Interview / Un tour du monde à l'envers en multicoque pour Romain Pilliard et Alex Pella

© Eloi Stichelbaut - Use It Again !

Le navigateur Romain Pilliard s'élance ce 4 janvier 2022 pour un tour du monde à l'envers contre les vents et courants dominants sur son trimaran Use It Again !. Un défi qu'il relève avec Alex Pella. Interview.

Un tour du monde à l'envers

122 jours et 14 heures, c'est le record actuel du tour du monde à l'envers, détenu par Jean Luc Van Heede depuis 2004. Une circumnavigation de 34 000 milles, réalisée à ce jour par seulement 5 marins, et effectué par VDH en solitaire sur son célèbre Adrien.

C'est sur ce record que s'élancera le navigateur Romain Pilliard, sur son trimaran de 23 m Use It Again ! (l'ancien bateau d'Ellen Mac Arthur). Le skipper porte haut les couleurs de l'économie circulaire (Réduire - Réutiliser – Recycler) et a racheté ce bateau en 2016, en minimisant l'impact de son refit sur l'environnement.

"La philosophie du record à l'envers, par rapport à celle de notre projet d'économie circulaire prend tout son sens. Tourner à l'envers pour remettre les choses à l'endroit. C'est une symbolique assez intéressante. Il y aura une vraie réflexion derrière, liée à la sensibilisation de la population.

Ce choix de record fait sens. Je ne me serais pas attaqué à un Trophée Jules Verne avec mon bateau. Ce n'est de toute façon pas notre positionnement."

Un record en double

Pour ce record, Romain est associé à l'expérimenté Alex Pella, alors que les navigateurs l'ayant précédemment tenté étaient en solitaire. Un choix qu'il explique pour deux raisons.

"C'est le record le plus exigeant et sans doute le plus difficile au monde, non battu depuis 2004. En multicoque, ça n'a encore jamais été réalisé. Partir en double c'est un gage de sécurité. Même si mon bateau est fiable, robuste et n'a jamais subi de grosses avaries. Il à l'âge qu'il a, mais je ne suis pas dans une démarche d'ultra performance. Sur la Route du Rhum 2018, j'ai terminé 4e malgré mon gros lot d'avaries.

Dans cet espace de fiabilité, la sécurité est importante et le choix du double prend tout son sens. Je n'ai jamais fait de tour du monde. Même si je connais bien mon bateau, ça reste un multicoque, il peut se retourner.

Il y aura des points sensibles, notamment le contournement de la péninsule sud-américaine – le Cap Horn. C'est un passage compliqué. Il peut y avoir des jours d'attente si les conditions ne sont pas clémentes et c'est moins dangereux de patienter en double qu'en solitaire, surtout dans ces conditions."

"Alex Pella est quelqu'un d'expérimenté, beaucoup plus que moi."

Romain Pilliard © Audrey Dochler - Use It Again !
Romain Pilliard © Audrey Dochler - Use It Again !

Un chantier avec le moins d'impacts possible

Pour partir, le bateau a été révisé de fond en comble, mais de manière raisonnable.

"C'est toute la philosophie de Use It Again ! d'avoir le moins d'impact possible. On n'est pas dans l'innovation. Je ne vais pas équiper mon bateau de foils, dépenser en carbone… L'idée n'est pas d'arriver au niveau des derniers bateaux. Mon bateau est fiable et suffisamment performant pour battre le record du tour du monde à l'envers."

Romain part sans voiles neuves, préférant réutiliser, retailler et réadapter d'anciennes voiles à son bateau. Le skipper embarque du matériel en plus par rapport à la Route du Rhum, mais pas d'innovations ou d'éléments nouveaux.

Réaliser la première cartographie sonore océanique mondiale

Pendant son tour du monde à l'envers, Romain va travailler en collaboration avec des scientifiques pour leur apporter des informations sur la pollution sonore et la vie sonore sous-marine, grâce à des micros à très grande portée.

"Je vais passer par des endroits peu fréquentés et enregistrer à la fois le bruit du trafic qui perturbe les cétacés, mais aussi enregistrer les sons des cétacés que je vais croiser. C'est vraiment intéressant. Ce sera le premier enregistrement mondial. Les campagnes océanographiques coutent très chères et si je peux apporter une aide à la science, c'est génial. C'est dans la logique de la campagne Use It Again. C'est assez inédit."

Le trimaran Use It Again ! © IVMovies - Use It Again!
Le trimaran Use It Again ! © IVMovies - Use It Again!

122 jours, le record à battre

Difficile d'estimer le temps passé autour du monde pour cette tentative. Si Romain espère pouvoir battre d'une semaine ou deux le record, il souhaite surtout terminer ce tour du monde en sens contraire.

"En 122 jours, il peut y avoir beaucoup d'aléas. On peut gagner une à deux semaines si tout s'enchaine bien. Mais si on est arrêté au Cap Horn, ça change la donne. On a le bon bateau pour ce projet, qui représente un bon compromis entre fiabilité et vélocité. Sur un tour du monde classique, les systèmes météo s'enchainent. On peut avoir une vue d'ensemble. C'est faisable de battre le record, mais on verra bien.

L'important c'est d'abord de finir. Il y a peu de gens qui naviguent 4 mois pleins. Un Jules Verne c'est 41 jours, ce tour du monde à l'envers, c'est 3 fois plus. Il y a cette dimension d'avoir envie de passer du temps en mer et de partager cette aventure."

Il sera accompagné dans cette aventure par le routeur Christian Dumard.

"Il y a la fois la dimension sportive pour le record et la dimension de partage de l'aventure. On va pouvoir parler de nos sujets d'économie circulaire et de protection de l'océan. Grâce à ce projet, on va toucher beaucoup de monde. Ça va faire avancer le sujet de lutte contre le réchauffement climatique. Je suis fier de mettre ça en place."

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