Interview / Clarisse Crémer : "De retour en compétition, j'ai retrouvé la magie qui avait été altérée"

Après la fin de son contrat avec Banque Populaire et son congé maternité, Clarisse Crémer a réussi à monter rapidement un nouveau projet, aidé par Alex Thomson. Elle a pu récupérer son bateau - l'ancien Apivia - et porte désormais les couleurs de l'Occitane en Provence. De retour en compétition, ce qu'elle appréhendait un peu, elle retrouve la joie et la passion qui l'animent pour participer au Vendée Globe 2024.

Après une pause maternité et une fin de sponsoring assez houleuse, tu reviens avec l'Occitane en Provence. Comment as-tu réussi à mener ce projet, à une si courte échéance du Vendée Globe ?

C'est sûr que ce n'était pas gagné d'avance. Moi-même, j'avais du mal à y croire. Clairement, ça aurait été impossible sans que l'Occitane soit aussi réactif et aussi motivé, et sans qu'Alex Thomson me tende la main et m'aide à faire tout ce qui n'est pas la partie visible de nos projets pour le grand public : récupérer un bateau, les contrats, la création d'une équipe, le recrutement, la logistique, la pratique... C'était impossible de faire ça toute seule en si peu de temps. J'ai une fibre de gestion de projet quand même. J'aurais pu être du style à avoir envie, mais clairement, il a fallu se rendre à l'évidence que ce n'était pas possible. Il fallait être prête pour l'été pour pouvoir être à l'eau. C'est le fait de ne pas être toute seule qui a tout changé.

Quelles sont les sensations de retrouver ton bateau ? Comment s'est passé le retour à la compétition ? Tu appréhendais ?

Je n'avais pas navigué en solo depuis l'arrivée du Vendée Globe. Je ne suis pas caractérisée par une confiance en moi excessive, même si je me lance dans des projets ambitieux. C'était dur au début, parce qu'on se sent un peu rouillé. Après, on se rend compte que la voile ne s'oublie pas, même si on a besoin de pratique pour être bien amariné, se sentir en forme physiquement. C'est peut-être là que ça a été le plus compliqué, le physique. Que ce soit lié à la fatigue due à tout le stress de l'année, la maternité et le côté où je ne me sentais pas très gaillarde. Ce sont des bateaux exigeants, il faut être fort. Je ne serai jamais la plus forte du plateau, mais j'aspire à être la meilleure version de moi-même, et clairement, ce n'était pas le cas sur les dernières courses. Globalement, ce qui a été très chouette, c'est que dès le début, sur ma première course, la Rolex Fastnet fin juillet, j'ai retrouvé un peu la magie qui avait pu être un peu altérée par la fin pas facile de mon projet précédent. C'est un sport de passion, c'est une chance, un privilège. On se dit qu'il faut avoir le sourire. Donc si on est un peu malheureux, ça n'a pas trop de sens. J'étais heureuse de retrouver la magie assez vite. C'est cool. Même si ce n'est pas toujours facile. Il y a des moments où je pêche un peu psychologiquement, et je ne m'en cache pas trop.

L'IMOCA L'Occitane en Provence
L'IMOCA L'Occitane en Provence

Comment appréhendes-tu ce second Vendée Globe ? Dans ta BD, tu titres, j'y retourne, mais j'ai peur. Pourquoi ?

C'était mon premier Vendée Globe, avec une préparation assez courte, 17 mois. J'avais commencé la course au large pas très longtemps auparavant. Donc il y a beaucoup de raisons qui expliquent cette peur. Je pense que la peur fait partie de nos projets, donc il est normal que ça existe et je trouve ça bien d'en parler. Là, j'y vais avec d'autres choses en tête, beaucoup plus d'expérience. J'ai grandi non seulement sur la partie nautique, mais aussi sur toutes les parties annexes d'un projet.

Si j'y retourne, c'est que j'ai eu tellement d'apprentissages sur la dernière édition que j'ai envie de les utiliser. J'ai pas envie de buter sur les mêmes écueils, j'ai envie d'être plus forte dans ma tête, techniquement, de me faire confiance. J'y vais, j'ai à nouveau peur, mais comme plein de marins, mais je n'ai pas peur des mêmes choses. Peut-être aussi que je sais mieux gérer mes peurs. C'est ça tout le sujet. Les peurs sont toujours là, la question c'est de savoir ce que l'on en fait.

Clarisse Crémer
Clarisse Crémer

Ca change quelque chose de partir autour du monde maintenant que tu es maman ?

Je ne pense pas que ça change fondamentalement quelque chose. On est beaucoup de marins à avoir des enfants. Sur le sujet des peurs et les inquiétudes, forcément tu as envie que ça se passe bien pour ta fille. L'idée c'est de mettre en place une logistique qui fait que c'est viable pour elle et qu'elle soit dans un cadre stable. Je pense que c'est ce qu'on a réussi à faire.

Tout l'épisode de la maternité et le fait d'être devenue maman, c'est plutôt une force. Ça me permet d'être un peu plus décentrée. De penser à elle, c'est peut-être aussi une manière d'avoir moins envie de se plaindre quand on est sur l'eau. Ça donne aussi un sens du devoir et des responsabilités qui permettent de savoir encore un peu plus pourquoi on fait ce qu'on fait.

