Comment fonctionnent les mâts Fénoux, ces étonnantes tours à l'entrée de divers ports atlantiques ?

Mât Fenoux d'Audierne avant l'installation du mât © Michel Van Praët

Le mât-pilote dit ''mât Fénoux'' était destiné à faciliter l'entrée des navires dans le port lorsque le mauvais temps empêchait les pilotes lamaneurs de se rendre à bord. Mais comment fonctionnait il ?

En 1832, le lieutenant Julien Hippolyte Fénoux invente un mât qui va porter son nom. Précurseur du sémaphore, ce dispositif astucieux vise à faciliter la navigation des marins à l'entrée des ports les plus redoutables. Celui d'Etel a fonctionné jusque tardivement, tandis que de celui du Pouldu, à l'entrée de la Laïta, il ne reste que le bâtiment. Longtemps tombé dans l'oubli, celui d'Audierne vient d'être restauré.

Au départ : un constat

Le capitaine de corvette breton Julien Hippolyte Fénoux, de passage à Audierne en 1831, constate à quel point l'entrée du Goyen est difficile, avec ses bancs de sable mobiles, même lorsque la barre n'est pas formée. Souhaitant guider un navire en difficulté, il tente d'établir de grands signes avec un drap fixé sur un manche à balai.

Cette expérience le conduit, dans les années suivantes, à concevoir un système, inspiré du télégraphe à bras, pour informer les navires sur l'accessibilité des ports et la route à suivre.

En 1839, les Annales maritimes et coloniales publient un article dans lequel le Conseil général du Finistère suggère "qu'un mât-pilote soit établi à l'entrée d'Audierne pour prévenir les naufrages", et le Conseil général du Morbihan propose "que l'usage de ce moyen de diriger les navires en danger soit généralisé sur tous les points convenables du littoral de France". À la suite d'une démonstration peu de temps après, la Chambre de commerce de Lorient prend la décision de créer un tel mât à Port-Louis.

Principe de fonctionnement

Un article des Annales maritimes de décembre 1839, sous-titré "Instruction aux navigateurs", définit l'objectif majeur de l'invention : "Planche de 1840 indiquant la signification des différents signaux. Fig.1 : Le pilote observe le navire en vue, Fig.2 : Faire route pour l'entrée des passes, Fig.3 : Venir sur tribord, Fig.4 : Venir sur bâbord, Fig.5 : Le bâtiment est en dedans des dangers ou Mouiller où l'on se trouve, Fig.6 : Il n'y a pas encore assez d'eau, Fig.7 : Le bâtiment ne peut entrer, il lui faut prendre le large, Fig.8 : Le bâtiment est prévenu qu'on le conduit à la côte

Planche de 1840 indiquant la signification des différents signaux. Fig.1 : Le pilote observe le navire en vue, Fig.2 : Faire route pour l'entrée des passes, Fig.3 : Venir sur tribord, Fig.4 : Venir sur bâbord, Fig.5 : Le bâtiment est en dedans des dangers ou Mouiller où l'on se trouve, Fig.6 : Il n'y a pas encore assez d'eau, Fig.7 : Le bâtiment ne peut entrer, il lui faut prendre le large, Fig.8 : Le bâtiment est prévenu qu'on le conduit à la côte

 Audierne de la construction à la restauration

Le mât Fénoux d'Audierne a été installé en 1841 et mis en service en 1843. Il se trouvait à son emplacement d'origine sur les hauteurs de La Garenne à Coz Fornic, à 200 m au sud-ouest du jardin des Capucins, le môle et le quai de halage n'existant pas encore.

Détail de la planche 62 de l'Atlas des ports maritimes
Détail de la planche 62 de l'Atlas des ports maritimes

Malgré la construction du môle de 1848 à 1855, la stabilisation du chenal et des bancs de sable ne s'avère pas aussi efficace qu'espérée, et la barre persiste. Dans ces circonstances, l'usage du mât-pilote est maintenu.

Carte postale de "Réal-Photo" Compagnie des Arts Photomécaniques. Années 1950.
Carte postale de "Réal-Photo" Compagnie des Arts Photomécaniques. Années 1950.

La construction de bâtiments autour du mât-pilote, masquant partiellement sa visibilité depuis la mer, nécessite son transfert en 1882 à son emplacement actuel, sur la plate-forme du Raoulic. Depuis cette nouvelle localisation, il contribue de manière plus efficace à l'assistance à la navigation. De plus, il signale les éventuels obstacles constitués par des navires sortant du port le long du quai de halage construit en 1856.

