Portrait / Jean-Marie Finot, une grande figure de l'architecture navale française

Jean-Marie Finot a voulu devenir architecte dès sa plus tendre enfance. Une activité qu'il a pratiquée pendant de nombreuses années, dessinant bateaux de croisière et de course, en collaboration avec Pascal Conq. Portrait

Vouloir construire et reconstruire

Quand on lui demande de nous parler de son métier d'architecte naval, Jean-Marie Finot répond tout net "Je suis architecte, point." Une vocation qui lui est venue tout petit, à son retour dans son village des Vosges, après la Seconde Guerre mondiale.

"C'est né à 3 ans ½. Je suis revenu de la campagne, après les bombardements. Il n'y avait plus rien, uniquement des ruines. Tout avait été détruit par la guerre. Et à ce moment-là, on a qu'une envie, reconstruire tout ce qui a été détruit. C'est un peu maladie que j'ai de vouloir refaire tout ce qui ne marche pas. À 4 ans, on m'avait déjà dit que j'étais très imaginatif."

S'il navigue à 16 ans sur le Lac de Gérardmer, c'est en faisant des stages aux Glénans qu'il découvre la voile. Il dessinera d'ailleurs pour l'école de voile le Galiote en 1970, puis le Nautile, directement inspiré de son prédécesseur, en 1971.

Le Galiote
Le Galiote

Étude d'architecte et stages aux Glénans

Plutôt bon en maths, il se destine à des études d'ingénieur dans le but de devenir architecte.

"J'ai navigué pendant 7 ou 8 ans aux Glénans. J'y ai fait la connaissance de Philippe Harlé, qui est à l'époque le directeur technique de l'école. Il s'était mis à son compte en tant qu'architecte et cherchait quelqu'un pour l'aider. En parallèle de mes études, c'était bien d'apprendre comment organiser un plan et faire construire des habitables en série. J'ai donc commencé à dessiner des bateaux avec lui."

Son premier bateau voit le jour en 1967, il s'agit du Rebelle, un bateau pour la journée pour naviguer sur la Seine.

"Dans ma famille, on a toujours dessiné. Mon arrière-grand-père était lithographe. Mes parents, mes grands-parents dessinaient par pur plaisir. C'est agréable de vivre ça. Je ne sais pas dessiner comme ça, mais c'est dans mes gênes."

Après son mariage, il se dit que l'architecture navale, ce n'est pas sérieux. Il souhaite alors dessiner des maisons.

La naissance de l'Écume de Mer et de sa carrière

"J'ai terminé mes études assez vites et dessiné un dernier bateau avec Philippe Harlé. C'est finalement devenu l'Écume de Mer. À la base je voulais en faire un bateau de croisière côtière, qui vienne échouer sur la plage. Mais c'est finalement devenu un bateau de course."

En effet, n'ayant pas de trouvé de chantiers français intéressés pour construire le bateau, Jean-Marie Finot et Philippe Harlé ont finalement accepté la proposition du hollandais Walter Huisman : construire l'Écume de Mer à condition qu'il rentre dans la catégorie Quarter Ton. Le voilier est d'ailleurs élu "bateau de l'année en 1975".

Au vu du succès de ce plan Finot – et notamment de son tableau arrière –, l'architecte est alors contacté pour dessiner des bateaux. C'est ainsi qu'il lance son activité en 1973.

"J'ai dessiné des bateaux pour le chantier Mallard, pour Bénéteau (série des First), pour les Italiens, pour les Japonais… C'étaient des bateaux à la jauge IOR. Ensuite j'ai dessiné des bateaux pour la croisière, agréables et rapides. Je n'ai jamais cherché à avoir des clients. On est toujours venu me chercher ou alors j'ai eu l'idée de faire quelque chose, je l'ai proposé et ça a marché."

Ecume de Mer
Ecume de Mer

Le tournant de la course au large

En 1985, l'architecte s'associe avec Pascal Conq. Le cabinet se tourne alors vers la course au large, construisant notamment des prototypes Mini 6.50. Mais aussi le Figaro Bénéteau. Jusqu'à l'arrivée des IMOCA.

"On dessinait des bateaux sans jauge pour la Mini Transat. L'idée c'était d'aller le plus vite possible, d'être solide et de gagner la course. Ça correspondait à mon tempérament. On a dessiné des bateaux qui ont gagné la Mini Transat pendant 10 ans et dessiné au total 18 IMOCA. C'étaient les tout premiers bateaux tout en carbone, avec un mât carbone. Ce qui me rend fier, c'est que sur le dernier Vendée Globe (2020-2021), nous avions 3 bateaux au départ, qui ont tous terminé la course, malgré qu'ils aient plus de 10 ans."

Le cabinet alterne ainsi les chantiers de bateau de série et de bateaux de course.

"Les bateaux de série sont aussi importants que les bateaux de course. On essaye de faire le mieux possible dans tous les cas. Que ce soit pour la construction d'une maison, ou d'un bateau, ce qui est important c'est que les gens doivent être en harmonie avec eux-mêmes, avec le bateau et l'équipage. À l'intérieur d'un bateau, ils sont heureux, ils font partie du vent, de la mer, des vagues. J'ai des coureurs qui sont venus me remercier après le Vendée Globe pour me dire qu'ils avaient été très contents sur mon bateau."

