On avait oublié, mais en Bretagne, l'été, il ne fait pas chaud.
Nous nous sommes installés à Crozon en 2014, et depuis que nous sommes là, nous n'avons pas vraiment eu un "temps breton" pendant les étés successifs. Je me rappelle d'un 30 mars 2015 où il faisait 30 degrés, et d'un 3 novembre 2016 où il en faisait 21. En Bretagne, depuis que nous sommes arrivés, en été il fait chaud et beau, avant et après l'été aussi.
En 2024, la position de l'anticyclone des Açores resté trop à l'ouest a privé notre région de conditions climatiques estivales et chaudes, et à bord du bateau, cela s'est tout de suite ressenti. Dès le 1er juin, nous devons installer un mini radiateur bain d'huile, afin de ne pas grelotter nuit et jour.
On avait oublié, mais les enfants ça grandit, et les parents ça vieillit
Nos enfants ont grandi, et leurs parents ont vieilli : il y a encore moins de place dans le bateau, et nos corps d'adultes de 40 ans ont bien du mal à s'adapter à cet espace exigu. Le charme de la nouveauté a disparu, et nous avons toutes les difficultés à trouver nos marques et un confort durable pendant cette deuxième saison à bord…
Pour ne pas arranger les choses, notre gréement est endommagé et nous devons changer tous les haubans de Sea-Sea. Nous sommes cloués à la piste jusqu'à ce qu'un gréeur trouve le temps de les remplacer, ce qui ne se fera pas avant la mi-août… Et nous tournons en rond, sur place. Les enfants ne remarquent pas trop ces désagréments, tout glisse sur eux, et tant que nous gardons le sourire, ils sont contents. Pas une seule fois ils n'ont demandé à retourner dans leur maison qu'ils n'ont pas vue pendant 4 mois… et heureusement car s'il avait fallu gérer leur frustration sur ce point, on allait droit au naufrage.
Mais nous avons bien du mal à le garder, nous, ce sourire… Jean et moi nous cognons plusieurs fois par jour la tête ou les jambes, nous ne sommes plus aussi flexibles et tolérants que l'année précédente, et soit nous jurons bruyamment pour expier la douleur, soit nous partons dans des fous-rires nerveux, à chaque fois que nous entendons un bruit sourd, témoin d'une paroi qui est entrée en collision avec notre corps.
Liste non-exhaustive de tout ce qui m'énerve
Je ne supporte plus d'aller m'enterrer tous les soirs dans la banette cercueil, je ne supporte plus que nous n'ayons pas l'eau courante, je ne supporte plus d'aller remplir notre jerrican tous les jours au ponton.
Je ne supporte plus de faire la vaisselle accroupie.
Je ne supporte plus les douches des sanitaires du port qui n'ont pas un débit assez fort pour nous réchauffer et qui sentent les égoûts.
Je ne supporte plus que mes enfants passent tous les jours devant le manège et la pêche au canard installés à l'entrée du port, en me harcelant de les y emmener.
Je ne supporte plus de me faire réveiller le matin par les bateaux de parisiens qui partent à la pêche en hurlant pendant leurs manoeuvres à 7h, et ne conçoivent pas qu'il y a des gens qui dorment dans les bateaux autour en plein mois de juillet.
Je ne supporte plus de devoir sortir du bateau pour rallumer l'electricité à chaque fois qu'elle est coupée toutes les 12h, parfois en pleine nuit parce que cela arrête notre chauffage.
Je ne supporte plus d'avoir froid, d'avoir mal dormi, d'être fatiguée, et de devoir m'occuper toute la journée dans ces conditions de 2 enfants en pleine forme qui ne demandent qu'à courir partout et rigoler.
Je ne supporte plus de devoir démonter ma table du carré pour installer un lit tous les soirs, et de tous les matins démonter ce lit pour retrouver la table du carré.
Je ne supporte plus de ne jamais trouver de place de parking dans le port, et de devoir marcher 10 minutes à chaque fois que je veux prendre la Twingo, on se croirait à Paris !
Je ne supporte plus les fuites d'hydrocarbures qui nous entourent d'une mer qui pue l'essence...
Cette aventure se transforme en chemin de croix, en grande partie à cause du froid et de la pluie qui ne nous laissent que de rares journées de répit.
Quelques rares réconforts viennent adoucir le quotidien
J'investis beaucoup le Relais des Pêcheurs, un bar réconfortant avec un baby-foot, où je me console et me réchauffe en buvant des irish coffee pendant que les enfants jouent en ignorant que leur mère se noie dans le désespoir. Le matin quand je n'ai pas la force de réinstaller la table du carré pour le petit déjeuner, j'emmène les enfants manger à la boulangerie. Les commerces de bouche de Morgat sont ma deuxième maison.
C'est l'enfer, mais nous finissons par retrouver notre gréement. Aussitôt installé, nous partons dans les pires conditions, pétole et pluie, retrouver l'air du large et dégourdir les voiles de notre Écume de mer. De toute façon, après les presque 3 mois que nous venons de vivre, plus rien ne nous fait peur, et cet été là, s'il avait fallu attendre qu'il fasse beau et chaud pour larguer les amarres, et bien nous n'aurions pas eu beaucoup d'occasion de nous échapper.
Après 4 mois de froid, d'humidité, et de souffrances, (plus long qu'un Vendée Globe !) nous finissons par retrouver notre maison, et réalisons que nous venons de réaliser un sacré exploit tous les 4 entassés dans notre Écume de Mer pendant tout ce temps… Cette fois-ci, nous ne sommes pas prêts de recommencer, ou alors avec un bateau bien plus grand - au moins 9 mètres de long - dans lequel Jean pourra se tenir debout sans dépoussiérer le plafond avec ses cheveux.
Nous cherchons donc une belle occasion de 9 mètres, ou pourquoi pas, un autre don de bateau !