Non-conformité du trimaran SVR-Lazartigue, les points de vue divergent en classe Ultim

© Guillaume Gatefait_MerConcept

Le 25 mars 2022, le team du trimaran SVR-Lazartigue dénonçait une "injustice sportive" de la part de la Classe Ultim 32/23, cette dernière invoquant la non-conformité du dernier-né des trimarans géants. Ce 28 mars, la classe Ultim répondait au skipper par le biais d'un communiqué de presse. Tous ces différents acteurs parviendront-ils à trouver un accord ?

Une conception architecturale remise en cause

A quelques jours de la clôture des inscriptions de la Route du Rhum, le Trimaran SVR-Lazartigue n'a toujours pas obtenu son homologation pour courir dans la classe Ultim 32/23. Cette dernière remet en cause la non-conformité du bateau par rapport à la Offshore Spécial Regulations 3.11. Dans la version française du World Sailing que l'on trouve sur le site de la FFVoile celle-ci précise que "Les winches d'écoute doivent être installés de telle façon qu'un opérateur n'ait pas besoin de se trouver nettement en dessous du pont."

La classe remet donc en question la conception architecturale du trimaran de François Gabart qui a choisi d'intégrer la zone de manœuvre et de pilotage dans la coque centrale, sous le pont.

"Il y a une règle fondamentale dans la marine que tout marin doit respecter : tu dois être en capacité d'assurer une veille visuelle depuis la passerelle ou nous concernant le pont de travail. C'est une règle de base qui vaut aussi bien dans la Marine Marchande - que je connais bien, car de formation je suis officier de Marine Marchande - dans la pêche et naturellement dans la course au large. Le concept architectural choisi par François et SVR pose problème quant à cette règle fondamentale de sécurité qui est occultée dans un but de performance aérodynamique. Quand François est à l'intérieur de son bateau, il ne voit rien. François n'a une vision directe de son pont que lorsqu'il est à la barre. Seulement, nous le savons tous, en solitaire, nous sommes 90 % du temps sous pilote automatique, assis dans le cockpit près des winchs et donc pas à la barre. Dans ce cas, le marin se réfère uniquement à des caméras et à des systèmes, que nous avons tous, mais nous savons aussi d'expérience que rien ne vaut l'œil humain. À titre d'exemple, depuis que je suis skipper du Maxi Edmond de Rothschild (2019, ndlr) nous avons failli avoir quatre collisions dangereuses. Systématiquement c'est le regard humain et non les systèmes, qui sont une assistance, qui nous a permis d'éviter la collision. Nous parlons bien ici de sécurité et non de performance" explique Charles Caudrelier, skipper du Maxi Edmond de Rothschild.

Le trimaran SVR-Lazartigues ©Thierry Martinez
Le trimaran SVR-Lazartigues ©Thierry Martinez

Une conception pourtant validée au départ

Pourtant, le team de François Gabart assure que "toutes les démarches et vérifications nécessaires à la conformité du Trimaran ont été entreprises par la Classe et ce, depuis sa conception en 2019. Tous les plans ont été partagés. Le chantier a été suivi par le jaugeur de la Classe Ultim qui n'a à aucun moment fait valoir un éventuel problème de conformité à la Offshore Spécial Regulations 3.11 qui décrit la position des winches par rapport au pont.

C'est cette même règle que la Classe met en avant aujourd'hui, une fois le bateau mis à l'eau, pour réfuter la conformité du Trimaran SVR-Lazartigue.

Il est à noter que plusieurs bateaux du Vendée Globe disposant d'une configuration similaire à celle du Trimaran SVR-Lazartigue se sont d'ailleurs vu délivrés des certificats de jauge ces dernières années, sans que cela ne pose aucune difficulté."

Pour étayer ses propos, SVR-Lazartigue détaille dans un document les faits suivants :

"Il faut ainsi comprendre que les opérateurs des winchs ne doivent pas se trouver nettement à l'intérieur du bateau. L'intérieur d'un bateau est nécessairement étanche et assure la flottabilité. Le cockpit du Trimaran SVR Lazartigue n'étant en aucun cas une zone étanche, il ne peut s'apparenter à "l'intérieur du bateau". En effet, les bulles qui le surplombent ne sont pas étanches, de même que les arrivées de drisses et écoutes dans le cockpit apportent nécessairement de l'eau. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le cockpit est équipé de nombreux trous (dalots) destinés à évacuer cette eau. Dès lors, les winchs du Trimaran SVR Lazartigue situés dans le cockpit ne sont pas à l'intérieur du navire. Ils sont à l'extérieur de la zone étanche et donc sur le pont. Le Comité de Surveillance de la Classe Ultim et le collège d'experts mandatés par la Classe ont ainsi conclu que le bateau était conforme à la règle 3.11. Lorsque François Gabart manœuvre dans le cockpit, il se trouve sur le pont. Ce cockpit et ses occupants sont protégés par une casquette non étanche, essentielle en cas de forte gîte, d'intrusion de bris d'espars ou de chavirage."

