L'appel de détresse
"Aujourd'hui, je ne peux pas participer au Vendée Globe 2024". Quelques mois avant le départ de la course, Violette Dorange publiait une vidéo pour expliquer qu'elle n'avait pas bouclé son budget et que faute de trouver les 50% manquants, son projet tomberait à l'eau. Aujourd'hui, quelques mois après cet appel de détresse, 4 jours après le coup d'envoi de la course, elle cumule 580k abonnés sur ses réseaux sociaux et bénéficie à ce jour d'une visibilité plus grande que celle de Guirec Soudée, Boris Hermann, Jean le Cam, Clarisse Cremer ou encore Samantha Davies, les autres champions des réseaux de la promotion 2024 du Vendée Globe. Bien-sûr le départ de l'épreuve a mis un formidable coup de projecteur sur son projet.
L'arme secrète
Mais elle s'est préparée à cette mise en lumière et a travaillé à sa réussite sur les réseaux, en faisant appel à un expert, le brestois David Lupion, qui depuis 14 mois, coordonne les contenus vidéo publiés par Violette sur Instagram et TikTok. Complètement néophyte en navigation, il avoue sans complexe que "la voile, tout le monde s'en fout". Lui-même n'y connaissait rien, et cela ne l'a pas empêché de collaborer avec Rivacom & OC Sport pour animer les réseaux sociaux de la Route du Rhum en 2022, ni d'avoir fait décoller les comptes Instagram et Tik Tok de Violette pendant sa qualification au Vendée Globe.
Interviewé au début des 3 semaines de village, il explique : "L'objectif c'est que pendant le Vendée Globe, on atteigne 80k followers sur les compte Tik-tok et Insta de Violette pour que cela lui permette par la suite de convaincre plus facilement des sponsors". Cela prête à sourire quand on connaît les chiffres d'aujourd'hui.
L'émotion passe avant l'information
Pour atteindre cet objectif, David explique que : "Tout passe par la personne, et l'émotion, c'est l'émotion qui prime avant l'information : il faut être authentique, sincère et se mettre à nu. Il faut parler de soi-même plus que de son projet, qu'on sente qu'il n'y a pas une agence derrière qui relaie pour le skipper, mais que c'est le skipper lui-même qui parle à sa communauté."
David raconte qu'une des vidéos qui a le mieux marché par le passé est celle où Violette flanche un peu et partage son stress pendant la Transat CIC : la vidéo a fait 900k vues. Pourtant, il y 26 ans, Raphaël Dinelli se faisait débarquer par son sponsor Sodebo pour avoir fait exactement la même chose. À l'arrivée de sa route du Rhum en 1998, il finit 3ème sur un IMOCA neuf qui n'avait pas du tout été fiabilisé : Il a été totalement transparent sur les difficultés qu'il a traversées, il a parlé de l'enfer qu'il a vécu à bord et Sodebo n'ayant pas trouvé cela de bon goût, lui a fait regretter son excès de sincérité et l'a remercié.
Mais ça c'était avant les réseaux sociaux, qui donnent au public un accès inédit à l'intimité des personnalités qui s'y représentent. En 2017, François Gabart craque et fond en larmes sur son trimaran Macif pendant le Trophée Jules Vernes. Les images font le tour de la toile. Il assume et commente en toute sincérité au micro de GQ dans le podcast Bonhomme : "sur le bateau, je pleure beaucoup !". Une sensibilité qui n'a pas effrayé son sponsor, et qui accroît à l'époque la popularité du skipper en l'humanisant. Malgré cet humble aveu de faiblesse, il bat le record de Thomas Coville et boucle son tour du monde sur Macif avec 7 jours de moins que le skipper de Sodebo.
Avant les réseaux sociaux, les émotions faisaient peur, maintenant on les assume, on en parle et on les diffuse presque en direct avec des musiques dramatiques dans des vidéos d'à peine une minute qui deviennent virales et participent au rayonnement des athlètes. L'objectif est de montrer l'humain derrière la machine, les sacrifices derrière l'exploit, le quotidien derrière les entraînements et les courses.
Violette et la génération internet
Il y a des skippers pour qui cela est naturel, pour Violette c'est le cas et c'est forcément un atout : "Avec violette, mon travail est très facile, parce que c'est une enfant de youtube, qui a grandit en s'éclatant avec les codes de la plateforme : elle sait parler à la caméra, monter une vidéo, se filmer dans les bons et les mauvais moments, elle a grandit avec tout ça donc elle fait beaucoup elle-même, elle sait montrer sa vie, sa préparation, ses doutes et ses joies, moi je suis juste là en soutien, pour coordonner ses réseaux et donner un petit coup de boost à ses contenus."
Des femmes qui inspirent et créent un fort engagement
L'inspiration de David pour gérer les vidéos de Violette est également venue d'outre-Atlantique, et de Cole Brauer, une jeune américaine de 29 ans, qui a conquis les réseaux pendant son Global Solo Challenge, à bord de son class40 First Light.
La jeune femme a repris le format et les musiques des vidéos virales du moment, et les a adaptées pour montrer son quotidien à bord de First Light pendant 130 jours autour du monde. Partie avec 30k abonnés sur son compte instagram, elle publie tous les jours une vidéo, et après 130 minutes la montrant aussi bien en train de bricoler ou de partir au tas qu'en pleine manucure-pédicure en mini jupe et talons hauts sur son bateau, elle revient à terre avec 400k followers, et enchaîne les interviews. Les médias ont mordu à l'hameçon de ses contenus et elle enflamme la toile : "J'ai fait un total de 24h d'interviews depuis que je suis arrivée", confiait-elle, un peu sonnée, à nos confrères de Tip And Shaft. Elle ambitionne de faire le Vendée Globe 2028 et c'est un objectif qu'elle pourra sans doute facilement atteindre, grâce à cette large communauté rassemblée autour d'elle. Les followers de Cole et Violette sont aussi et surtout des followeuses. 68% des 580 000 personnes qui suivent Violette sont des femmes, et beaucoup d'entre elles ne connaissaient rien à la voile ni au Vendée Globe avant de la suivre.
Un engouement que la fédération des industries nautiques et que les fédérations de voile pourraient avoir intérêt à suivre de près, afin de transformer ce nouveau public en pratiquants...