Quel sera l'objectif sur ce Vendée Globe sachant que le dernier tour du monde t'a consacré femme la plus rapide autour du monde ?

Alors, c'est un peu anecdotique. C'est indépendant de ma performance. Ça en dit plus sur le peu de femmes. Ellen Mc Arthur avait fini sa course 20 ans plus tôt sur un bateau différent. Chaque édition a une météo différente, des bateaux différents, c'est difficile de comparer d'une édition sur l'autre. Ce record est plus médiatique que réel. Je suis arrivée 12e. J'étais déjà super fière de finir mon Vendée. Ça, j'ai souvent eu l'occasion de le dire, notamment dans ma BD. Mon objectif pour bien performer, c'est forcément de terminer. Comme je l'ai dit avant, de réutiliser tous les apprentissages de mon précédent Vendée Globe, d'être plus sereine, même si forcément il y aura des moments durs, de mieux gérer les problèmes techniques. C'est surtout ça que j'ai très mal géré psychologiquement sur le précédent Vendée. À être meilleure dans ma gestion de mon énergie personnelle. De bien naviguer. De moins faire le choix de la sécurité. Il y aura toujours la sécurité, parce qu'il faut terminer et prendre soin de son bateau. J'ai un peu hypothéqué la compétition dès la première semaine sur le Vendée 2020 en étant celle qui contournait le plus dans l'ouest la tempête tropicale Theta à laquelle on a été confronté la première semaine. Clairement, je ne veux plus être dans ce cas de figure là. Je peux être amenée à faire des choix et des compromis, à ralentir pour éviter des systèmes, mais comme tout le monde. Le niveau de performance sera plus présent dans mes compromis.

Arrivée de la Transat Jacques Vabre
Arrivée de la Transat Jacques Vabre

Avec Tanguy, vous partagez vos stratégies et analyses ou c'est chacun pour soi ?

Oui et non parce que l'on a des bateaux différents, avec des stratégies différentes. On partage un peu, mais plutôt moins que sur nos précédents projets. On partage plus sur des sujets comme la gestion d'équipe, des sujets plus globaux, plus humains. Après, il y a des moments où on parle manœuvres. Forcément, ça fait partie de notre quotidien. On essaye aussi d'avoir d'autres sujets de conversation, même si c'est difficile, car ce sont des projets très prenants.

Comment envisages-tu la gestion de ton impact environnemental sur la course ?

C'est un vaste sujet qui ne porte pas que sur le Vendée Globe. Dans nos projets, c'est pas juste sur la course. C'est chouette que ça devienne un sujet vraiment central. Ça montre qu'on ne peut vraiment plus tourner autour du pot. C'est un sujet compliqué, car la meilleure façon de ne pas polluer, c'est de ne rien faire du tout, presque de ne pas exister.

Quand on parle de sobriété avec nos projets très compétitifs, c'est pas toujours facile. La meilleure façon c'est de ne pas développer de nouvelles choses, de ne pas consommer de nouvelles voiles, de ne pas faire évoluer nos bateaux... C'est là qu'on arrive à une question presque philosophique. Aujourd'hui, on pourrait se vanter de ne rien avoir changé sur le bateau, de tout réutiliser comme avant, mais la vérité c'est que c'est aussi une contrainte de temps et d'argent. Je ne veux pas m'en vanter et camoufler ça sous une démarche écologique. C'est un sujet éminemment compliqué.

Je n'ai pas envie de m'en vanter parce que c'est hyper basique et ça devrait l'être pour tout le monde. J'ai été à Genève, je peux y aller en avion, mais j'y suis allé en train. Ça m'a pris 5 heures de plus, mais voilà. Parfois je ne vais pas avoir le choix de prendre l'avion, parce que mon planning est chargé. Tu peux questionner ce planning, de savoir s'il doit être si chargé et me contraindre à prendre l'avion. Je n'ai pas de réponses précises, je fais ce que je peux. J'ai du mal à me vanter du peu que je fais. Après, il y a des basiques qui me paraissent évidents, mais qui ne le sont pas pour tout le monde.

Par contre, je suis assez fan de mon sponsor L'Occitane en Provence par rapport à ça. Ils font des cosmétiques qui sont assez pionniers. Ils ne s'en vantent pas beaucoup. Ils sont prêts à faire des choix assez drastiques, à mettre en danger des best-sellers pour être sûrs que le packaging soit recyclable. Ils font des choses assez fortes. Ce n'est pas évident dans leur industrie très compétitive.

J'en discutais avec l'IFREMER, si j'arrive à avoir une balise à bord, à avoir les sous pour avoir ce gros outil de mesure, j'espère pouvoir le faire. Mais ça demande pas mal d'argent.

Je parle avec humilité, parce que je n'ai aucune envie de donner des leçons, mais je suis contente que ça devienne un sujet central et que l'on mette en lumière nos contradictions, en tant que sport, en tant que compétition.

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