Aujourd'hui, Audierne abrite la dernière tourelle construite selon les consignes de Fénoux. En 2022, le mât-pilote a été inscrit au titre de monument historique.

Cette structure se compose d'un édifice de plan circulaire avec un toit conique en zinc. L'édifice sur deux niveaux est en granite couvert d'un enduit laissant apparaître un bandeau médian, une corniche du toit et un soubassement en pierres de taille. La restauration du 2e étage a été achevée en janvier 2024.

© Michel Van Praët
© Michel Van Praët

Pour une surveillance optimale, plusieurs fenêtres ont été disposées : cinq à l'étage, dont quatre orientées vers le large et une cinquième vers le port au nord, ainsi que deux au rez-de-chaussée (une au nord, l'autre au sud).

Vue vers l'extérieur depuis le 2 étage © Michel Van Praët
Vue vers l'extérieur depuis le 2 étage © Michel Van Praët
Vue vers l'extérieur depuis le 2 étage © Michel Van Praët
Vue vers l'extérieur depuis le 2 étage © Michel Van Praët

En 2023, le nouveau mât a été posé par l'entreprise Corlay de Douarnenez.

© Michel Van Praët
© Michel Van Praët
© Michel Van Praët
© Michel Van Praët
© Michel Van Praët
© Michel Van Praët

Dans les Annales maritimes de 1844, Fenoux détaille les conditions de mise en œuvre de la station d'Audierne. Il écrit : ''Le 27 octobre, par un grand vent de S.S.O., la mer affreuse, deux petits chasse-marées, chargés pour la Rochelle, qui n'avaient pas pu doubler les Penmark, cherchaient à relâcher à Audierne ; la barre brisait avec trop de fureur pour que les pilotes pussent aller à bord de ces navires, qui ne connaissaient pas l'entrée. Me trouvant seul au mât-pilote, je le manoeuvrais moi-même et j'eus le bohneur de les faire entrer l'un après l'autre dans le port, sans accident : sans ce secours, ils se seraient infailliblement perdus corps et bien...''

Une application mobile, sous forme d'un jeu interactif qui permettra de commander le mât, est en phase finale de développement avec la collaboration de la société Opixido. Une traduction du contenu en breton et en anglais sera même proposée.

© Mairie d'Audierne
© Mairie d'Audierne

Intérêt d'un déploiement sur le littoral atlantique

En 1843, les trois premières stations équipées d'un mât-pilote sont achevées, et Julien Fénoux entreprend personnellement la formation de deux pilotes à Port-Louis, de deux à Saint-Nazaire, puis des quatre pilotes d'Audierne.

L'introduction de la ''Revue des ports de France, depuis Fontarabie jusqu'à Dunkerque'' publiée en 1845 dans les Annales maritimes est sans équivoque quant à l'interêt de disposer de mâts-pilotes à l'entrée des estuaires présentant des difficultés d'accès : ''Il faut se hâter d'en doter tous les points de nos côtes qui en ont besoin. Ce sera pour le Gouvernement une dépense bien peu considérable, comparée à celle des phares, et si la navigation de nuit a besoin d'être protégée, celle de jour demande aussi à être secourue''.

Le capitaine de Corvette M. Odet témoigne par exemple des difficultés d'entrée à Bayonne. Selon lui, le système proposé par Fénoux présente plusieurs avantages : ''L'entrée du port est obstruée par une barre fort dangereuse. Un mât à bascule est placé sur une tour pour indiquer aux navires la route qu'ils doivent faire pour entrer dans l'Adour. Les signaux se font au moyen d'un pavillon que l'on indique à droite ou à gauche, selon la direction que l'on veut faire suivre au bâtiment piloté... lorsqu'un navire veut entrer à Bayonne avec des vents du large, il ne voit le pavillon indicateur que par la gaine, et ne le distingue par conséquent que difficilement ; tandis que les signaux du mât-Fenoux se font au moyen d'une aile ou bras de télégraphe, qui est vu dans l'espace, et présente toute sa surface aux navires ; le mât qui le porte, tournant sur pivot, suit les mouvements du bâtiment qu'il pilote''.

Au final, seulement six mât Fenoux verront le jour : à Bayonne, Saint-Nazaire, Clohars-Carnoët, Port-Louis, Etel, et Audierne.

Mât Fenoux de Bayonne
Mât Fenoux de Bayonne
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