Pourquoi en Anglais les navires sont-ils de sexe féminin ?

© Natalia Barashkova

Au travers des époques, les navires ont porté une symbolique féminine, dans le monde entier et particulièrement au Royaume-Uni. Que ce soit à travers les pronoms qui leur sont attribués ou les noms qui les définissent, cette tradition témoigne de la relation unique qui unit les marins à leurs vaisseaux.

Du passé à nos jours, les navires ont souvent été enveloppés d'une symbolique féminine, tant dans l'attribution de pronoms que dans les noms qui leur sont donnés. Une tradition nominative qui révèle une relation singulière entre les marins et leurs vaisseaux, mêlant archaïsme, attaches affectives et mutations linguistiques.

Entre archaïsme et tradition 

Bien connue de ceux évoluant dans le monde maritime, l'habitude des Anglais de désigner les navires comme des femmes en utilisant les termes ''she'' ou ''her'' ne passe pas inaperçue.

D'un point de vue grammatical, l'anglais utilise traditionnellement les pronoms "he" ou "she" pour désigner un sujet qui se rapporte à des personnes, et ''it'' pour faire mention d'un objet, d'une chose ou même d'un animal. Les pronoms peuvent toutefois évoluer lorsque la relation avec le sujet est particulièrement personnelle. Lorsque cette règle s'applique aux navires, l'utilisation du pronom féminin "she" remonte aux temps anciens. Une tradition britannique du 18e siècle, époque où seuls des hommes se trouvaient à bord des navires, justifie parfois cette désignation avec des expressions sexistes telles que ''It takes an experienced man to handle her correctly and without a man at the helm, she is absolutely uncontrollable'', autrement dit "Il faut un homme expérimenté pour la manœuvrer correctement, et sans un homme à la barre, elle est absolument incontrôlable".

Même si cette explication héritée d'une tradition archaïque se justifie d'un point de vue linguistique, elle perd tout son sens de nos jours puisque les navires ne sont plus considérés comme incontrôlables, et les femmes sont reconnues comme tout aussi capables de commander un navire. Au 17e siècle, des femmes pirates avaient pourtant déjà fait leur preuves.

La pirate Mary Read, représentée sur une gravure colorisée
La pirate Mary Read, représentée sur une gravure colorisée

Une autre théorie qui justifie l'emploi du féminin pour désigner un navire en raison du genre grammatical provient de l'origine du mot ''Navy'' dans son emploi pour la marine militaire britannique, la ''Royal Navy''. Ce terme dériverait indirectement du nom féminin latin ''navis'' faisant référence à un navire. ''Navem conscendere'' signifiant à l'origine l'action de monter à bord, de s'embarquer. Il est aussi intéressant de noter que l'Argo Navis était autrefois le nom latin féminin désignant une grande constellation dans le ciel austral appelée ainsi d'après l'Argo, galère citée dans la mythologie grecque, à bord de laquelle Jason et les Argonautes naviguèrent pour retrouver la Toison d'or.

Actuellement, des navires tels que le HMS Queen Elizabeth portent explicitement des noms féminins, tandis que d'autres, comme le HMS Prince of Wales, portent des noms masculins. Lors de la cérémonie de baptême du HMS Queen Elizabeth, la reine elle-même qualifia le navire de femme en déclarant : "I name this ship Queen Elizabeth, may God bless her and all who sail on her", soit "Je nomme ce navire reine Elizabeth, que Dieu la bénisse ainsi que tous ceux qui naviguent à bord." Un encouragement, peut-être, en référence au long règne de la reine. De même, lors du baptême du HMS Prince of Wales, la duchesse de Cornwall fait référence au navire en utilisant les pronoms "she" ou "her".

Le HMS Queen Elizabeth lors de sa cérémonie de baptême
Le HMS Queen Elizabeth lors de sa cérémonie de baptême

Considérations affectives et image de la femme

Attribuer un nom au navire constitue une tradition essentielle avant son lancement inaugural.

Il existe un paradoxe persistant à l'époque : bien que la présence des femmes à bord soit perçue comme un danger, les bateaux sont souvent baptisés du nom de figures féminines. En choisissant un nom qui a une valeur personnelle, le capitaine cultive un lien affectif qui se traduit par un engagement accru envers le soin et l'entretien du navire. La sélection d'un nom féminin doit être méticuleuse et bien réfléchie, de nombreux navires recevant des noms de personnalités historiques dans l'espoir d'assurer une protection lors de leurs voyages en mer.

C'est comme si la mer, mère bienveillante, dorlotait et préservait le navire lors de ses périples maritimes. Au fil du temps, cette pratique a évolué, donnant naissance à des expressions telles que "vaisseau-mère", faisant référence à un navire ''porteur'' capable de lancer d'autres embarcations.

Si de nombreux navires historiques britanniques portent tout autant des noms masculins, il est fréquent que leur figure de proue arbore l'image d'une femme, évoquant ainsi une forme de superstition liée à la puissance symbolique de la féminité. Si l'on prend l'exemple de la figure de proue du Cutty Sark, elle est inspirée d'un poème de l'Écossais Robert Burns qui narre l'histoire de Tam, un fermier chevauchant à travers un cimetière peuplé de sorciers et de magiciens. Malgré ses tentatives de fuite, la séduisante sorcière Nannie, vêtue d'une chemise courte (''cutty sark''), parvient à saisir la queue du cheval de Tam, qui reste entre ses mains...

