De Djibouti aux Seychelles, navigations au coeur d'une zone de pirates

Nous retrouvons Annka, le Garcia 62 CC en voyage autour de l'Afrique. Après un passage du Canal de Suez et une descente rapide de la mer Rouge, voilà l'équipage qui arrive à Djibouti avant de s'élancer dans le Golfe d'Aden. Une navigation pas de tout repos comme le raconte son chef de quart.

La descente de la mer rouge restera une vraie partie de plaisir, pas d'arrêts si ce n'est très bref a Port Ghalib, une marina sortie du désert, le temps des formalités de sortie des eaux égyptiennes. Après trois jours de pur bonheur avec un bon vent de travers, le vent est doucement tombé, laissant monter une température presque insupportable.

De la drogue à tous les coins de rue de Djibouti

Et puis c'est l'arrivée à Djibouti dans ce recoin de l'Afrique, ancienne colonie, qui semble avoir été totalement abandonnée. En dehors du mythe de cet endroit, ce qui frappe le plus en arrivant est tous ces types, l'air halluciné, avec au coin d'une joue une grosse boule, comme un gros abcès. C'en est un, mais pathologique, pas dentaire. Tout le monde à Djibouti est accro au kat. Chacun se promène avec ses branches dans une main et sa boule dans la bouche.

Malgré mon ouverture d'esprit aux particularités locales, la déchéance de ce peuple m'a laissé un goût très amer. A tel point que je n'ai pas fait une seule photo de cet endroit. À Djibouti, la vie est dure, principalement avant l'arrivée de l'avion en provenance d'Éthiopie à 14h00, source de livraison du kat. D'une passivité énervée, la population entre dans une passivité inspirée, les yeux hallucinés, le discours divaguant… Et pour accélérer un peu et poivrer leur défonce, ils se repassent des sachets de "brune de Djibouti". De l'héroïne, qu'ils se passent sur les dents, fièrement. En plus, dès qu'ils peuvent, ils boivent à s'étouffer.

Une mauvaise expérience de gardien de bateau

Ça a été le cas d'Hussein, venu dès notre arrivée avec son ami Moustique se recommander de leur sérieux et de leur compétence de gardien de bateau et de guide pour trouver tout le nécessaire à terre. Ils nous avaient été recommandés par un jeune couple que nous avions croisé en Égypte, achevant leur tour du monde.

En rentrant de soirée la deuxième nuit, nous découvrons qu'il se passe quelque chose a bord. Trois personnes sont debout sur le pont. En s'approchant, nous voyons la barque des gendarmes maritimes amarrée à couple du bateau. Après discussion, on apprenons qu'après avoir vidé le bar extérieur du bateau, Hussein est rentré par un minuscule hublot de pont, et en est ressorti avec a la ceinture de son short, un appareil photo numérique. Il ne comprend pas comment il est arrivé là. Sa première version indique qu'il s'est endormi, mais cette version va évoluer et nous préciser qu'il a fait un tour en ville et s'est retrouvé sans le comprendre avec cet appareil à la ceinture. Dehors sur le pont, nous retrouvons les chargeurs et les câbles de connexion. Il avait bien travaillé malgré sa défonce !

J'ai finalement retiré ma plainte lorsque trois jours plus tard, en déclarant notre départ à la gendarmerie, je l'ai découvert enchaîné aux barreaux de l'escalier extérieur avec pour manger, une écuelle de chien.

Véritable dilemme. Nous autres occidentaux, arrivons là avec des bateaux représentant la survie de cent familles. Nous venons de pays potentiellement responsable de l'état du leur. Nous avons une qualité de vie incomparable. Doivent-ils payer ? Je suis resté très troublé de cette expérience.

Du gasoil coupé à l'eau

Avant cet épisode, nous leur avions acheté du gasoil, hélas coupé à l'eau. Avec au moins 150 litres d'eau sur les 700 nécessaire à renflouer les réservoirs. Dès le deuxième jour de navigation dans le golfe d'Aden, le calme s'est installé en nous obligeant à naviguer au moteur. Et dans la nuit, une alarme se déclenche. Je venais de terminer mon quart, il était trois heures du matin, et j'ai passé des heures à mettre en place un système de vidange du réservoir central. Du gasoil partout, le bateau a la dérive, au beau milieu du golfe d'Aden !

