Interview / Transat Jacques Vabre 2017 - Thierry Bouchard et Olivier Krauss sur Ciela Village

Rencontre la veille du départ de la Transat Jacques Vabre de l'équipage de Ciela Village. Présentation de ce Multi 50 tout juste mis à l'eau et équipé de foils.

Vous naviguez ensemble depuis longtemps, pouvez-vous nous raconter ?

OLIVIER KRAUSS : La première fois c'était il y a 25 ans ! Je pense qu'on est le plus vieux couple de la flotte. On a d'abord couru en équipage, puis on est passé au double.

THIERRY BOUCHARD : Ça nous est arrivé de changer, mais on est toujours revenu ensemble. On est très différent donc on se complète bien. On a partagé des super moments sur des tours de France ou sur des transats. Maintenant on ne se pose plus de question, c'est naturel. Même s'il y en a un qui fait la gueule, ce n'est pas grave, on sait que ça va passer. C'est ça qui est sympa, il n'y a pas de compétition entre nous. On est content d'être là, de partager la même passion et on fait chacun de notre mieux pour faire avancer le bateau.

Comment s'organise votre vie à bord ? Depuis tout ce temps est ce que des rôles se sont mis en place ?

THIERRY BOUCHARD : On est organisé.

OLIVIER KRAUSS : … à peu près.

THIERRY BOUCHARD : Disons que dans notre bordel, on est organisé.

OLIVIER KRAUSS : Depuis toujours, je me suis un peu plus occupé de la météo et de la stratégie avant et pendant la course. Même si pour cette course on a un navigateur, c'est toujours moi qui l'ai au téléphone. C'est la partie que je gère un peu, même si bien sûr on en discute ensemble. Je fais la première approche.

Sur le fonctionnement du bateau, on n'a même plus besoin de parler. Si l'un est fatigué, l'autre va aider. C'est difficile à expliquer tellement c'est devenu naturel.

THIERRY BOUCHARD : Le but est d'être disponible pour le bateau. On a le même état d'esprit là-dessus. Il faut qu'on partage les choses, l'un se repose pendant que l'autre gère le bateau. Sauf les manœuvres qu'il faut faire en double. Ça va plus vite, c'est beaucoup plus sûr. Surtout dans les premiers jours qui vont être physiques.

Ciela Village
Ciela Village

Qu'est ce qui a mené à lancer le projet d'un bateau neuf ?

THIERRY BOUCHARD : On avait réussi une bonne opération en rachetant Maitre Jacques et en le retapant. On a fait deux bons scores avec. Deux fois deuxième : la Jacques Vabre et la Québec-Saint Malo. Depuis la classe Multi 50 a autorisé les foils sur les bateaux, ce qui n'était pas prévu en 2015 quand on s'est inscrit dans cette classe. On a eu deux choix : ou bien ajouter des foils comme les autres ou repartir d'une page blanche et construire un bateau autour des foils. On a eu la capacité de la faire, donc on l'a fait ! L'aventure technique fait aussi partie de l'aventure sportive. C'est vraiment sympa de pouvoir participer à la construction du bateau. De réfléchir en amont aux choix et savoir pourquoi on a fait telle ou telle chose. Quand on achète un bateau d'occasion, on nous le livre. On nous donne la clef et il faut s'adapter.

Là, on a pu le faire à notre mesure et comme on voulait.

Depuis la mise à l'eau le 4 octobre dernier, quels sont les retours des navigations que vous avez pu faire ? Le bateau est prêt ?

OLIVIER KRAUSS : C'est ce à quoi on s'attendait. On a des bonnes sensations. On est confiant, le bateau à l'air sain, bien né. Mais on n'a pas encore beaucoup navigué dans de la mer et du vent fort avec ce bateau, on ne connait pas encore bien les réglages avec les foils. On découvrira ces réglages pendant la course.

THIERRY BOUCHARD : Le bateau est prêt, il n'y a pas de doute là-dessus. On a confiance dans le bateau, on part serein.

Naviguer avec des foils a beaucoup changé votre façon de naviguer ?

OLIVIER KRAUSS : Ça reste de la voile. Il faut border, choquer, régler, mais il y a des réglages supplémentaires de foils. Le réglage des foils est lié à celui de la dérive, si on monte la dérive, combien il faut mettre de rake ? On nous a un peu aidés, on a quelques infos sur un tableau, mais il faut l'adapter sur l'eau.

