Interview / Armel le Cléac'h : "Sur cette Jacques Vabre, c'est la première fois que 5 Ultims peuvent voler"

Armel le Cléac'h © Jeremy Lecaudey

Armel le Cléa'ch prendra le départ de la Transat Jacques Vabre 2021 avec Kevin Escoffier. Depuis la mise à l'eau de son nouveau trimaran Ultim volant, il a enchainé les navigations pour prendre en main son bateau. Son objectif ? Rallier l'arrivée du mieux possible, mais surtout sans avaries majeures.

À moins d'un mois du départ, dans quel état d'esprit es-tu ?

On est en plein préparatifs. C'est la dernière ligne droite. On fait les derniers tests en mer avant de rejoindre le Havre. Tout va bien. L'équipe est concentrée pour les derniers détails. Kevin et moi sommes prêts à partir et motivés.

C'est un bateau jeune. Il y a de l'excitation et de la concentration. J'ai hâte de prendre le départ. C'est notre objectif principal de la saison avec Banque Populaire.

Avec un bateau neuf, mis à l'eau fin avril 2021, quelles sont tes ambitions sur cette Transat Jacques Vabre ?

L'ambition c'est d'abord de finir la course. C'est un projet qui est assez important avec un parcours long. On va passer 15 jours en mer à bord de cet Ultim. On a quasiment doublé le parcours en termes de distances pour nous, par rapport aux Class40 notamment.

C'est un beau défi pour ce bateau récent, jeune et toujours en phase de fiabilisation et de mise au point. Si on arrive à Fort-de-France avec le bateau, l'objectif sera rempli. Si on s'aligne bien, que l'on réalise une belle course, en étant très bien placé à l'arrivée, et sans avaries, ce sera encore mieux.

Le Maxi Banque Populaire XI
Le Maxi Banque Populaire XI

Où en es-tu de la prise en main de ton bateau ? Quel bilan tires-tu des premières navigations et de ta première place sur le Défi Azimut ?

La prise en main s'est faite en 2 étapes entre la mise à l'eau et mi-juillet 2021. On a fait 7 000 milles avec une tournée promotionnelle en Méditerranée pour Banque Populaire. On a testé le bateau sur différents trajets, dans des conditions essentiellement en équipage. On a fait le retour de Gibraltar en qualification avec Kevin. C'était intéressant et instructif. On a pu faire une belle job-list de petites modifications lors du chantier estival.

On a remis le bateau à l'eau mi-septembre. On est dans une phase de performance, être prêt pour traverser l'Atlantique. On a eu deux rendez-vous intéressants sur cette période pour se confronter à nos concurrents directs. D'abord le Défi Azimut qui s'est super bien passé. On a gagné, mais c'était surtout un test pour se situer par rapport aux autres en termes de mise à point. Le bateau a très bien répondu. On n'a pas eu de problèmes particuliers. C'est encourageant pour l'équipe. Une semaine après, on a participé à un stage à Port La Forêt. Il s'est vite terminé, car une dérive s'est abimée. On a dû rentrer pour effectuer les travaux pour la Jacques Vabre.

C'est intéressant cette 2e phase de performance. On a déjà upgradé le bateau par rapport à la mise à l'eau.

Depuis la mise à l'eau, quel a été le programme de ces derniers mois ?

Il faut imaginer que ces bateaux sont à la fois incroyables en termes de potentiel et nécessitent beaucoup de technologie et d'importants systèmes mécaniques au niveau de la fiabilisation et des réglages. Quand on intervient sur un de ces éléments, c'est lourd, en termes de temps et de manœuvres. Quand on sort la dérive du bateau, c'est une demi-journée de travail ! C'est pour ça qu'aujourd'hui ces bateaux demandent du temps de mise au point.

Dès que l'on navigue, on affronte des conditions variées de vent et de mer, pour le tester dans toutes les conditions. À chaque sortie, on découvre des choses. Après une ou deux sorties, on doit retourner au ponton ou à quai pour vérifier et repartir dans de bonnes conditions.

