La fibre de carbone recyclée va-t-elle transformer la course au large ?

Le carbone est très polluant mais très performant

Face à l'urgence climatique, le nautisme explore le potentiel des matériaux recyclés. François Gabart et Armel Tripon portent des projets ambitieux autour de la valorisation des déchets de carbone générés par le milieu de la course au large. Leurs initiatives distinctes démontrent que durabilité et performance ne sont pas incompatibles, mais nécessitent des efforts techniques et financiers.

Le secteur nautique, souvent à la pointe de l'innovation technique, doit relever un défi de taille : réduire son impact environnemental. Les matériaux composites, essentiels pour garantir performance et légèreté, sont parmi les plus difficiles à recycler. Pourtant, le carbone recyclé, issu notamment de l'aéronautique, apparaît aujourd'hui comme une solution crédible. Deux figures de la course au large, François Gabart avec MerConcept et Armel Tripon avec son projet d'IMOCA bas carbone, mènent des initiatives distinctes qui s'inscrivent dans cette dynamique.

MerConcept : structurer une filière pour les composites 

MerConcept, fondé par François Gabart, s'investit dans la création d'une économie circulaire pour les composites. En collaboration avec Extracthive, spécialiste des matériaux complexes, l'entreprise s'attaque au recyclage des fibres de carbone issues de bateaux en fin de vie. Actuellement, ces déchets sont majoritairement enfouis ou incinérés, une solution peu durable.

François Gabart insiste sur la nécessité de changement : "Aujourd'hui, seuls 5 % des matériaux composites sont recyclés dans le monde. Il est crucial de trouver des solutions pour revaloriser ces matériaux et les réintégrer dans nos chaînes de production."

MerConcept développe des procédés permettant de récupérer les fibres tout en conservant leurs propriétés mécaniques. Ces fibres pourraient être utilisées non seulement dans la construction navale, mais également dans d'autres secteurs, élargissant ainsi les débouchés pour le carbone recyclé. Pour commencer, MerConcept a réalisé des dorades d'évents de ballast sur l'IMOCA de Charlie Dalin Macif, pour le Vendée Globe 2024, composés à 100% en fibres de carbone recyclées. L'entreprise espère rapidement réaliser d'autres pièces avec ce procédé.

Armel Tripon : un Imoca innovant et bas carbone

construction de l'IMOCA en carbone recylé
construction de l'IMOCA en carbone recylé

Pendant ce temps, Armel Tripon s'inscrit dans une démarche expérimentale en construisant un Imoca destiné au Vendée Globe 2028. Conçu à 70 % de fibres de carbone déclassées provenant de l'aéronautique, ce bateau devrait permettre de réduire les émissions liées à sa construction de 50 %, soit environ 300 tonnes de CO₂ économisées par rapport à une production avec des matériaux classique.

Armel Tripon explique son approche : "Utiliser du carbone recyclé est un choix qui répond à une double exigence : maintenir la performance tout en réduisant l'impact environnemental. Chaque kilogramme de carbone neuf évité est une avancée."

Le projet, réalisé à Malville, dans un chantier dédié et mis à disposition par Duqueine Atlantique, un sous-traitant d'Airbus, constructeur et mécène du bateau, mobilise des technologies avancées et met également l'accent sur la valorisation d'autres déchets lourds, comme le titane. Ce dernier, récupéré du secteur médical, est utilisé pour l'accastillage de l'IMOCA qui porte justement les couleurs d'une association qui œuvre en milieu hospitalier.

Les chiffres clés du recyclage dans le nautisme

La question du recyclage dans le nautisme reste marginale, mais les perspectives sont prometteuses :

  • En 2022, environ 55 000 tonnes de déchets composites ont été générées par l'industrie nautique en Europe, selon une étude de l'International Boat Industry (IBI).
  • Seulement 2 000 tonnes de composites ont été recyclées, soit moins de 4 % des volumes totaux.
  • La réutilisation des fibres de carbone pourrait réduire de 30 à 50 % les émissions liées à la construction des coques et des mâts, selon des données de l'Agence européenne pour l'environnement.

Ces statistiques montrent l'ampleur du défi à relever, mais également le potentiel de projets comme ceux de François Gabart et d'Armel Tripon pour systématiser davantage le recyclage.

Les défis techniques et économiques

Malgré leur potentiel, les composites recyclés ne sont pas sans contraintes. Les procédés pour séparer les résines des fibres sont coûteux et énergivores. Ils nécessitent une technologie avancée pour garantir une qualité suffisante des fibres récupérées. François Gabart souligne : "Recycler est une première étape, mais il faut s'assurer que les fibres réintégrées dans les nouveaux matériaux conservent des propriétés mécaniques optimales."

Pour Armel Tripon, le défi est de démontrer que ces fibres recyclées peuvent supporter les conditions extrêmes d'une course comme le Vendée Globe. Son IMOCA servira de test grandeur nature pour évaluer la durabilité des matériaux sur le terrain.

Vers un recyclage généralisé ?

Les initiatives de François Gabart et Armel Tripon montrent que le recyclage des composites est possible et pertinent, mais leur généralisation nécessitera des investissements significatifs. Selon une étude de Boat Digest, une augmentation de 20 % des capacités de recyclage en Europe pourrait permettre de traiter jusqu'à 12 000 tonnes de déchets composites par an d'ici 2030.

Cependant, la viabilité économique du recyclage dépendra de la baisse des coûts et d'une meilleure sensibilisation des acteurs de l'industrie. Pour François Gabart : "C'est une responsabilité collective. Si chacun s'implique, des solutions pérennes peuvent émerger rapidement."

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