Interview / IMOCA, quel bilan et quelles évolutions ? La réponse avec le président de classe

© Julien Champolion-polaRYSE / IMOCA

Antoine Mermod président de la classe IMOCA répond à nos questions sur la bonne santé et les évolutions de la classe, après un Vendée Globe 2020/2021 qui aura marqué les esprits de tous.

Comment expliquer l'engouement pour la classe IMOCA ?

Il y a de nombreuses explications. En ce moment, la course au large – au sens large – attire. Beaucoup de classes connaissent la même chose comme en Class40 ou en Mini. La course au large passionne, plait et attire.

Si on se concentre sur la classe IMOCA, le Vendée Globe 2020/2021 a été une incroyable réussite. Beaucoup d'ingrédients ont été réunis. La période tombait bien, même si la course a été difficile à organiser. En plein confinement, ça a permis à beaucoup de personnes de s'évader et converti beaucoup de fans. Les scénarios sportifs ont été incroyables, les bateaux fiables avec 27 skippers sur 33 ayant passé la ligne d'arrivée.

Finalement, les sponsors se sont réengagés assez vite, ou ont même upgradés leurs investissements. Au-delà de l'histoire vécue, la majorité des acteurs ont analysé que c'était très rentable, avec un ratio retour sur investissement vraiment bon.

Avec la classe on travaille dur pour développer de nouveaux programmes. Le décor est planté et l'on s'accroche à une dynamique. On est dans une spirale très positive avec de bons éléments au bon moment. Il y a beaucoup de talent de la part de nos skippers.

Quelles sont les dernières évolutions entérinées par la classe et les futurs ?

Le point important est un programme sur 4 ans avec 15 belles courses, dont le Vendée Globe et The Ocean Race. On assure une continuité sur la jauge, qui reste similaire à celle du Vendée Globe 2021. On travaille sur deux points :

  • Améliorer le ROI (NDLR : Retour sur investissement) pour les sponsors, et les médiatiser au mieux en valorisant les investissements des partenaires.
  • Développer solidement la partie développement durable. On y investit 15 % du budget de la classe. On maitrise mieux le sujet depuis nos premières actions concrètes et légitimes il y a 4 ans. Les domaines sont variés : vie des équipes, construction des nouveaux bateaux, ACV (Analyse du cycle de vie), installations de capteurs pour des mesures en partenariat avec l'UNESCO… 14 bateaux sont en construction avec 14 ACV différents.  

Il faut mettre l'accent dans le bon sens. Il y a une règle qui pousse à utiliser un peu mieux les matériaux : fibre de lin, de bambou, bio-résine…. Si des pièces sont fabriquées avec des matériaux alternatifs, on peut les enlever du poids de jauge jusqu'à 100 kg. Des écoles et des jeunes travaillent sur ces sujets, pour faire entrer ces nouveaux matériaux dans la construction des bateaux. On ne peut pas changer une industrie en 3 minutes, contrairement à ce que certaines personnes affirment qui peuvent expliquer le contraire.

On travaille aussi avec des voiliers sur la définition de la Green Sail qui présente une meilleure recyclabilité avec des matériaux alternatifs ou une consommation plus basse en eau et carbone pour la construction. Les bateaux devront avoir une "Green Sail" parmi les huit autorisées.

Thèmes abordés lors de l'Assemblée Générale annuelle 2022 © Julien Champolion-polaRYSE / IMOCA
Thèmes abordés lors de l'Assemblée Générale annuelle 2022 © Julien Champolion-polaRYSE / IMOCA

Comment expliquer l'adhésion de nouveaux sponsors et l'envolée de projets jusqu'ici "modestes" comme Benjamin Dutreux avec Guyot Environnement ou Alan Roura avec Hublot ?