Si on abime un système, ça compromet le programme. On peut se retrouver bloqué au ponton pendant plusieurs semaines. Fabriquer un foil, c'est 6 mois de travail ! C'est long à fabriquer. Ça demande beaucoup d'énergie et d'argent ! Ça demande donc un compromis entre le nombre de jours de navigation et les vérifications. Mais ça en vaut la peine ! On fait de supers navigations quand tout fonctionne. On atteint des vitesses incroyables, on parcourt un nombre de milles énorme en 24 h !

C'est un peu comme une Formule 1. Ça roule très peu au final. On est un peu dans la même philosophie, car le bateau est tout récent. On est dans une phase de rodage, de mise au point. Mais notre objectif grimpe, notamment avec la Route du Rhum, que l'on espère gagner. Dans un an, l'optique c'est ça, avec la préparation qui va avec.

Armel le Cléac'h
Armel le Cléac'h

C'est un bateau qui est bien différent du précédent. En termes de performance, on a notamment un bateau aux allures serrées - au près - qui peut voler. C'est différent de ce que l'on avait il y a 3 ans. Au près serré, sur Banque Populaire XI, on atteint presque 30 nœuds de vitesse ! C'est un vrai changement en termes de sensations à bord, d'optique, de stratégie.

On le faisait un peu sur les dessins, sur les simulateurs, mais tant que l'on n'avait pas testé en vrai, rien n'était sûr. C'est génial ! Avec l'équipage, avec Kevin, on n'avait jamais fait 30 nœuds au près sur un bateau à voile. C'est un vrai pas en avant. On va 3 fois plus vite qu'un IMOCA au près ! Ce potentiel est dingue !

On a toujours eu cette volonté au sein du team Banque Populaire d'avoir un bateau polyvalent, pas typé pour une allure particulière. La polyvalence c'est ce que l'on a réussi à faire. On verra si c'est la bonne option. En tout cas, aujourd'hui, on est satisfait du potentiel de vitesse, de la capacité à le mener en équipage réduit et aussi de la fiabilité à bord. Les Ultim ont des potentiels géniaux, mais arriver à finir des courses en étant performant jusqu'au bout fera la différence sur les échéances.

Tu as choisi Kevin Escoffier pour t'accompagner sur la course, pourquoi ? Quelles sont les forces de votre binôme ?

Kevin, je l'ai choisi pour plusieurs raisons. J'avais imaginé quelques noms qui pouvaient correspondre au skipper le plus adapté. Kevin était dans la short-list. Il était le premier dans ma liste.

Il a une expérience au sein du team. Il a été responsable du bureau d'études Banque Pop. Il a travaillé sur les 3 derniers designs de bateaux que j'ai eus et sur celui-ci. Il connait le bateau dans sa structure et dans son utilisation. C'est important en vue de le maitriser et de le prendre en main pour la partie solitaire.

C'est aussi un excellent marin. Il a gagné la Jacques Vabre en Multi50. Il a navigué sur beaucoup de supports, et notamment sur beaucoup de multicoques. Il est complet sur la partie maritime. Je m'entends bien avec lui. Il est toujours positif. La vie à bord peut être difficile parce que ce sont des bateaux stressants et exigeants, donc c'est important que je m'entende bien avec mon co-skipper. Je n'étais pas sûr qu'il soit disponible avant le Vendée Globe parce qu'il aurait pu participer à la Jacques Vabre avec PRB. Mais avec le naufrage, les choses ont été différentes et il était motivé à 200 % pour embarquer.

Kevin Escoffier et Armel le Cléac'h
Kevin Escoffier et Armel le Cléac'h

Quels sont les contraintes et avantages d'un format de course en double en comparaison du solitaire ou de l'équipage justement ?

Il y a beaucoup d'avantages surtout par rapport au solitaire. On peut compter sur l'autre notamment quand on va dormir. C'est un confort important. Les manœuvres sont plus simples à deux que seul. Il y en a un à l'avant, l'autre dans le cockpit. On se rapproche plus d'un fonctionnement en équipage. Il y a plein d'avantages à faire du double !

