Voyage aux Pôles à travers l'objectif de Margot Sib, photoreporter à bord des bateaux Ponant

© Margot Sib

Photoreporter et guide naturaliste à bord des bateaux Ponant, Margot Sib vit au rythme des explorations polaires. Depuis 10 ans, elle arpente les glaces et les océans pour capturer les instants rares où nature et humanité se rencontrent.

Au cœur des terres les plus inaccessibles de la planète, là où les glaces rencontrent des cieux qui semblent infinis, Margot Sib s'impose comme une éclaireuse visuelle, armée de son appareil photo. Depuis dix ans, cette photoreporter et guide naturaliste à bord des bateaux d'expéditions Ponant explore les frontières du monde sauvage. Elle capte la beauté brute et fragile des pôles, des icebergs flottants aux rencontres inoubliables avec la faune. Sa mission ? Elle nous l'explique dans ce 3e volet : immortaliser l'émotion et les métamorphoses de ces territoires aux frontières mouvantes, là où l'aventure se joue à chaque instant.

© Margot Sib
© Margot Sib

Le Grand Nord et l'Antarctique sont des territoires exigeants. Quels sont les plus grandes difficultés auxquelles on fait face en tant que photographe embarquée sur ces expéditions ?

Le froid ! L'attente dans le froid, parfois dans le semi-rigide, quand tu as des ressentis à moins de 10, moins de 15, et que tu n'es pas très bien équipée. Ce n'est pas facile, mais c'est surtout pour les extrémités que c'est compliqué. Parce qu'en fait je n'ai pas de dextérité quand j'ai mes gants et je ne peux pas shooter. Alors, je suis à mains nues. Et je me souviens des souffrances terribles, de la douleur au bout des doigts. Pourtant on est équipés chez Ponant. On a des vestes Helly Hansen Regatta. Tout récemment, on a eu des Musto très étanches, les meilleurs possibles que même les officiers de navigation ont.

© Margot Sib
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En revanche, c'est toi qui dois t'équiper pour la sous-couche. J'achète du mérinos ; tout ce qui va bien pour les grands froids. On a des bottes spéciales aussi. J'ai déjà eu des froids aux oreilles, c'est un enfer. Il faut avoir une bonne écharpe. L'avantage, c'est qu'on a un hôpital à bord avec un médecin urgentiste et une infirmière qui nous prennent immédiatement en charge. Au moindre symptôme d'une blessure qui pourrait s'aggraver, on ne prend aucun risque : on va à l'hôpital, on se fait soigner et on s'arrête le temps nécessaire. On est très bien pris en charge, aussi bien sur le plan médical que sur la sécurité.

Je n'ai pas le souvenir d'avoir eu des engelures. Une fois, je suis tombée à l'eau en Antarctique. C'était un accident. Un mauvais passage entre deux semi-rigides. Il y avait de la houle, une vague mal placée. Au moment où je faisais un transfert d'un bateau à l'autre, la houle a écarté les deux embarcations et je suis tombée. Ce n'était pas agréable. Ce qui est surprenant, c'est que, avec toutes les couches de vêtements et l'équipement, l'eau s'infiltre lentement. Ce n'est pas un choc brutal mais une pénétration progressive qui donne l'impression qu'elle s'infiltre jusque dans les os. J'ai eu très peur. Pas du froid, parce que l'adrénaline empêche de le ressentir immédiatement. De toute façon, quand on tombe involontairement à l'eau, la peur et l'adrénaline prennent le dessus. Ce qui m'a vraiment effrayée, c'est le risque que les deux semi-rigides se referment sur moi. Heureusement, l'officier a vite réagi : l'un s'est écarté pendant que l'autre s'est rapproché et m'a sortie de l'eau rapidement. Un souvenir marquant. Ensuite, direction l'hôpital. Par chance, j'étais proche de la marina. J'ai été prise en charge immédiatement par l'infirmière. Finalement, rien de grave, juste un coup de froid passager… et une belle frayeur. Aujourd'hui, c'est devenu une bonne anecdote !

Qu'est-ce qui te fascine tant dans ces navigations polaires ? Ressens-tu une forme d'addiction à l'exploration des confins du monde ?

Oui, c'est ce qu'on appelle attraper le virus polaire. Moi, je suis vraiment un produit du Sud, j'aime le chaud ; j'aime la chaleur. Pourtant, je n'ai jamais rien photographié de plus beau que ce que j'ai vu dans les pôles. En fait, c'est vrai que c'est addictif, je n'y croyais pas du tout au début. J'étais méfiante et je me disais : ''Ce sont des scientifiques. De toute façon, les glaciologues, qu'est-ce qui pourrait leur faire dire qu'il n'y a rien de plus beau que de la glace ? Évidemment qu'ils vont me dire que les régions polaires sont les plus belles du monde, n'est-ce pas ? " Et en réalité, non. C'est tellement fascinant.

© Margot Sib
© Margot Sib

Tu as accès à une faune luxuriante qui vit en autonomie sa petite vie. Nous, on vient observer une faune sauvage qui n'a pas peur de nous, qui ne nous fuit pas. C'est ce qui m'a fait du bien parce que ce n'est pas du tout ce que tu retrouves, par exemple, dans nos forêts en France. Pour la première fois de ma vie, je ne me suis pas sentie être un danger pour les animaux. Et ça, ça fait du bien. En fait, ça existe, de pouvoir coexister avec la faune sauvage.

