Des influenceurs qui bénéficient d'accès VIP, des skippers qui doivent produire l'équivalent d'un long métrage chacun pour raconter leur course en image, et un public qui dévore ce qu'on lui donne tout en faisant la fine bouche, déplorant que les skippers sont devenus des communicants qui ne veulent parler qu'aux petits écrans. Qu'en est-il réellement ? Les influenceurs vont-ils remplacer les journalistes ? Les skippers doivent-ils communiquer aussi naturellement qu'ils naviguent ? Le public est-il vraiment laissé de côté où bénéficie-t-il finalement d'une meilleure expérience ?
Lola Koh Lanta aux Sables d'Olonne
L'histoire a fait scandale sur les réseaux, toutes proportions gardées bien sûr, car on ne parle que du petit monde de la voile. Marc Thiercelin, ancien coureur du Vendée Globe, s'est fait refuser un accès gratuit aux pontons alors que l'organisation a déroulé le tapis rouge pour que des influenceurs viennent rencontrer les skippers et faire du bruit autour de la course : tous frais payés (transports, logement et frais de bouche plus rémunération), ils ont été lâchés sur le village, où on les a apperçus se promenant en totale liberté, sur les pontons, à bord des IMOCA ou au PC média.
Certains ont presque cru que la course était suivie sur Onlyfans, parce qu'en lisant le pseudo d'@inesduhard, écrit tout attaché sur Instagram, cela prêtait fortement à confusion. Il n'en fallait pas plus pour que, sur un des groupes FB les plus suivis du Vendée Globe, les esprits s'échauffent. Mais la réalité est là, aujourd'hui un journaliste voile ou même un ancien coureur du Vendée Globe monté à la deuxième place du podium, ne sont pas grand chose face à des influenceurs qui ont parfois individuellement des audiences deux ou 3 fois plus importantes que toute la presse spécialisée réunie.
Le Vendée Globe est déjà suivi par tous les amoureux de la mer, souvent connu d'eux seuls, et si elle veut perdurer, croître et marquer durablement les esprits dans un monde où il faut sans cesse rassasier des investisseurs très gourmands en rentabilité, cette course doit aussi s'adresser au grand public et capter une audience via d'autres canaux que les médias traditionnels et spécialisés.
Il y a 3 millions de plaisanciers en France, mais l'ambition du Vendée Globe comme celle de tout événement sportif de grande envergure est bien de toucher le cœur de tous les français, comme écrit dans l'annexe marketing et communication du VG 2024 : la course doit "offrir au grand public la couverture média la plus importante possible de la course et de ses Skippers et permettre à l'ensemble des Participants et à l'Autorité Organistrice de bénéficier d'une couverture audiovisuelle à la hauteur de leurs engagements respectifs".
Qui veut la fin met les moyens. Les influenceurs et les nouveaux canaux de diffusions qu'ils utilisent, Instagram, TikTok, touchent les masses aussi efficacement que les canaux traditionnels comme la radio, la presse écrite ou la télévision, pourquoi l'organisation s'en priverait-elle ? Surtout que certains athlètes qui prennent le départ en 2024, eux, exploitent déjà le filon depuis longtemps et font grossir les rangs des mordus de voile ou plutôt, des mordus de voileux et voileuses.
La ruée vers l'or
Quelques skippers très populaires doivent leur présence sur la ligne du départ à leur succès sur ces nouveaux supports, el dorado des influenceurs mais aussi nouveau terrain de jeu des coureurs et coureuses au large de toutes les générations qui l'investissent largement et en tirent profit pour partager leurs rêves d'aventures, trouver des mécènes et faire déferler sur eux leur notoriété numérique.
En bouclant son Vendée Globe en 2021, Clarisse Cremer a dans la foulée remporté aux côtés de son ancien sponsor Banque Populaire, le "Grand Prix Stratégies du marketing digital", grâce auquel on apprend que leur campagne a touché plus de 10 millions de personnes, notamment des femmes et des jeunes, en générant des bénéfices de plusieurs millions d'euros pour le sponsor par le biais des canaux numériques. Une nouvelle audience et un nouveau marché que les marques auraient tort de ne pas investir.
Inversion des pôles
La puissance de frappe des réseaux sociaux est telle que ce n'est plus l'athlète qui a besoin du média, mais presque le média qui compte sur l'athlète/influenceur pour se refaire une santé publicitaire. Si Guirec Soudée demande à ses 280k abonnés d'acheter le magazine dont il est en couverture, cela peut significativement booster les ventes… D'abord méfiante vis à vis de ces nouveaux supports d'information et de communication, la presse et notamment la presse nautique aurait fort intérêt à exploiter les faibles coûts et le potentiel que ces applications numériques, même mises à profit tardivement, représentent aujourd'hui.
Des navigateurs influents et des influenceurs navigants
De plus en plus de skippers qui, comme Violette Dorange, Guirec Soudée et Clarisse Cremer, sont nés avec réseaux sociaux, vont grandir numériquement tout en évoluant professionnellement. Leur notoriété fera dévier le cœur de cible des sponsors, et déplacer le centre de gravité des investissements. On ne misera pas pareil sur un skipper qui a une communauté engagée et une aisance naturelle avec un smartphone. Il faudra soit être performant sur l'eau, soit l'être sur les réseaux, et longue vie à ceux qui sauront jouer sur les deux tableaux. À ce jeu là, Violette Dorange, Clarisse Cremer ou Jean le Cam ont déjà tout gagné.