Un homme à la mer, les yeux comme premier outil de sauvetage

En tant que plaisancier, nous sommes investis du devoir de porter assistance à quiconque se trouve en danger. La présence sur zone ou à proximité nous impose ainsi de nous dérouter, mais nous pouvons être bien démunis quant à ce qu'il faut réellement faire pour rechercher une personne perdue en mer.

Vous êtes en pleine navigation, paisiblement aux commandes de votre bateau lorsque la VHF crachote un message qui vous sort de la torpeur du long cours. Une autorité - un CROSS - vous appelle. Le premier appel ne suffit pas à vous faire réagir, il faut reconnaître que l'oreille n'est pas en permanence à la VHF. Au second appel, c'est incontestable, le bateau que l'opérateur appelle, c'est effectivement vous.

Surpris, vous saisissez le micro et répondez au message. Canal de dégagement, vous sentez nettement que quelque chose d'important va avoir lieu sans savoir précisément ce dont il s'agit.

L'opérateur n'y va pas par quatre-chemins. Dans la zone où vous vous trouvez, une personne est tombée à l'eau et son équipage l'a perdue de vue. Il vous demande, vous ordonne en fait, de prendre part aux opérations de sauvetage. À dessein, il vous communique un point GPS à rallier et vous demande une ETA (heure estimative d'arrivée sur zone) et de le recontacter lorsque vous serez à proximité.

Démarrage de la recherche

L'opération de recherche à laquelle vous allez prendre part démarre dès cet instant; et vous êtes redevable de veiller à ce que vous voyez sur l'eau. L'opérateur du CROSS ne vous laisse pas sans instruction cependant. Il vous expose les moyens autres engagés (aéronef, autre bateau de plaisance, SNSM …) et fournit, au fur et à mesure de votre route, les informations indispensables :

  • Couleur des vêtements
  • Corpulence 
  • Lieu de chute 
  • Lieu de dernière vision

Qui vous permettent d'affiner votre recherche.

Tout l'équipage doit être actif

Du moment où vous prenez part à cette opération, vous et votre équipage êtes sous l'autorité du CROSS (vous devenez un moyen) et devez à minima maintenir une veille visuelle des environs du bateau.

Chaque équipier endosse son gilet de sauvetage pour ne pas aggraver la situation en cas de chute. Parce qu'en regardant au loin, il pourrait ne pas prévoir les mouvements du bateau, la ligne de vie est à poste et attachée au baudrier du gilet. Personne ne fume (pour éviter l'irritation des yeux) et chacun arbore ses lunettes de soleil pour éviter d'être ébloui.

N'utilisez pas de jumelles (elles réduisent trop la zone de regard) et, avant de commencer, nettoyez les vitres du cockpit. Des vitres nettoyées permettront non seulement de mieux voir, mais, aussi, elles éviteront à l'œil de constamment devoir refaire la mise au point (adaptation au loin, adaptation à la trace, adaptation au loin …).

De nuit, éteignez toutes les lumières (sauf les feux réglementaires) pour ne pas réduire la sensibilité visuelle. Selon les personnes, il peut être nécessaire, la nuit, d'attendre une demie-heure pour que le regard soit accoutumé à la faible luminosité.

Vous disposez votre équipage de manière que les 360 degrés autour du bateau soient couverts. Vous, en tant que chef de bord, gérerez la zone avant du bateau. Un équipier sera placé à l'arrière et un sur chaque bord. C'est la situation optimale, au plus d'équipiers vous disposez, au plus la zone d'observation sera étroite.