Je ressens un gros mal-être avec le fait que l'homme n'a de cesse de détruire l'environnement au dépend de la faune sauvage. En France, on le voit très bien avec l'ours et le loup. En Antarctique on a rencontré des orques, des léopards des mers, qui sont des grands prédateurs. Malgré ça, on parvient à voyager en toute intelligence et en harmonie avec eux. Quand on s'en approche avec le semi-rigide, il y a toujours des distances de sécurité à respecter qui sont très bien définies, imposées, et que nous respectons. Ils font leur vie, on fait la nôtre. Il y a un grand respect de la nature dans notre manière de voyager dans ces zones-là, surtout en Arctique où on rencontre un des plus gros prédateurs au monde qui est l'ours polaire.

Léopard de mer © Margot Sib
Léopard de mer © Margot Sib
Orques type B © Margot Sib
Orques © Margot Sib
Ours polaire © Margot Sib
Ours polaire © Margot Sib

Comment décrirais-tu le silence de la banquise ? Est-ce un vide, ou au contraire un espace plein de sons et de vibrations imperceptibles ailleurs ?

En fait, non, l'Antarctique est très bruyant. Déjà, quand on y va, c'est l'été, donc les glaciers sont en pleine activité. Ils bougent constamment, ça gronde, ça vêle, ça fait des bruits de fracas qui surgissent de nulle part ! Les icebergs qui se retournent aussi font du bruit ; il faut garder ses distances sur l'eau car ça ne prévient pas. Quand on navigue dans la glace avec le semi-rigide, on entend aussi des cliquetis. J'adore ce bruit de la glace. C'est un son assez reposant.

© Margot Sib
© Margot Sib


Il faut aussi savoir que quand on arrive à proximité des manchotières, les manchots communiquent et font énormément de bruit. Ça papote. Ah oui, ça papote à fond !

Colonie de manchots à jugulaire © Margot Sib
© Margot Sib

Ce qu'on propose aux passagers pour éviter le bruit du moteur dans les semi-rigides, ce sont des balades en kayak. Et là, pour le coup, c'est bien plus silencieux car on n'entend que le bruit de la glace. Alors des fois, on a des journées où il n'y a pas trop de vent. On est loin des manchotières et c'est un silence incroyable. Ça, c'est exceptionnel, ça peut donner des frissons.

© Margot Sib
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Quels sont tes souvenirs les plus marquants ?

Ce qui est sympathique, c'est quand on arrive au moment de la reproduction et de la nidification. On attend juste de voir l'évolution. Comme on revient souvent sur les mêmes sites, on les voit se mettre en couple, on les voit pondre leur premier œuf, parfois même deux. Ensuite, on voit les poussins éclore, grandir, grossir, ou parfois mourir. Et à la fin de la saison, on les voit partir en mer. Ils sont comme mes bébés, je les ai vus depuis le tout début !

Nidification de manchots Papou © Margot Sib
Nidification manchot © Margot Sib
Ponte de manchot Papou © Margot Sib
Ponte manchot © Margot Sib
Poussin manchot à jugulaire © Margot Sib
Bébé manchot © Margot Sib

À la fin de ma saison en Antarctique j'ai eu aussi des images incroyables. Une baleine est venue à notre rencontre. Les passagers étaient tellement stressés lorsqu'elle est passée en dessous des kayaks ! Puis, elle a réapparu juste derrière. C'était hallucinant, on aurait dit qu'elle nous fonçait dessus. On se disait : ''Quand est-ce qu'on va se retourner ?'' Évidemment, ce sont des animaux très délicats et elle nous a juste tourné autour. Un vrai cadeau de la nature.

© Margot Sib
© Margot Sib
Baleine à bosse © Margot Sib
© Margot Sib

Le Grand Nord est un territoire mythique, marqué par les exploits des explorateurs et des navigateurs qui ont repoussé les limites du possible. En sillonnant ces eaux glacées, as-tu ressenti l'empreinte de ces grandes expéditions qui ont façonné l'histoire nautique ?

Dans la première partie de mon travail, non, pas du tout. Je suis vraiment concentrée pour capter une belle image, un beau moment, pour le mettre en image. Je savais que des explorateurs avaient marqué ces lieux mais c'était davantage la faune qui me fascinait. Les manchots, les baleines, les phoques, c'était mon focus. Quand on a commencé à arriver dans les stations baleinières, là, c'est devenu un peu plus compliqué de ne pas y penser. Ça ne m'a pas pour autant imprégnée.

Depuis l'année dernière, je suis devenue guide naturaliste et j'ai été sur les grands lacs américains. De fait j'ai commencé à m'intéresser davantage à l'histoire. Fin 2025, je serai guide naturaliste en Antarctique et là, il va vraiment falloir que je travaille dessus pour retranscrire les parcours et les discours de ces explorateurs. Je vais devoir vraiment m'en imprégner parce que mon travail ne sera plus de faire des belles images mais de retranscrire l'histoire et de la vulgariser auprès des passagers pour qu'ils comprennent et qu'ils se souviennent de ce qui s'est passé ici. Je vais devoir préparer des conférences sur les stations baleinières, les baleiniers, et sur quelques explorateurs de l'Antarctique. Les guides naturalistes avec qui on part sont généralement des personnes ayant un savoir et une culture incroyables. Et on sent qu'ils ont également la passion de transmettre.

Station baleinière de Deception Island, île des Falkands © Margot Sib
Station baleinière Falkands © Margot Sib

Dans le dernier volet de notre reportage, Margot Sib nous parlera sa démarche artistique à travers ses photographies des paysages polaires. À bord des bateaux sur lesquels elle embarque sur les vastes étendues glacées du Grand Nord et de l'Antarctique, chaque image devient un appel à l'action et un témoignage d'un monde en mutation mettant en lumière l'urgence environnementale qui guide ses expéditions.

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