deux mains. Un coup d'extincteur finira de résoudre l'avarie.

Philippe bascule son alimentation sur le bac préservé par l'incendie, et se soigne les mains.

Quelques jours plus tard, alors qu'il évolue au travers dans 30 nœuds, il rencontre une éruption volcanique sous-marine. Le phénomène, très rare, se traduit en surface par des orages très violents, beaucoup d'éclairs, le tout avec une électricité statique oppressante.

Au large du canal de Mozambique, une très forte dépression oblige le skipper à utiliser des trainards pour ralentir Uunet, à sec de toile. Les mouvements sont si violents que le skipper décolle dans une vague et atterrit sur sa barre à roue en titane, qui se brise dans le choc.

A l'approche de Bonne Espérance, la mer est très dure, et l'avance sur le record de Mike Golding fond comme neige au soleil. Uunet revient dans l'Océan Atlantique avec 5 jours et demi d'avance.

Un Atlantique express

La remontée de l'Atlantique se fera dans des conditions beaucoup plus clémentes que celles rencontrées depuis deux mois. Malgré quelques dépressions, Monnet accentue son avance. Le 9 juin, il coupe la ligne d'arrivée située en mer d'iroise, accueilli par des dizaines de bateaux. Après 5 mois de mer, il bat le record détenu par Mike Golding de presque 10 jours.

Icebergs, ouragans, incendie, paludisme et éruption sous-marine : rien n'aura épargné Philippe Monnet sur ce record, qu'il devra céder à Jean-Luc Van Den Heede en 2004.

Plus d'articles sur le thème
Réagir à cet article
Ajouter un commentaire...