La disposition des observateurs aura un impact fort sur le succès de cette recherche
La disposition des observateurs aura un impact fort sur le succès de cette recherche

Enfin, toutes les 30 minutes, faites tourner l'équipage. À deux équipiers, inversez les côtés (l'équipier bâbord passe à tribord et inversement). À trois équipiers, chacun tournera de 90 degrés vers la gauche. Dans l'idéal, si c'est réalisable, conservez un équipier de réserve. Le stress, l'énervement et l'empressement à bien faire représentent des facteurs qui vont accroître la fatigue. En tant que chef de bord, dès que vous verrez un des observateurs se frotter les yeux à plusieurs reprises, il sera temps qu'il fasse une pause, car chaque frottement, mécaniquement, altèrera la forme de l'œil qui s'était adapté à l'environnement et demandera une réadaptation qui, de nouveau, pourra nécessiter une demie-heure.

Se répartir la zone d'observation

Le principe est élémentaire, divisez les 360 degrés environnants par le nombre d'équipiers. Chacun doit en conséquence scruter un angle de X degrés face à lui.

C'est donc cette zone, et elle seule que, par défaut, vos équipiers vont scruter. Cette scrutation démarre aux pieds de l'observateur et s'éloigne au fur et à mesure, par lignes parallèles. Les yeux (le regard donc) demeurent fixés, droit devant. C'est le cou et les muscles du dos qui, bien plus forts et solides, exécutent le mouvement de la tête pour scruter la zone d'observation.

C'est dans un cycle que l'observation se fait :

  • Déplacement de la tête vers la zone
  • Arrêt 
  • Adaptation de la vision
  • Observation
  • Déplacement de la tête vers la zone
  • Arrêt 
  • Adaptation de la vision
  • Observation

Et ce, sur un angle maximum de 15°, au-delà duquel l'observateur va se fatiguer plus vite.

Cycle de scrutation
Cycle de scrutation

Vous débutez l'observation au plus proche du bateau (au premier point où vous pouvez apercevoir l'eau) et évoluez vers la droite dans un angle maximum de 15 degrés.

Vous stoppez le mouvement, accordez le temps à vos yeux de s'adapter et de faire le point.

Vous regardez en pensant "je suis en train de voir ceci ou cela". Si cela vous aide, dites le à voix haute, le fait de s'entendre dire une chose peut provoquer une réaction plus efficace.

Recommencez le déplacement de la tête, toujours vers la droite.

Lorsque vous avez atteint un des côtés de votre zone d'observation, déplacez la tête, par le cou, de quelques degrés vers le haut.

Cette nouvelle position sera le premier point d'observation. Ici encore, accordez à vos yeux le temps de s'adapter et de faire le point puis regardez.

Lorsque vous aurez parcourue toute la zone partant du plus proche du bateau à l'horizon, accordez vous une pause. Pourquoi pas 30 secondes par exemple à ne rien regarder activement pour donner un peu de repos à vos yeux particulièrement sollicités alors.

Attention au point aveugle

Tel qu'il fonctionne, l'œil dispose une zone aveugle, qu'on appelle la tache de Mariotte. C'est la zone au fond où le nerf optique vient se brancher aux bâtonnets sensibles. Cette zone ne voit rien, c'est le cerveau qui triche et recréé la vision. Autrement dit, ce que nous voyons dans cet endroit n'existe concrètement pas. Ou pire, existe, mais nous ne le voyons pas. Et s'il s'agit d'un naufragé, cela peut signifier qu'il sera invisible. Pour cette raison, le regard doit être légèrement détourné de l'axe central de la vision mécanique pour être certain de capter avec précision ce qui est vu.

Le point aveugle, centre de convergence du nerf optique, représenté en clair ici
Le point aveugle, centre de convergence du nerf optique, représenté en clair ici

Pour vous convaincre de ce point aveugle et pour révéler la localisation du votre, adonnez vous à cet exercice :

Recouvrez votre œil gauche de la main et fixez le point noir. Approchez votre visage de l'écran doucement. À un moment, le point rouge disparaît de votre champ de vision !

Utiliser la façon de regarder

De nuit, les bâtonnets qui tapissent le fond de l'œil sont de moins en moins sensibles au fur et à mesure qu'on se rapproche de la tache de Mariotte. Il est en conséquence d'autant plus important de penser à utiliser la vision périphérique et à se préparer à apercevoir une lumière sur les côtés.