Il y a une émulation et une dynamique autour du système pour les personnes qui s'y intéressent. Lorsqu'on investit en course au large, on regarde les projets qui ont du potentiel car ce sont souvent des partenariats sur le long terme. Benjamin et Alan sont jeunes et font de bons résultats. Leurs projets ont déjà atteint la maturité, mais n'avaient pas eu l'occasion d'exploser. L'idée d'un sponsor c'est d'arriver à grandir avec un skipper. C'est souvent comme ça que ça se passe. Il y a des projets à très fort potentiel.

Aujourd'hui quel est le niveau de la classe IMOCA ? Est-il plus élevé qu'avant ?

Il a toujours été très haut. En 2008, le casting du départ du Vendée Globe était dingue avec Loïck Peyron, Roland Jourdain, Jean Le Cam ou Michel Desjoyeaux. Ce sont de très bons marins. Ce sont les bateaux qui ont évolué.

La nouvelle génération de skippers est un peu différente de ses ainés dans le sens où les budgets sont plus importants et les équipes aussi. Ils ont donc plus d'opportunité pour développer la partie purement sportive de leurs projets. Le marin de 2024 est plus entouré qu'en 2008. Il est plus sportif qu'avant et moins éclectique. Mais difficile de dire qu'ils sont meilleurs que les marins d'avant.

C'est sûr que la classe a augmenté en qualité. Sur 40 bateaux, 15 ou 20 peuvent gagner la course. Précédemment, quand on avait 30 bateaux, une dizaine était capable de gagner. Ça évolue, mais ce sont surtout les équipes qui se structurent et la fiabilité des bateaux qui évolue.

Quand on regarde les courbes, les bateaux sont plus fiables, les équipes techniques plus fournies. Les bateaux coûtent plus cher et le process qualité est un autre monde par rapport à 20 ans en arrière. On a beaucoup gagné. Et comme les bateaux sont plus fiables, les skippers naviguent plus, s'entrainent plus et sont donc plus "forts".

L'augmentation de budget a profité à la fiabilité et la qualité de la flotte.

Est-ce qu'il est important pour la classe de continuer à garder ce mix entre bateaux à dérives et foilers ?

La force de la classe IMOCA c'est la diversité des skippers. Des projets sont pensés pour gagner, mais en réalité le poumon de la classe ce sont les projets plus modestes. Ça crée une économie circulaire. Des projets sont revendus à des skippers plus modestes. C'est normal de commencer par le bas. On ne peut pas débuter et gérer une équipe de 15 personnes dès le départ. Ensuite, les skippers évoluent vers de plus gros projets.

Ces différents projets ne s'opposent pas, ils se complètent. On ne peut ni perdre les petits projets qui sont le cœur de la classe ni les gros qui apportent la médiatisation. C'est étroitement lié. Il faut être capable d'attirer des sponsors qui apportent 500 000 € par an comme 30 000 € par an. Il faut trouver sa place et donc trouver son bateau.

Finalement, un bateau avec foils à dérive ou un bateau avec des foils "foils" dépend du budget que l'on y met. C'est en réalité hyper important.

Départ du Défi Azimut 2020 © Julien Champolion-polaRYSE / IMOCA
Départ du Défi Azimut 2020 © Julien Champolion-polaRYSE / IMOCA

Donc c'est encore important d'acheter des IMOCA d'ancienne génération, voir même de faire construire des bateaux sans foils comme le projet d'Eric Bellion et de Jean Le Cam ?

C'est génial ! La classe IMOCA, c'est une classe de développement et de technologie. Il faut arriver à garder les règles. Il faut suffisamment dimensionner avec certaines équipes qui jouent dans la catégorie "match", mais rester ouvert pour ne pas prôner la pensée unique. Il y a 14 bateaux en construction, avec 6 ou 7 architectes différents, dont 3 nouveaux. Comment savoir quel est le mieux ? C'est ce qui fait le charme et tout l'intérêt de cette compétition. Il y a aussi des fans qui sont intéressés par cet aspect technologique. C'est absolument génial d'avoir des concepts différents. Charal ou l'Occitane sont des concepts complètement différents, mais lequel est le meilleur ?

