"J'ai dérivé pendant 17h sur ma planche à voile", le planchiste nous raconte son sauvetage

© SNSM de Carro

Lors d'une sortie en planche à voile au large de Carro, une baisse de vent et un fort courant empêchent Francis Moreau, pratiquant expérimenté, de revenir sur la plage. S'en est suivie une dérive nocturne de près de 17h… Récit et entretien autour d'une très longue nuit qui s'est heureusement bien terminée.

Une sortie comme les autres sur un spot connu

Le spot de Carry le Rouet
Le spot de Carry le Rouet

Enseignant à Carry-le-Rouet, Francis Moreau navigue depuis toujours sur les différents spots de la Côte Bleue, à l'ouest de Marseille. Il pratique de nombreuses activités nautiques et il est également un montagnard averti. Il est donc en très bonne condition physique.

En ce samedi 26 avril 2021, les conditions sont bonnes et plutôt modérées pour la pratique de la planche, avec un petit force 5. "Je suis sorti avec une voile de 4,7 et j'ai navigué pendant une bonne heure, dans un flux de Nord Ouest assez irrégulier. Puis en fin d'après midi, le vent est tombé alors que j'étais en train de tirer un bord au large. N'ayant plus de pression dans la voile, je n'arrive pas à effectuer de water-start et à repartir."

Impossible de revenir sur la plage

Francis se retrouve bloqué au large, à la dérive sur sa planche. Le courant et un faible vent l'emportent vers un axe Sud Est.

"En cette fin avril, l'eau était assez froide, j ai commencé à avoir une crampe. Je me suis donc assis sur la planche et j ai commencé à faire des signes pour essayer d'attirer l'attention. Plusieurs Wingfoils étaient sur le plan d'eau, mais ils ne naviguaient pas sur le même axe que moi. Après ma nav, je devais rendre visite à mon père, donc je savais que ma famille n'allait pas s'inquiéter avant la fin de la journée."

Les heures passent, il fait encore jour, mais Francis commence à souffrir du froid. Il est équipé par une combinaison néoprène adaptée à la saison (5/3), des bottillons, un bonnet de piscine et une cagoule en néoprène par-dessus.

"Trois bateaux (deux voiliers et un cabin-cruiser) sont passés près de moi, entre la côte et ma position. Mais je ne suis pas parvenu à attirer leur attention."

La nuit tombe et les secours sont déclenchés

Peu après 19h, la famille de Francis alerte le Cross pour annoncer qu'il n'est pas revenu. Sa voiture est toujours sur le parking de la plage, sans son matériel de navigation. La nuit tombe sur un plan d'eau qui s'est complètement vidé. Les secours sont déclenchés et commencent à quadriller la zone de navigation. Plusieurs moyens nautiques et aériens sont sollicités :

  • Le canot tout temps SNS 073 de la station de la société nationale des sauveteurs en mer (SNSM) de Carro
  • L'hélicoptère Dragon 131 de la Sécurité civile
  • L'hélicoptère Panther de la Marine nationale
  • La vedette « Mona » du Sauvetage en mer de la côte bleue (SMCB)
  • La vedette SNS 152 de la station SNSM de Marseille (armée par les marins-pompiers de Marseille)
  • L'embarcation légère d'incendie et de secours « Frioul » du Bataillon des marins-pompiers de la Marseille
  • Patrouille et semi-rigide des sapeurs-pompiers du SDIS 13 sur le littoral
L'hélicoptère de la Sécurité Civile
L'hélicoptère de la Sécurité Civile

En raison du manque d'informations, le CROSS a mal évalué la dérive et les recherches ne sont pas concentrées sur la bonne zone. Impuissant, sans moyen de repérage lumineux, Francis observe de loin le ballet des recherches, sans pouvoir se manifester. Impossible pour les pilotes de le distinguer de nuit, parmi le léger clapot. La pleine lune et l'absence de nuage ne suffisent pas à le repérer.

