Interview / Titouan Lamazou : Point de vue sur la course au large et la navigation de plaisance

Titouan Lamazou © Tatiana Salmon

Célèbre navigateur, Titouan Lamazou, nous livre sa vision sur l'évolution de la course au large depuis qu'il l'a quittée, ainsi que sur la plaisance et son nécessaire changement.

Echange avec le navigateur Titouan Lamazou sur sa vision de la plaisance et de la course au large.

Comment voyez-vous l'évolution de la course à la voile ?

L'évolution technique, elle, me paraît normale. Plus sûrs, les bateaux d'aujourd'hui sont aussi plus rapides… Je dois dire que les vitesses affolantes qui sont atteintes maintenant me fascinent. Quand j'ai fait le tour du monde en 109 jours, c'était déjà bien plus rapide que ceux qui le faisaient des décennies avant, en 300 ! Et ça a encore accéléré ces dernières années… Même si cette contraction du temps a ses limites aussi, car on ne fera jamais le tour du globe à la voile en quelques secondes. Et puis, on peut se demander aussi s'il est bien sage de dépenser des fortunes pour grappiller encore des nœuds, notamment en finançant des foils au coût exorbitant… Ca fait sans doute partie du jeu aussi : à mon époque, mon bateau était au top de la technologie d'alors ! Mais, je reste assez d'accord avec Le Cam qui a fait différemment et avec succès… Il y a tout de même quelque chose qui me gêne vraiment dans la course à la voile actuelle…

Le coût des foils et appendices interrogent Titouan Lamazou
Le coût des foils et appendices interrogent Titouan Lamazou

De quoi s'agit-il ?

Eh bien, c'est de la communication tous azimuts dont je parle. A mon époque, on n'avait pas de GPS et on utilisait seulement la radio basique… que l'on pouvait faire mal fonctionner à l'envie d'ailleurs, si le besoin de rester solitaire se faisait sentir… Bref, on pouvait être vraiment isolé, loin du monde tout en faisant le tour ! Aujourd'hui, les skippers sont contraints de communiquer tous les jours sous peine de pénalités. Ils ont le téléphone sous la main, comme à la maison, et sont en contact constant avec leur entourage, avec les médias… Je comprends bien que les sponsors veuillent un retour sur investissements, mais je trouve que toute cette communication va à l'encontre du concept de course en solitaire, non ? Et puis, disons-le, tous les navigateurs ne sont pas intéressants au point de les faire parler quotidiennement. Vous savez, sur un bateau, pendant ce genre de course, il ne se passe pas grand-chose à bord : on tire quelques bords dans la journée, parfois même pas un… Alors, bien sûr, il y a Kersauson et d'autres marins rigolos comme lui, mais ça n'est pas la majorité !

Vous êtes-vous considéré comme un plaisancier à un moment de votre vie ?

Non… En fait, le concept de « plaisance », de « navigation pour le plaisir », m'est étranger, je vous le dis très sincèrement. Je n'ai jamais fait de bateau pour mon plaisir, mais pour concourir, ou plus simplement pour me déplacer, c'est tout. Pour moi, les bateaux sont des outils. Et d'ailleurs, ils le sont depuis la nuit des temps. La plaisance, elle, n'a vu le jour qu'au début du 20e siècle, et s'est démocratisée ensuite. Elle est dans la lignée des congés payés des années 30, et des activités de loisir qui ont été alors générées, avec force marketing pour les promouvoir. Moi je suis resté au bateau version utile, voilà tout !

Que pensez-vous du développement de la plaisance ?

Aujourd'hui, ce qui me gêne vraiment dans la plaisance, c'est qu'elle participe de cette consommation effrénée, généralisée, qui va à l'encontre de la préservation de notre environnement. On estime les ports saturés de bateaux ? Alors, pour les désengorger, on imagine d'en créer des supplémentaires flottants, ou des parkings souterrains pour bateaux… Et la plaisance fluviale, c'est comme la plaisance maritime à moteur… côté écologie, il y a mieux, non ? Je me rappelle d'avoir vu sur le Lot, une file ininterrompue de pénichettes, toutes au moteur gasoil ! Et tout ça pour quelques jours d'utilisation seulement dans l'année… Ne vaudrait-il pas mieux limiter le nombre de bateaux, tout simplement, et restreindre leur utilisation à des buts pratiques, utiles ?

