Interview / Banque Populaire IX : les modifications du trimaran après le chavirage.

Le Maxi Banque Populaire IX remis à l'eau à Lorient © Bateaux.com

Après quatre mois et demi de chantier, le Maxi Banque Populaire IX est de nouveau à l'eau. Une mise à l'eau réalisée le 29 août 2018 à laquelle nous avons pu assister. Nous en avons profité pour poser quelques questions sur le chantier effectué à Pierre-Emmanuel Hérissé, responsable technique Banque Populaire.

Quelles ont été les modifications apportées sur le bateau pendant le chantier ?

Les modifications essentielles sur le bateau ont porté sur l'ergonomie. La déconvenue du chavirage nous a servi d'école pour réparer et remettre en état le bateau, mais aussi pour corriger des petites erreurs de naissance liées à l'ergonomie générale.

On avait volontairement mis un bateau à l'eau assez minimaliste en vue de faire une transatlantique qui était la Route du Rhum. Le bateau était léger avec assez peu de protection. Le fait d'avoir chaviré a détruit le peu de confort qu'il y avait sur le bateau. On a donc choisi de l'optimiser plutôt que de le refaire à l'identique.

On a apporté les modifications qui étaient déjà un peu perçues après les premières navigations, en vue du tour du monde. On a agrandi la casquette, on a fermé un peu plus le cockpit et on a rendu les manœuvres plus protégées, plus confort et plus safe.

Et celles spécifiques à l'anti-chavirage ?

Il y a des systèmes qui existent depuis longtemps à bord de nos bateaux. Ce sont des systèmes anti-chavirage que l'on avait partiellement à bord lorsque la mésaventure nous est arrivée, mais qui n'étaient pas opérationnels. Tout simplement parce que, quand on commence à naviguer, il y a une to-do liste avec des priorités. À l'époque on naviguait essentiellement en équipage, ce n'était donc pas notre priorité absolue que d'avoir ce système opérationnel à 100 %, mais à 50 %.

Depuis on a mis les bouchées doubles pour que ce système soit en place et fonctionnel. On a également rajouté quelques systèmes de largage manuel que nous n'avions pas. Je parle d'écoute de grand-voile, de bascule de mât. Il y a pas mal de choses qui étaient projetées sur la liste, mais qui n'étaient pas mises en œuvre. Aujourd'hui, non seulement elles sont opérationnelles, mais on est allé un peu plus loin sur l'accessibilité de ces commandes de choquer.

Ça évitera que ça se reproduise et à nous d'être vigilants. Mais ce qui nous est arrivé aurait pu arriver à d'autres. Effectivement, on se doit de se remettre en question, mais ça fait partie du risque.

Du coup, on s'est un peu bardé. On a des systèmes électriques, à déclenchement électrohydraulique, on a des systèmes manuels, et on a essayé des systèmes automatiques. En gros, une alarme fait office de valeur tampon et se déclenche lorsque le bateau atteint une certaine gîte. Cela va déclencher une valve, qui va larguer un taquet, qui va larguer une écoute, qui va ouvrir une voile et qui va repousser le chavirage et faire en sorte que le bateau ne chavire pas. Tout ça de manière automatique.

Pouvez-vous nous en dire plus ce système automatique ?

C'est un logiciel, un système assez complet. C'est un cerveau électrique, qui commande des valves mécaniques, qui actionnent le taquet, qui libère les écoutes. Le paramétrage se fait via le logiciel. On peut influer sur des paramètres de gite, d'accélération, de tangage, de roulis. Tu choisis tous les paramètres qui te semblent justes au regard de la performance et de la sécurité.

Pourquoi ne pas avoir effectué de grosses transformations ?

D'une part, je dirais parce que le bateau était plutôt bien né, sans prétention. Il y a des choses à revoir, mais pas fondamentalement. Et puis surtout, on a assez peu navigué. Tout remettre en question alors qu'on n'a pas tant navigué que ça, c'est une erreur. Enfin, le dernier paramètre qui n'est pas des moindres c'est qu'on s'est un peu battu contre le temps pour être de nouveau à l'eau, prêt, performant et compétitif pour le Rhum.

Si on devait tout remettre en question, refaire du développement sur chacun des sujets qui nous paraissait entre guillemets perfectible, on n'aurait jamais eu le temps de la mise en œuvre. Parce que ça implique du bureau d'étude, du dessin, des calculs... Donc on a fait les corrections qui nous paraissaient nécessaires ou des erreurs manifestes, mais on n'a pas refait l'ensemble global du bateau.

Quel est l'objectif des prochains mois ?

Le prochain objectif, maintenant que le bateau est reconstruit, réparé, de nouveau prêt à naviguer, va être, le plus rapidement possible, d'être en ordre de marche pour aller l'essayer dans toutes les conditions possibles de mer et de vent. On va clairement essayer d'intensifier le programme de navigation pour essayer de rattraper tous les jours perdus en avant saison.