Par rapport à un équipage, on ne mène pas non plus le bateau à 100 %. Le double c'est un peu du solitaire à deux. On va beaucoup se relayer, gérer les trajectoires, les réglages, la vitesse. On a fait beaucoup d'équipage pour la prise en main, et du format double de plus en plus avec Kevin. La prochaine étape, le solitaire est important pour moi.

C'est bien de faire une transat en double à un an du Rhum. Ça va me permettre d'imaginer comment sera la vie en solitaire même si j'ai l'ai déjà fait. En 2022, ça fera presque 4 ans que je n'ai pas fait de solitaire sur ces bateaux-là. C'est bien de monter par étape sur cette préparation.

Que penses-tu des nouveaux parcours de course ? Qu'est-ce que ça va changer ?

C'est un format un peu particulier. Il y a 3 parcours différents. D'un point de vue sportif, ça ne me dérange pas de rallonger la route, de passer plus de temps en mer, et dans le bon sens, pour mettre au point le bateau. Il va y avoir plus de matchs. C'est sûr que pour les Ultim ce n'est pas simple. On doit franchir deux fois le pot au noir. Ne serait-ce qu'avec un bateau de base c'est compliqué, mais avec un Ultim encore plus. Il faudra être vigilant.

J'espère que le public s'y retrouvera pour comprendre les arrivées, les différents classements, qui fait quoi. Sur le Vendée Globe et la Route du Rhum, il n'y a qu'un seul parcours. Ça simplifie les choses. J'espère que le premier arrivé en temps réel sera un Ultim. Pour que le grand public comprenne.

Le Maxi Banque Populaire XI
Le Maxi Banque Populaire XI

Comment te sens-tu face à la concurrence, aussi bien en termes personnels qu'en termes matériels (bateau) ?

On a pour la première fois 5 Ultim volants qui peuvent gagner. C'est une grande première dans cette catégorie avec 5 duos composés de marins d'expérience. Il y a beaucoup de palmarès. Pour la compétition et le côté sportif, c'est fabuleux. Tous ces bateaux sont différents en termes de temps d'utilisation, de mise au point et de milles parcourus. C'est ce qui va être intéressant à suivre. On a peu de repères. On s'est confrontés sur deux petits rendez-vous, mais dans des conditions de vent pas très variées et pas très fortes sur une courte navigation.

On a beaucoup d'incertitudes sur le potentiel de chacun. Ça va être à la fois intéressant et motivant en mer et à terre pour le public. On n'est pas favoris de cette Jacques Vabre. Notre bateau a été mis à l'eau cette année. Il demande de la mise au point. Alors que Gitana, Sodebo, ont plusieurs records, tour du monde, demi-tour du monde à leur actif. Ils ont accumulé un nombre d'heures important, ont beaucoup de milles à leur actif et ont beaucoup navigué. À nous de faire avec et on verra ce que ça donne.

Il faudra, avec Kevin, mettre le curseur au bon endroit dans des conditions difficiles, et lever le pied, contrairement à d'autres.

Après la Transat Jacques Vabre, quels sont tes projets ?

L'objectif en 2022 c'est la Route du Rhum. On va faire un programme d'entrainement en Atlantique avec Banque Populaire. Deux aller-retour en solo ou en faux solo. Pour être le plus en confiance. On a aussi un projet de course en équipage en 2022 en cours de saison. Il y aura donc une partie en équipage et une partie en solitaire.

En 2023, ce sera un peu la même chose, avec un grand tour du monde en solitaire en course qui partira de Brest. C'est un sacré défi. Une sorte de Vendée Globe puissance 10 ! J'ai hâte et il y a énormément de travail pour être prêt à partir. J'ai fait trois fois le Vendée Globe et le meilleur temps de course est de 74 jours. Avec les Ultim, on peut aller deux fois plus vite ! C'est un nouveau challenge avec Banque Populaire et les autres Ultim.

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