Figures mythologiques

Dans la mythologie romaine, Aurora est la déesse de l'Aurore.

L'Aurora est principalement connue en raison de son rôle crucial dans l'expédition Endurance (1914-1917) dirigée par l'explorateur britannique Sir Ernest Shackleton en Antarctique. Lors de l'expédition, l'Aurora est piégée dans les glaces de la mer de Ross, entraînant une dérive de 312 jours. Le navire subit de graves dommages, notamment la perte de son gouvernail et la destruction de ses ancres. L'équipage doit faire face à des conditions extrêmement difficiles, avec des provisions limitées et des températures glaciales. Après la dérive, l'Aurora est réparée en Nouvelle-Zélande et retourne en Antarctique pour secourir les membres du "groupe de la mer de Ross" restés isolés à terre.

L'histoire de l'Aurora est devenue emblématique dans le domaine de l'exploration antarctique en raison des défis extraordinaires auxquels l'équipage a dû faire face et de ses efforts pour surmonter ces épreuves. En explorant les connotations mythologiques du nom du bateau, l'Aurora évoque la beauté hypnotisante des aurores australes. Un navire qui a été capable de faire corps avec son environnement... un navire dont la destinée fut héroïque en sauvant ces hommes du continent blanc.

 © State Library New South Wales
© State Library New South Wales

Le charme redoutable des sirènes

Imaginez un navire naviguant laissant derrière lui une aura empreinte de crainte. Tout comme la créature mythique dont il hérite le nom, ce vaisseau attire ses adversaires avec une séduction ensorcelante, pour ensuite les frapper avec une puissance mortelle.

Figure de proue de l'un des grands voiliers amarrés à Hartlepool Docks à l'arrivée de la Tall Ship's Race 2010
Figure de proue de l'un des grands voiliers amarrés à Hartlepool Docks à l'arrivée de la Tall Ship's Race 2010

La légende narre que les sirènes sont des entités enchanteresses qui conjuguent beauté et force. Le Mermaid, traduit par le mot sirène en français, est un navire qui incarne pleinement ces qualités. Ainsi, seize navires de la Royal Navy ont porté le nom de HMS Mermaid, inspirés de ces créatures mythiques féminines.

Le Mermaid capturant le Brutus, Robert Pollard,1798 © Royal Museums Greenwich
Le Mermaid capturant le Brutus, Robert Pollard,1798 © Royal Museums Greenwich

Inspirer la terreur

Un autre bateau pirate légendaire, qui a captivé l'imagination de beaucoup grâce au nom évocateur qui lui a été attribué et ce qu'en a fait son commandant, est le Queen Anne's Revenge de Barbe-Noire. Le choix du terme "revenge" (vengeance) signalerait l'hostilité éprouvée envers les ennemis, tandis que l'utilisation du mot "queen" symboliserait la volonté de prendre le pouvoir et d'acquérir une certaine autonomie. Quoi qu'il en soit, Barbe Noire était connu pour sa réputation intimidante, et le nom choisi pour son navire reflétait probablement son désir d'inspirer la peur parmi ceux qu'il rencontrait en mer. Par la suite, il a mené des raids impitoyables dans les Caraïbes, dépouillant des navires et élargissant sa flotte. La taille imposante et l'armement redoutable du Queen Anne's Revenge ont instillé la crainte dans le cœur des marins et des marchands, faisant de ce navire une force incontournable en haute mer.

Modèle réduit du  Queen Anne's Revenge © North Carolina Museum of History
Modèle réduit du  Queen Anne's Revenge © North Carolina Museum of History

Évolution linguistique

Le dictionnaire de Cambridge indique que le terme ''it'' est couramment utilisé pour faire référence à des entités telles que des pays, des véhicules et des machines. Bien que certains traditionalistes et marins continuent d'utiliser ''she'' pour désigner un navire, le Cambridge Dictionary semble avoir abandonné cette tradition. Sur son site, la définition du mot ''ship'' est accompagnée d'exemples qui n'emploient plus les termes ''her'' ou ''she'', préférant utiliser ''it'' ou ''its''.


Depuis 2002, Lloyd's List, l'une des plus anciennes revues encore en parution continue dans le monde, fournissant des nouvelles hebdomadaires sur les transports maritimes à Londres dès 1734, a abandonné le processus de personnification des navires. Elle a commencé à utiliser des termes non sexistes tels que ''it''.

Les musées maritimes, tels que le Scottish Maritime Museum, ont également suivi cette tendance en utilisant des termes non sexistes lorsqu'ils font référence aux navires, reconnaissant les changements croissants dans la société moderne.

Qu'on se le dise, les Anglais ne sont pas les seuls à attribuer des traits féminins aux navires... Si les marins d'antan pensaient attirer toute la chance possible en trouvant le bon nom pour leur bateau, ceci afin de rentrer chez eux en toute sécurité et d'apaiser le dieu de la mer, la technologie moderne, les prévisions météorologiques sophistiquées et la planification des passages difficiles ont considérablement accru la sécurité des navires. Il n'est désormais plus nécessaire de recourir à cette superstition, bien que certains perpétuent la tradition en hommage à leur héritage. Peu importe au final, aujourd'hui, ne serait-ce pas à chacun d'appeler son navire ''she'', ''he'', ou ''it'', comme il l'entend ?

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