On va, dans la mesure du possible, et si l'on n'a pas de contraintes techniques, multiplier les sorties à la journée ou sur plusieurs jours, au large, en équipage. C'est déjà au programme de cette semaine. Le bateau va toucher l'eau dans quelques minutes, on va le mâter et dans deux jours on ira naviguer. On va essayer de répéter ça de façon très régulière, toutes les semaines, sur plusieurs jours de façon à s'assurer d'une part que le travail accompli est viable et que l'on a peu d'imperfections et pas trop de corrections à apporter.

À la suite de ça, on s'attèlera à la performance pour vérifier que l'on est toujours compétitif et qu'Armel a toutes les chances de gagner une place digne de ce nom sur la Route du Rhum. On va commencer en équipage et très vite, on le lancera en solitaire. Parce qu'au-delà de naviguer pour enrichir son expérience et la maitrise du bateau, on a quand même la contrainte de la qualification à la Route du Rhum qui n'est pas encore acquis. Si tout va bien, je dirais qu'on peut imaginer que d'ici une quinzaine de jours, il soit potentiellement en navigation en solitaire pour se qualifier.

Ces 1 200 milles de qualification sont suffisamment intéressants pour montrer à tous que le bateau est capable d'enchainer des navigations longues et que c'est aussi accessible. Il ne faut pas des jours et des jours pour atteindre cet objectif.

Ce qui nous rassure aussi c'est que ce n'est pas notre première mise à l'eau. Si le bateau n'avait jamais navigué, ou peu, 1 200 milles ça aurait été léger comme entrainement pour participer à la Route du Rhum. On a quand même fait plus de deux transatlantiques avec le bateau. On a quand même un recul ce qui nous rassure un peu. Mais c'est sûr qu'il faut très rapidement se mettre en ordre de marche en solitaire.

Trois mois c'est suffisant pour être prêt au départ de la RDR ?

C'est suffisant pour être au départ. C'est suffisant pour sur le papier avoir autant de chance que nos concurrents qui seront présents au départ. C'est sûr que plus de temps nous aurait permis de soigner les moindres petits détails, de peaufiner la préparation.

Dans ce cas de figure, c'est sûr qu'on va être obligé de faire des concessions dans certains domaines, mais ça reste encore tout à fait gérable. Et encore une fois, je tiens à le préciser, on ne part pas de zéro, on a quand même navigué, traverser l'atlantique deux fois, on a fait un paquet de navigation au large et en côtier qui nous ont permis d'acquérir des données de performance, mais aussi de voir le comportement du bateau dans son ensemble.

On est plutôt rassuré sur le fait que ce bateau, avec Armel à la barre soit capable de traverser l'Atlantique en course dans de bonnes conditions de sécurité, mais aussi en ayant toutes ces chances de pouvoir obtenir un bon résultat. Évidemment, on serait six mois plus tôt, ce serait encore mieux. Notre concurrence pendant ce temps-là progresse. Ça fait partie du jeu ! On va essayer de faire en sorte de revenir à niveau très vite !

Mais tout le monde à son petit lot. Il y a ceux qui pensaient naviguer un peu plus, mais qui n'ont pas pu le faire par exemple. Évidemment que la concurrence est rude ! On n'est pas tout à fait dans la même configuration qu'il y a quatre ans, c'est certain. Les bateaux ont évolué, sont de plus en plus performants, sollicitant, il y a plus de monde au départ. Le plateau est riche, avec de l'expérience, les mecs sont hyper talentueux, notamment deux, ces dernières années, qui se partagent le haut du panier. Donc on va voir.

En tout cas, on a tout pour bien faire. On a à la fois un beau bateau, une équipe du tonnerre, un partenaire qui nous suit depuis très longtemps et assume tous nos faits et gestes donc c'est super.

Est-ce que le chavirage changera la manière de naviguer ?

Au niveau des appréhensions ? Évidemment un chavirage n'est pas anodin et ça laisse forcément un peu de traces parce que c'est un petit cataclysme dans la préparation. Si on ne parle que d'Armel, pour commencer à bien le connaitre après ces nombreuses années de travail en commun, je pense que c'est quelqu'un qui a une force de caractère incroyable. Il l'a notamment prouvé à chaque épreuve à laquelle il a participé.

Je pense savoir qu'il est tout à fait remis ou en tout cas peu impacté puisque l'histoire s'est plutôt pas mal terminée. C'est un gagnant, un compétiteur avec une hargne, une soif de gagner toujours aussi présente. Il sera suffisamment au fait de la maitrise de son bateau pour appuyer, donner un rythme quand il le faudra, sans pour autant prendre des risques inconsidérés.

C'est sûr qu'il a maintenant un petit paramètre en lui qui lui permet de déterminer certaines limites qu'on n'avait pas précédemment. Je n'ai pas le sentiment que ça l'ait impacté plus que ça même si c'est sûr qu'on s'en serait très bien passé.

Crédit photos : Bateaux.com

Plus d'articles sur le thème
Réagir à cet article
Ajouter un commentaire...