Vous pouvez nous présenter un peu ce nouveau bateau ?

THIERRY BOUCHARD : On a des foils en C, ce sont des foils monotypes fournis par la classe Multi 50 pour qu'il y ait une équité entre chaque bateau. Ils sont adaptés à tous les bateaux. C'est un agrégé de tous les architectes qui ont dessinés les Multi 50 actuels qui a permis d'aboutir à cette forme.

Une fois le foil déployé, à partir d'une certaine vitesse il permet de soulever le bateau. Il est possible de les régler comme une aile d'avion pour monter ou descendre - c'est ce qu'on appelle le rake. Sauf qu'au lieu de prendre appui sur l'air, on prend appui sur l'eau. Comme notre bateau est neuf, on a pu installer le foil à l'endroit d'équilibre le plus judicieux. Le foil est très avancé. Sur les anciens bateaux, le bras de liaison empêche d'avancer. Ils ont donc un foil plus reculé, ce qui rendra la conduite du bateau plus difficile. Sur Ciela Village, la position du foil a déterminé la position du bras. Ce sont des bras en X, qui permettent de reculer le centre de gravité du bateau. Par rapport à notre ancien bateau, le mat est reculé d'un mètre.

Les premières sensations sont super, on se régale. On a pu valider dès les premières navigations l'équilibre du bateau et le sentiment de vitesse et de sécurité, car on n'a plus la crainte d'enfourner qu'on avait auparavant. On est au-dessus des vagues et c'est beaucoup plus sympa.

On a plus de volume à l'arrière des flotteurs, comme on n'a des foils que sur l'avant du bateau, suivant le rake – c'est-à-dire l'incidence qu'on met au foil – le bateau va cabrer. Il ne faut pas qu'il s'enfonce dans l'eau, d'où le choix de flotteur plus large.

On a aussi réfléchi avec les archis à l'aérodynamique du bateau pour limiter la trainée. On a construit une casquette qui couvre intégralement le cockpit et toutes les manœuvres reviennent à un piano qui est à l'abri de cette casquette. On a aussi un tunnel entre le mat et la casquette qui permet de cacher tous les bouts, il n'y a plus rien qui traine. On a également recentré les postes de barre parce qu'un poste de barre, sa protection, son winch, beaucoup de bout, d'écoute ... Tout ça ce sont des freins. Quand on sait qu'on peut atteindre des vitesses de 40 nœuds, plus on est caché plus on pourra gagner de la vitesse, comme un carénage de moto.

Tout recentrer va aussi être plus sécurisant et plus confort. Il n'y a plus de réglages à prévoir sous le vent qui sont assez compliqués et parfois risqués quand il y a de la mer.

D'autres évolutions viendront l'année prochaine pour encore améliorer la trainée. Mais déjà là c'est une grosse avancée par rapport aux bateaux plus anciens.

L'habitacle est centré sous le poste de barre, toujours pour reculer le centre de gravité. La difficulté c'est que l'accessibilité est délicate. Il faut bien dormir, mais quand on dort, c'est un peu compliqué de sortir. En double ça va le faire. En solo ça va être plus compliqué. On fera un débrief à la fin de cette transat pour voir comment on fera.

Dans quelles conditions le bateau va-t-il être le plus à l'aise ?

OLIVIER KRAUSS : Dès qu'on peut mettre les foils. À partir de 14-15 nœuds de vent selon la mer. Le bateau se soulage et prend 2-3 nœuds de plus qu'un bateau qui n'a pas de foil. Pour les allures, le bateau est à l'aise dès qu'on tire un peu la barre.

Au départ on va avoir de la mer, une petite accalmie à Ouessant et à nouveau un front à passer avec encore plus de mer. Ça va durer 3 jours, donc pendant 3 jours il faudra faire attention. Ces bateaux ne sont pas adaptés pour ça. Il faut savoir doser, ralentir quand il faut et réattaquer ensuite.

Mais même en faisant attention, les foils vont nous faire gagner énormément. De Cherbourg à Ouessant on a que du travers. Les routages nous donnent 30-32 nœuds avec 25 nœuds de vent, ce sont pile les allures où le bateau va le plus vite. Entre 100° et 110° du vent réel, le bateau peut planter ou giter, donc il vaut mieux avoir une petite voile devant, il faut être prudent. Ce n'est pas très long, mais on est en régate donc si les copains vont 5 nœuds plus vite, on remettra la toile … il faut doser.

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