Une longue nuit qui aurait pu mal se terminer

La zone de recherche du CTT de Carro
La zone de recherche du CTT de Carro

Entre 2 et 3 h du matin, le Cross met fin aux recherches, l'objectif étant de reposer les équipes pour mieux les reprendre au lever du jour. "Je suis passé de « froid » à « très froid »", plaisante Francis. Après de multiples chavirages, seul au milieu des flots sans moyens de recherches autour de lui, la situation n'est pas des meilleurs. Il décide alors de larguer son gréement et de ramer sur sa planche, comme le ferait un surfeur. L'antidérapant lui écorche les mains, et il rame en alternant un bras à la fois.

"J'ai décidé de viser l'île du Planier, distante de 3-4 milles. J'ai gardé le moral, car je savais que la météo serait bonne au lever du jour et que beaucoup de pêcheurs sortiraient au petit matin. Je m'encouragerais en me disant que je n'avais qu'à tenir jusqu'à 7 h du matin. Et j'ai également beaucoup pensé à ma famille..."

Puis la délivrance arrive vers 7h30 . Un petit bateau de pêche repère un objet flottant au large de Planier, mais ne se rend compte de la présence d'un être humain à ses côtés qu'au dernier moment ! Francis est sauvé. Il est rapatrié au port de Carry-le-Rouet pour être pris en charge par les secours, qui l'emmènent à l'hôpital. Hormis une déshydratation et une bonne hypothermie, il va bien.

Les leçons à en tirer

Francis a eu beaucoup de chances et reconnaît sans détour les différentes erreurs qui l'ont amené à cette mésaventure.

En premier lieu, et peu importe l'activité, il faut toujours prévenir un référent à terre de l'horaire de début et de fin de navigation. La famille de Francis a commencé à s'inquiéter vers 19h, au moment du couvre-feu. Si l'alerte avait été donnée plus tôt, les recherches auraient eu lieu en plein jour et il n'aurait peut-être pas passé la nuit en mer.

Francis n'avait aucun moyen actif de signaler sa présence aux secours. Il est impératif d'embarquer un moyen de signalisation nocturne et diurne. Le bâton de cyalum de par son faible coût et sa résistance aux chocs est un indispensable. Le miroir de signalisation en polycarbonate représente aussi un accessoire très efficace pour se manifester en plein jour. Pour moins de cinq euros, vous pouvez vous équiper avec ces deux produits.

En complément, la montre d'alerte et de localisation DIAL, étanche et antichoc, est plébiscitée par la SNSM.

Enfin,la sortie en groupe est toujours un mieux, mais n'empêche pas l'incident. Un évènement similaire est arrivé à un windsurfeur au large de Gruissan, alors qu'il était sorti avec trois autres pratiquants.

Il n'est pas aisé d'embarquer du matériel de sécurité sur une planche à voile. Les harnais sont pour la plupart dépourvus de poche et on ne peut pas attacher de sacs étanches au flotteur ni au gréement.

Et Francis ajoute : "C'est un problème qui est arrivé très souvent, parfois même à de grands champions. Mais ça n'excuse en rien ce genre d'ânerie. J'ai rencontré l'équipage de la SNSM de Carro, ainsi que les pilotes d'hélicoptère, pour débriefer sur l'accident. J'ai eu beaucoup de chance. Le même problème, mais avec une blessure ou une perte de matériel et la conclusion n'aurait pas été la même. J'aimerais maintenant pouvoir participer à l'évolution des mentalités, tant en termes de matériel que d'habitude à adopter."

Francis a-t-il re-navigué depuis sa mésaventure ? "Oui, mais en habitable. Je n'ai pas encore eu l'occasion de sortir en windsurf, mais j y retournerai dès que les conditions seront propices. Mais avec mon matériel de sécurité !"

Plus d'articles sur le thème
Réagir à cet article
Christian Plateau
Christian Plateau
Eh oui, c'est toujours après un retour "chaud" que se forgent nos expériences.
Benoit Rousseau
Benoit Rousseau
N'aurait-il pas dû larguer sa voile plus tôt tout simplement?
Ajouter un commentaire...