Pourtant, en 2021, la classe mandate un groupe de trois experts indépendants qu'elle a choisi, pour statuer sur la conformité du trimaran et qui valide à l'unanimité la conformité du bateau. Cet avis est apparemment confirmé par le comité de surveillance de la Classe, composé du jaugeur de la Classe et d'un représentant de la Fédération Française de Voile. Mais le conseil d'administration de la classe s'obstine à refuser l'adhésion du Trimaran SVR Lazartigue.

Le team dénonce encore : "Une autre action visant au même projet d'élimination est alors portée devant World Sailing, la fédération internationale. Les documents qui leur sont fournis sont inexacts et ne correspondent pas aux plans du bateau. Cette nouvelle démarche initiée à notre insu bouscule le calendrier et pénalise François Gabart et ses équipes dans leur préparation."

Une participation à la Transat Jacques Vabre 2021 sur dérogation

Pourtant, François Gabart a pu participer à la Transat Jacques Vabre 2021, dont il a d'ailleurs terminé deuxième. Mais la classe Ultim explique que le skipper a obtenu une dérogation : " Pour participer à sa première course quelques mois plus tard, la Transat Jacques Vabre, Francois Gabart et son équipe ont dû obtenir une dérogation de la Fédération Française de Voile, leur bateau ne remplissant pas toutes les conditions d'obtention du certificat de jauge. Pour rappel, cette demande a dû être formulée auprès de la FFVoile ; le trimaran SVR-Lazartigue n'étant, d'une part, pas adhérent de la Classe Ultim 32 /23 et, d'autre part, puisque la Transat Jacques Vabre se courait en catégorie et non en classe. Compte tenu des délais très courts, qui n'autorisaient pas de pouvoir procéder à la mise en conformité, mais surtout dans un esprit sportif, constructif et de collégialité, aucun armateur ne s'est alors opposé à cette demande. Cependant il avait clairement été énoncé à MerConcept, dès le mois d'octobre dernier, qu'il devrait procéder aux travaux nécessaires le temps de leur chantier d'hiver post-course pour rejoindre la Classe et s'inscrire ainsi aux régates des calendriers 2022 puis 2023."

Cette dernière précise également que le skipper et son équipe refusent de procéder à des modifications pour mettre en conformité le bateau : "À date, et malgré de nombreux échanges et réunions de travail qui ont rassemblé toutes les parties, le trimaran SVR-Lazartigue ne réunit toujours pas les conditions requises. En effet, la conformité du trimaran à certaines règles, notamment la règle 3.11 des OSR (Offshore Special Regulations de World Sailing), n'est pas établie et a été réfutée par les instances du World Sailing en date du 23 février 2022. Par conséquent, la Classe ne peut l'admettre et lui délivrer son certificat de jauge nécessaire pour son inscription à la Route du Rhum – Destination Guadeloupe."

Le trimaran SVR-Lazartigues ©Thierry Martinez
Le trimaran SVR-Lazartigues ©Thierry Martinez

Quel sera le dénouement ?

Dans son communiqué, François Gabart et son sponsor qui trouvent la situation regrettable concluent "Devant cet acharnement injustifié et inéquitable, le groupe Kresk et MerConcept se réservent le droit d'utiliser tous les moyens légaux à leur disposition pour faire valoir leur bon-droit et obtenir l'homologation du Trimaran SVR LAZARTIGUE dans la Classe Ultim."

La classe Ultim quant à elle fait force et répond par voie de communiqué : "La Classe Ultim 32/23, ses armateurs, ses skippers et l'ensemble des membres des maxi-trimarans regrettent cette situation, préjudiciable pour tous, et au-delà, tout en étant fortement éloignée de leurs valeurs. Les échanges demeurent néanmoins ouverts, avec la volonté affichée de trouver une solution rapide, garante de la sécurité et sportivement équitable, pour autant que François Gabart soit prêt à se conformer aux règles que tous les acteurs respectent à ce jour."

Espérons que les différents acteurs trouvent une solution rapidement, en bons marins dont les valeurs sont la solidarité et l'entraide.

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Pierre-yves Renou
Pierre-yves Renou
Quel dommage l'affichage de ces discussions ! J'ai l'impression de voir Red Bull et Mercedes l'an dernier en F1! Je ne suis pas jaugeur ni architecte, encore moins skipper, mais si cette question n 'était tranchée que par les teams, les jaugeurs et les fédérations pour eviter aux skippers d'être partie prenante de discussions qui les divisent... On ne veut pas d'un d'un duel d'images ! Continuez plutôt à rester soudés comme des gens de mer !
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