Interview / Préparateur de bateaux de course : le quotidien d'un métier clé pour le skipper

Felix de Navacelle

Felix de Navacelle, architecte naval de formation et marin, joue le rôle de préparateur pour Nicolas Lunven et Banque Populaire. Il nous raconte le quotidien de cette nouvelle mission pour lui dans la course au large, le rôle du préparateur et l'intérêt de mixer les expertises.

La découverte du métier de préparateur dans la course au large

Après une Mini Transat et une année passée chez l'électronicien B&G, Felix de Navacelle, architecte naval et marin, a collaboré avec David Raison pour le développement du futur IMOCA d'Éric Bellion et Jean Le Cam. Avant de devenir le directeur technique de son ami skipper Tanguy Le Turquais pour le Vendée Globe 2024, il fait ses premiers pas en tant que préparateur auprès de Nicolas Lunven et Banque Populaire qui loue le futur bateau de Tanguy. Il nous raconte cette découverte.

"Je connais très bien Tanguy et dans l'objectif de rejoindre son projet, je voulais me faire la main sur son bateau avant la passation entre Banque Populaire et Tanguy en juillet. J'aime toucher à tout et prendre l'air. D'autant plus dans une belle équipe comme celle-ci" commence Felix de Navacelle.

"Je découvre ce métier même si j'ai déjà préparé mon Mini. Un IMOCA c'est différent. C'est passionnant d'alterner le bureau d'étude avec des boulots de terrain. Le métier de préparateur nécessite une bonne connaissance du terrain, de la régate, mais aussi du bateau. Les systèmes doivent être fonctionnels et correspondre à l'ergonomie voulue par le skipper. Chaque skipper a une ergonomie qui lui correspond" détaille-t-il.

Chez Banque Populaire, l'équipe de préparateurs compte 3 membres prestataires, tous supervisés par Jean-Marc Fayer, directeur technique salarié.

"C'est le leader, celui qui organise notre préparation et donne une liste des tâches. Il n'y a pas de bonne préparation sans préparation. La règle d'or, c'est qu'une semaine avant le départ d'une course, on ne travaille plus sur de gros sujets d'optimisation, à part en cas de problèmes. Si ça marche, on ne touche pas, nous répète Jean-Marc. Le mieux est l'ennemi du bien", s'amuse Felix.

Felix de Navacelle sur la Mini Transat 2019 © Christophe Breschi
Felix de Navacelle sur la Mini Transat 2019 © Christophe Breschi

Deux grandes phases dans le métier de préparateur

"L'objectif du préparateur est de rendre un bateau fonctionnel et adapté à son skipper", analyse Felix de Navacelle. La préparation se répartit en deux grandes phases dans l'année :

Le chantier d'hiver

"Il s'agit de travailler sur les gros dossiers de réparation et d'optimisation : changement d'étrave, nouveaux foils, démontage intégral de l'accastillage, nouveau siège de barre, allongement de la casquette de roof, maintenance générale…" détaille Felix.

La période de navigation du bateau

"Les tâches sont infinies et difficiles à énumérer… ça peut être de régler d'un demi-centimètre la hauteur du cale-pied, de faire du calibrage électronique, de l'ajustement mécanique… Il y a toujours beaucoup de matelotage. On ne sait pas quelle tâche on devra effectuer le lendemain. Sur un retour de navigation, on peut avoir à recaler les winchs par exemple. Ce qui est important, c'est de naviguer à bord du bateau. C'est en l'utilisant que l'on voit ce que l'on peut faire. Au ponton, on a envie de faire un système "chiadé", mais une fois en mer il faut faire simple. On évite les systèmes trop esthétiques ou non fonctionnels. On partage notre expérience entre préparateurs, on travaille sur la manière dont le skipper voudrait tel ou tel système."

Finalement, tout dépend de la complexité du bateau. Banque Populaire est un bateau simple qui a eu la chance d'avoir été bien débugué par Damien Seguin.

"On peut toujours améliorer cet océan de détails. Tout dépend du niveau de préparation ou d'optimisation souhaité. Le curseur peut être augmenté à l'infini, mais au vu des résultats sur la course (NDLR : Nicolas Lunven est aux avant-postes de la Guyader Bermudes 1000 Race courue en mai 2022), le travail d'équipe a l'air de porter ses fruits", s'amuse Félix.

Si les derniers mois ont été consacrés à la mise à l'eau du bateau, les 10 jours précédant la course portent sur de menus travaux : ajustement des nœuds, élastique d'hydraulique, préparation des sacs de spare (pièces de rechange)…

"On travaille sur des systèmes qui ne peuvent pas compromettre la performance. Au retour de course, on verra s'il y a des avaries mineures, comme des impacts sur la dérive, les winchs à recaler… Mais on ne va pas avoir beaucoup de temps, car on a seulement 15 jours avant de rejoindre les Sables-d'Olonne pour la Vendée Arctique."

La journée type du préparateur

Le matin, Jean-Marc Fayer lance un briefing d'équipe, énumère les tâches et les répartit entre les trois préparateurs : Felix de Navacelle, Henri le Chartier – qui possède une grosse expertise en préparation – et la navigatrice Estelle Greck.

"C'est hyper plaisant d'avoir cette dynamique commune et ce partage d'expérience. On se divise les tâches et les responsabilités. Il y a un bon nombre de tâches à réaliser à plusieurs, car c'est un gros bateau complexe, même si le nôtre reste assez simple."

L'IMOCA Banque Populaire
L'IMOCA Banque Populaire

Alterner le terrain et le bureau d'études

Architecte naval est la profession de prédilection de Felix de Navacelle, mais ce touche-à-tout aime varier les expériences : navigation, architecture navale, préparation…

"Toutes ces missions se soutiennent et s'enrichissent les unes les autres. C'est un plaisir de toucher à tout et de ne pas s'enfermer. J'apprends des tas de choses sur la maintenance des systèmes embarqués. Souvent quand on est derrière son écran à dessiner un bateau, on a envie de faire compliqué. Mais le mieux c'est de faire du fonctionnel. Et ça fonctionne très bien. Comme me le dit souvent Tanguy, je suis en stage découverte de ce métier de préparateur. Ce stage initiatique m'enchante. Ça m'apporte une expérience et ça ravive la flamme et la passion de chaque discipline. Si je ne faisais que de l'architecture navale, cette flamme s'éteindrait. Je serais déconnecté de la navigation. Et naviguer sans se tenir au courant de cette part de développement, d'innovation et de création aboutirait à la même chose. La préparation est un intermédiaire entre l'architecture et la navigation. On entre dans la vie du bateau, jusqu'à son utilisation."

Un emploi du temps flexible

En fonction des écuries de course au large, le préparateur est salarié ou prestataire de services. Chez Banque Populaire, ils travaillent "à la pige."

"Il faut être flexible et disponible en cas de gros dossier. Quand on est embauché à la pige, on a du temps perso en off pour faire des courses ou autre chose. La semaine prochaine on ramène le bateau à Lorient pour le remettre en état et le préparer pour la suite. En fonction de son état, on n'aura pas forcément besoin d'être trois. Ce fonctionnement m'arrange parce que j'ai d'autres projets à côté. Ça me laisse une bonne flexibilité au niveau de mes horaires de travail", conclut Felix de Navacelle.

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