On recherche quoi au juste ?

Chercher, oui, mais chercher quoi ? Partez du principe qu'il ne s'agit de rien de plus qu'un point infime orange (le gilet de sauvetage du naufragé) dans l'écume. Autrement dit, une aiguille dans une botte de foin. Et cette botte de foin, elle bouge en permanence.

Cette aiguille, elle peut se concrétiser sous énormément de formes. L'éclat d'un feu, de la fumée, quelque chose qui bouge, une coloration de l'eau, un parachute qui descend du ciel, un feu d'artifice… Tout ce qui n'est pas commun sur l'eau peut être considéré comme étant le naufragé. Et à chaque doute, la même procédure :

  • Conserver l'œil rivé sur la chose vue
  • Tendre le bras vers la chose
  • Demander à un autre équipier d'utiliser les jumelles et de regarder dans la direction indiquée par le doigt
  • Lever le doute.

S'il s'agissait d'autres choses que le naufragé, vous poursuivez l'observation en oubliant ce que vous venez de voir (le cerveau adore les artefacts) et en continuant dans le même ordre que précédemment les cycles de scrutation.

La victime trouvée, ne la perdez pas de vue

Par chance, vous parvenez à localiser la victime. C'est à ce moment précis que les choses doivent se faire dans le calme et avec méthode. Vous maintenez le regard rivé vers ce que vous venez de voir et tendez la main dans sa direction.

Vous faites procéder à la levée de doute et, si elle est positive, l'équipier à jumelles doit dire ce qu'il voit avec clarté et avec des mots compréhensibles :

"Je vois une personne avec son gilet. Elle fait des gestes de bras. C'est un homme avec des lunettes."

Ou encore

"Je vois un radeau de survie orange."

Bref, il doit dire ce qu'il voit pour que tout l'équipage ait conscience de ce fait.

Les deux équipiers qui ont vu se relaient alors pour maintenir en permanence le contact visuel avec la victime. Si le temps est long et qu'ils se fatiguent, ils peuvent être remplacés par un autre qui devra, avant de remplacer, voir et décrire ce qu'il voit. Si la description diffère trop de ce qui a été vu initialement, il est plausible qu'il pense voir, mais ne voit pas. Il ne peut ainsi pas, dès lors, être considéré comme fiable pour maintenir le contact visuel.

Prévenir qu'on a vu ne signifie pas se déplacer

Le chef de bord reprend immédiatement contact avec les autorités et explique ce qui a été vu et dans quelle direction. Ici encore, plus les détails seront clairs, meilleures seront les décisions prises par l'opérateur.

Cet opérateur, d'ailleurs, va à ce moment précis transmettre des instructions claires que vous devez respecter scrupuleusement. Il peut s'agir, par exemple :

  • Rendez-vous au contact du naufragé
  • Lancez une fusée pour rendre votre zone visible depuis le ciel
  • Déclenchez un fumigène
  • Conservez uniquement le contact visuel
Différents moyens peuvent être engagés sans que vous ne le sachiez
Différents moyens peuvent être engagés sans que vous ne le sachiez

Vous pouvez en effet être surpris de ne pas avoir à aller au contact immédiatement. C'est logique, vous n'êtes éventuellement pas l'unique bateau engagé. Dans cette armada engagée, l'opérateur aura établi plusieurs fonctions, selon les effectifs à sa disposition :

  • Des observateurs (ses yeux)
  • Des récupérateurs (ses mains)
  • Des sauveteurs (ses docteurs)
  • Des moyens aériens (ses pieds)
  • Des plongeurs (ses spécialistes)

Et vous ne savez pas exactement quelle représente votre mission. En vous rendant sur zone sans instruction, vous pourriez mettre en danger d'autres acteurs de cette opération de sauvetage dont vous ne soupçonnez pas l'existence, un plongeur par exemple.

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