Figaro Bénéteau
Figaro Bénéteau

Un design pour gagner en puissance

Très vite, Jean-Marie Finot se distingue par son design de bateau "large".

"Ce qui est important, c'est l'augmentation de la puissance et de la stabilité pour porter de la toile. Or cette stabilité s'acquiert essentiellement par la largeur. C'est pour ça que nos Mini étaient rapides, nos IMOCA aussi et nos bateaux de croisière. On a fait des bateaux larges alors que les gens voulaient des bateaux fins et longs. Il aura fallu 20 ans pour ancrer ce concept. Il faut être persévérant.

Il y a aussi la capacité de contrôle du bateau, en contrôler l'équilibre à la gite, l'équilibre à la batte, et la solidité. L'élégance doit aussi être travaillée. Il y a une certaine logique d'organisation, qui fait que la beauté vient avec. Le bateau doit être aussi élégant qu'un oiseau.

Augmenter la puissance, la vitesse et la capacité de contrôle. Ça résume ma philosophie. On doit comprendre le bateau.

J'aime naviguer dans la brise, aller en mer, dans les vagues et lutter contre. Il faut que les bateaux soient solides, faciles à construire et pas trop chers. Et sans superflu !"

Pour l'anecdote, en 1975, des ingénieurs de chez Renault viennent le consulter, envieux de la liberté de dessin dans le monde naval.

"Ils m'ont demandé ce qu'était une voiture pour moi. Je leur ai répondu : un volant, 4 roues et des sièges. Quelques années plus tard, ils lançaient la Twingo. Je n'y sans doute pour rien, mais c'est amusant. Il faut faire des choses utiles qui marchent, sans superflu".

Apicil, plan Finot Conq
Apicil, plan Finot Conq

Des rencontres incroyables et de la reconnaissance

Au total, ce sont 173 bateaux qui ont été conçus par l'architecte, soit quelque 45 000 modèles construits. Et impossible pour Jean-Marie Finot d'en choisir un.

"J'ai 5 enfants et je suis fier de tous mes enfants. C'est pareil pour les bateaux."

Ce qu'il retient aujourd'hui de son métier, c'est sa rencontre avec de grands noms de l'architecture. Van de Stadt, l'architecte en charge du dessin de coque du voilier Stormvogel, le premier voilier en contreplaqué et plastique. Ou encore l'architecte américain Olin Stephens, plusieurs fois victorieux sur la Coupe de l'America.

"Il avait 75 ans et il est venu voir comment je travaillais sur ordinateur pour concevoir mes bateaux. J'étais un des premiers à faire ça. Je me suis senti flatté. J'ai croisé beaucoup de confrères comme ça. On avait plaisir à discuter ensemble".

Mais aussi la reconnaissance que peuvent lui apporter les gens avec qui il a travaillé ou pour qui il a travaillé.

"Le paiement, c'est le plaisir des gens qui vous remercie pour le boulot fait. Pour faire ce métier, il faut des connaissances, de l'intelligence et de l'observation. Il faut comprendre les choses. Et après il faut la niaque, la volonté de les faire, de construire. Et après, la gentillesse que vous apportent les personnes vous transporte. Il faut prendre du plaisir à travailler avec les gens. Quand on navigue sur un bateau, avec un équipage que l'on entraine, c'est un plaisir. Que l'on construise une maison ou un bateau, on travaille en groupe. C'est le plaisir de construire ensemble. Le plaisir du chantier aussi.

Finalement, ce n'est pas le nombre de bateaux construits qui est important, mais le plaisir des gens. Ils nous remercient pour notre travail. Après 30 ans de travail, d'entendre se dire qu'on a eu du plaisir à travailler avec nous, c'est tellement agréable. Il faut rester modeste et ne pas se croire le meilleur, la reconnaissance vient des autres. De voir des milliers de gens qui naviguent, d'avoir participé un peu à l'évolution des choses. C'est ce que je retiens."

Et si on y retournait ?

À 80 ans, Jean-Marie Finot ne navigue plus. Il vient d'ailleurs de vendre son Pogo 10.50, dont il avait transformé le gréement pour faciliter les manœuvres.

"Je me ferais peut-être un bateau fluvial avec des panneaux solaires, pour voir le temps venir. J'ai toujours plaisir d'être en mer. J'ai d'ailleurs fait l'essai de mon bateau avant la vente.

On aime la mer. On a des outils pour transmettre ça aux autres, ce plaisir de la mer. Au début on répare les bateaux, on essaye que tout marche à bord. Après on est skipper, et on essaye toujours que tout marche à bord. Après on trouve que tout ne fonctionne pas bien, donc on redessine les bateaux. Voilà pourquoi je suis architecte."

Une passion qui ne le quittera jamais puisqu'il conclut par cette dernière phrase

"Je crois à la réincarnation. Au début je voulais être un oiseau. Mais finalement, je veux bien refaire un tour comme architecte."

Plus d'articles sur le thème
Réagir à cet article
Denis Houdan
Denis Houdan
Merci d'avoir dessiné Géodis et toutes ses innovations techniques. Merci pour l'excellente communication de votre cabinet.
Ajouter un commentaire...