Le lendemain, une autre alarme hurle. Cette fois c'est le circuit de refroidissement du moteur qui est hors service. Encore deux heures allongé sur le moteur brûlant à réparer la pompe complètement bloquée. Un avion de la Marine Française nous survole à plusieurs reprises et entre en contact radio avec nous pour s'assurer que tout va bien à bord. Ils nous mettent en garde de la présence de pirates dans la zone, et nous donnent les numéros à appeler en cas de problème. Une intervention rassurante vue que nous dérivons encore un moment dans cette zone pourrie.

Une navigation sous tension

Une nuit pendant mon quart, un point au radar se rapproche vite, vraiment vite. Aux jumelles, je ne vois rien. Plus que 1,5 mille nous sépare. Cette fois pas de doute, ce bateau fait route sur nous. Je démarre le moteur, accélère la marche du bateau, réveille le type du quart précédent pour lui demander son avis. On réveille aussi le propriétaire. Moteur à fond, barre à 90 degrés. Finalement l'embarcation passe, sans que nous n'ayons rien vu. La pression à bord monte d'un cran.

Certaines nuits la VHF déclame des psaumes de prières en arabe. Sortis de la nuit noire, sans aucune raison d'arriver à nos antennes à moins de la présence relativement proche d'un émetteur. Encore un élément troublant qui nous maintient sous pression.

La nuit, les lumières à bord et les feux de navigation restent éteints. Et la route continue, cette descente du Golfe d'Aden durera 8 jours, une sorte de western sans arme. On passe à 10 - 12 nœuds à moins de trente milles de Socotra l'île à l'entrée du golfe d'Aden, sous une lune voilée. Soudain, 4 ou 5 éclats de lumières viennent éclairer le bateau. Gros coup de pression ! Nous ne voyons rien de clair, ni aux jumelles ni au radar. Et encore un coup de flash. Nous ne pouvons rien faire qu'avancer. Alors nous continuons.

Jusqu'à la sortie d'Aden

Le lendemain, nous sortons du Golfe d'Aden. Nous mettons le cap plein Sud. À midi, l'ambiance à bord se détend avec quelques bouteilles de vin et un bon gueuleton. Ça rigole en se disant que ces trucs de pirates, "c'est des conneries pour touristes". Et puis soudain le radar affiche deux bateaux immobiles, dans l'avant tribord. Aux jumelles, nous découvrons deux boutres qui avancent tout doucement. Nous attendent-ils ? Le moteur est démarré, mais un nouveau problème de pompe à eau arrive. J'ouvre la pompe, aspiration pour la réamorcer et ça repart. Les boutres accélèrent. L'un passe devant nous et semble obliquer vers notre arrière-bâbord. Grosse tension. L'autre avance vers l'arrière-tribord. Et puis rien. Ils tracent leur route s'éloignant de nous. À bord c'est la soupe à la grimace, énervés de cette tension permanente dans la zone.

Recrudescence de la piraterie

Plus loin, plus tard, quand nous rallumons les équipements de communication, nous ouvrons les messages de sécurité. Un cyclone y est annoncé, mais il doit passer très loin. Mais surtout nous recevons un message concernant la recrudescence en ce moment des actes de piraterie dans la zone. Le message précise la présence de pirates somaliens sur-armés, et une longue longue liste d'actes répertoriés récemment. Arrivé à Mahé, sur Victoria aux Seychelles, un Sud-Africain me parle de ces trois membres d'équipages morts par balles sur leur bateau à peu près au moment de notre passage. J'en ai froid dans le dos. J'aimerais bien ne plus avoir à repasser par là. Vraiment.

Une vie à bord qui se déroule

La navigation continue sous des nuits superbes, très chaudes, avec des nuées d'oiseaux venus se reposer sur les cordages. À droite, nous suivons l'Afrique, et à gauche très au large se trouve l'Inde, puis l'Asie profonde. Un appel au voyage. Je fais généralement du pain pendant mon quart de nuit, l'odeur tellement agréable.

Le passage de l'équateur vers une heure du matin avec une bouteille de Ruinart dans une nuit superbe restera aussi un souvenir fort. Et la découverte des premières îles des Seychelles, après 16 jours de mer, Marque la fin de cette étape sous tension.

À suivre…

Pour aller plus loin
Garcia 62 CC La fiche technique
18.50 mLongueur hors-tout
5.35 mLargeur - Bau
Berret-RacoupeauArchitecte
Voir la fiche technique du Garcia 62 CC

Garcia Yachts Découvrir

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