L'extension permanente des ports de plaisance inquiète Titouan Lamazou
L'extension permanente des ports de plaisance inquiète Titouan Lamazou

Vous voudriez réfréner les ardeurs des amoureux de la voile ?

On ne peut pas, bien sûr, aujourd'hui, empêcher les gens d'aller chercher du bonheur, du réconfort sur leurs bateaux. Même si interdire la plaisance du jour au lendemain, ce qui est assez radical j'en conviens, serait nécessaire pour vraiment protéger notre environnement avec lequel on a un vrai gros problème ! En fait, il faudrait surtout tout faire pour que les gens n'aient plus envie d'aller en chercher ailleurs, du bonheur, et en l'occurrence en mer. Il faut tout faire pour que leur vie soit plus douce et vivable là où ils résident. On pourrait trouver des solutions, des idées, temporaires, de transition seulement bien entendu, pour que la plaisance soit plus écolo. Par exemple, le recyclage des bateaux. Quand ils étaient en bois, on les laissait dans des cimetières et ils se décomposaient d'eux-mêmes, mais maintenant qu'ils sont en plastiques et matériaux composites… L'autre idée, serait de favoriser la location de bateaux. Au moins limiterait-elle l'utilisation et donc sans doute la fabrication de bateaux nouveaux qui finalement impactent vraiment notre environnement sans être presqu'utilisés.

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François Ruby
François Ruby
Et que penser d'un morceau de viande qui court apres des billets en mangeant sa salade qui fait faire des rots sous les yeux d'une banquière ? Un peu plus sérieusement : La plaisance hyper consumériste a effectivement remplacé la voile, sportive, voyageuse ou comptemplative. Voir les écoles de voile qui remplacent les dériveurs par des canoés, des paddles ou autres scooters pour remplir les caisses en oubliant de renumérer les bons "moniteurs de voile". Et je pourrai encore citer toutes ces enfants, à deux à bord des optimists qui n'ont de souvenirs de la voile que les coups de bôme coincés dans une caisse prête à chavirer ! Merci Titouan de mettre un peu les pieds dans le plat, il y aurait encore tant à dire qu'à faire ...
Daniel Rio
Daniel Rio
Sans aller jusqu'au monotype, la création d'une classe 50 pieds de 6 tonnes pour le vendée globe, à l'image des class 40, permettrait à chacun de naviguer à armes égales avec un budget encore raisonnable.
Pierre Chazeau
Pierre Chazeau
Bonjour .Je suis surpris des propos tenus par Titouan. Il dit n avoir jamais navigue pour le plaisir ,mais alors que pour le "fric".Merci pour les navigateurs de courses au large qui ne sont pas interressants ne devons nous parler que des celebrites de la voile lors de la prochaine jacques vabre??? Depenser des fortunes pour l avancement de la technologie .Il le dit lui meme son bateau etait au top , a t il pour autant refusé de naviguer dessus ? non. Combien d emplois genere l industrie nautique ?? Veut il remplacer le plaisir de la navigation par la navigation virtuelle sur un ecran ? Quoi de plus beau que des gamins dans des optimistes essayant de prendre la bonne risee et de virer la bouée ? Pour ma part j ai un metier difficile et quand je suis sur mon modeste Sun Fast 20 j oubli toutes les contraintes et je me refait. voile egale zero gaz et ni consommation effrenee . Commencons par taxer les yachts ancres dans les grands port de mediterrannee et navigant sous pavillons de complaisance . Les bateaux de location avez vous vu les prix personnellement je n ai pas les moyens .
Oivier Martin
Oivier Martin
Faudrait peut être pas oublier, que la mer reste un espace de liberté pour beaucoup. Ayant vendu des centaines de voiliers, j'ai vendu du bonheur avec, et de même, Titouan à gagner sa vie en nous faisant rêver....On ne crache pas dans la soupe, quand une passion est votre gagne pain !
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