Jean Le Cam a énormément d'expérience. C'est certain qu'il apportera des innovations dans son concept. Il n'y a pas une pensée unique et c'est la diversité des projets qui fait la réussite de la classe.

Au débat sur l'aventure sur des bateaux à dérives ou la performance sur des foilers dans le Vendée Globe, vous répondez quoi ?

Sur le dernier Vendée Globe, Jérémie Beyou a vécu une aventure. Opposer sport et aventure, c'est réducteur. Les gens qui performent – les 10 premiers généralement – vivent également une aventure incroyable : Damien Seguin, Benjamin Dutreux, Jean Le Cam…

Le Vendée Globe c'est une aventure tout court. Il n'y a pas d'opposition. Si on parle des concepts à foils et non-foils, tous ceux qui ont des avis très tranchés sur les foilers, c'est ceux qui n'en ont pas. Mais ils sont moins virulents et n'imposent pas. Il faut accepter les petits et les plus gros projets sans les opposer.

Les bateaux à dérives que l'on voyait sur les derniers Vendée Globe ont tous des foils aujourd'hui. Il ne faut pas trop regarder le bateau du voisin. Toutes les options sont défendables. Il faut garder l'équilibre entre tous.

D'autant plus que le Vendée Globe est une course indécise avec un parcours tellement long. Ce n'est pas toujours le bateau le plus rapide qui gagne.

Quel est cet abattement vétusté pour les vieux bateaux pour le Vendée Globe 2024 ?

Pour avoir un certificat de jauge IMOCA pour courir le prochain Vendée Globe, le bateau devra avoir été construit après le 1er janvier 2005. C'est-à-dire que les bateaux construits pour le Vendée Globe 2008 sont admissibles, mais pas ceux construits pour le Vendée Globe 2000 ou 2004.

L'idée c'est aussi de ne pas avoir un trop grand écart au niveau des performances. Notamment pour la direction de course qui doit gérer des groupes. C'est plus difficile de surveiller la flotte quand les premiers sont dans un océan et les derniers dans un autre.

On ne le fait pas de gaieté de cœur. Il y a beaucoup d'inconvénients à ce genre de règle et l'on ne suivra sans doute pas ce rythme-là. On ne va pas décaler d'un Vendée Globe tous les 4 ans pour déterminer la vétusté des bateaux. Ce n'est pas le chemin que ça prend.

Les IMOCA sur The Ocean Race © Julien Champolion-polaRYSE / IMOCA
Les IMOCA sur The Ocean Race © Julien Champolion-polaRYSE / IMOCA

En quoi la Route du Rhum est une course importante pour la classe IMOCA ?

La Route du Rhum est une grande classique française dans l'imaginaire des Français. C'est une grande course. Pendant très longtemps, c'était la plus grosse course, même si le Vendée Globe est passé devant depuis les années 2000.

Au niveau de la course au large, il s'agit du 2e plus gros évènement. L'accueil est toujours sympa à Saint-Malo comme aux Antilles. Le parcours est super, sur la route des alizés. C'est une histoire incroyable et sportivement parlant c'est très intéressant pour les marins.

Êtes-vous satisfaits du nombre de places attribuées à la classe IMOCA ?

On travaille avec la direction de course pour voir quel est l'état de la flotte et on essaye de trouver le meilleur équilibre. C'est un peu délicat.

Dans la classe IMOCA, nous n'avons que des marins professionnels dont c'est le métier. Or la problématique de la Route du Rhum est d'accueillir des amateurs éclairés qui rêvent de participer à cette course. C'est ce qui fait qu'elle rencontre énormément de succès et qui crée de l'attachement. Mais aussi qui délimite le nombre de places dans chaque classe.

Or, dans notre classe il est délicat que certains skippers ne puissent pas faire une course majeure alors qu'ils ont des sponsors derrière. On défend cela au niveau de la classe. On connait très bien nos coureurs et nos problématiques.

Pour l'instant on est content et il reste encore des places invités.

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