Interview / La résine thermoplastique, le futur matériau de construction des bateaux de plaisance ?

© Brunswick

Elium est une résine thermoplastique recyclable qui permet de construire des bateaux plus vertueux, même s'ils restent issus du pétrole. Lalou Roucayrol a déjà fabriqué 3 bateaux de course avec ce matériau et des chantiers de plaisance ont d'ores et déjà annoncé l'utilisation de cette résine pour fabriquer un prototype. Elium sera-t-elle l'avenir de la plaisance ? Explications avec Lalou Roucayrol.

Lalou Roucayrol, à la tête de l'écurie de course au large Lalou Multi, travaille depuis de nombreuses années sur l'évolution des modes de fabrications des bateaux, notamment comme partenaire technique d'Arkema dans le développement de résine.

Où en est-on de la construction vertueuse des bateaux ?

La majorité des bateaux de plaisance sont construits en composite. Il s'agit d'un tissu (carbone, fibre de verre, lin…) que l'on recouvre de résine et qui par durcissement (polymérisation) se transforme en matériau composite. Aujourd'hui, la résine est essentiellement thermodurcissable (polyester). Le produit final n'est donc pas recyclable.

En optant pour un tissu recyclable – le lin par exemple qui est produit dans le Nord dans la France, ce qui réduit encore le bilan carbone – plutôt que de la fibre de verre, le bilan carbone global est quand même plus bénéfique, mais le matériau toujours pas recyclable.

Le polyester a vu le jour à la fin des années 1945. L'époxy a été utilisée sur des bateaux de course prototype dans les années 75/80. En 2022, Arkema a développé la résine thermoplastique Elium et d'autres fabricants développent également ce type de résine.

Quelles sont les caractéristiques de la résine Elium ?

Arkema a développé une alternative à la résine classique, une résine thermoplastique issue du pétrole, mais recyclable sans perte de caractéristiques mécaniques. On peut ainsi en extraire la matière première (fibre, sandwich PET) et déconstruire la totalité du composite pour récupérer entre 95 et 98 % de la matrice monomère (PMMA) en fonction de la pollution (ce qui n'est pas recyclable comme le gel coat…).

Le processus de mise en œuvre consiste à faire chauffer la résine Elium dans un four à pyrolyse à des températures comprises entre 400 et 600°. La matière est liquéfiée et redevient monomère. La méthode de centrifugeage permet également de séparer les différents matériaux en fonction de leur poids.

Des projets sont en cours chez Arkema sur les résines biosourcées. Ils ont développé un prototype composé à 50 % de matériaux biosourcés et à 50 % issu de l'industrie du pétrole. La résine Elium n'utilise pas de matériaux biosourcés, mais recyclables. C'est un processus plus vertueux dans la construction.

Si le lin ne permet pas la construction d'un bateau léger dans le monde de la course au large – où la chasse au poids est le nerf de la guerre – il est totalement compatible avec la construction de bateaux de plaisance, où le poids est moins significatif.

Si on utilise la résine thermoplastique plus du lin pour construire un bateau, on obtient un produit 100 % recyclable, dans le respect de la chaine du bilan carbone.

Le dernier-né de l'écurie en fibre de verre, résine Elium et mousse PET
Le dernier-né de l'écurie en fibre de verre, résine Elium et mousse PET

Comment fonctionne le recyclage des matériaux lors de la fabrication des bateaux ?

On utilise la technique de l'infusion. Avec cette méthode, les opérateurs ne sont pas en contact avec la résine brute. Avec la technique de l'infusion, on peut récupérer 100 % des matériaux mis en œuvre dans la fabrication : bâches à vide, drains, tuyaux de transport de la résine… L'ensemble des consommables peut être recyclé à 100 %.

C'est ce que l'on a fait pour la construction du Class40 Captain Alternance. Tous les consommables sont envoyés au Groupement de recherches de Lacq (GRL) chez Arkema, dont l'unité de R&D est basée à Pau. Tout est recyclé en fonction du plastique mis en œuvre pour chaque équipement.

Les fonds de pots polymérisés – les bassines avec lesquelles on pompe la résine – sont récupérés à 100 %, car ils sont propres. On refait du monomère et de la résine. Les tuyaux en matière plastique remplis de résine sont transformés en thermoplastique et deviennent des pièces pour les robinets d'infusion. Les bâches à vide, les grilles d'infusion et les drains amalgamés sont transformés en plancher d'aggloméré de plastique. C'est un matériau brut, mais on le réutilise dans la construction pour faire des supports de moule.

Les thermodurcissables eux, sont enfouis ou incinérés.

Pouvez-vous nous présenter les différents bateaux fabriqués à base de résine Elium ?

On est au début de l'aire du thermoplastique. On a commencé à l'utiliser en 2014 sur une bôme pour Arkema, mais ça a été un échec. Elle s'est rapidement cassée. Les ingénieurs ont revu leur copie.

En 2016, on a fabriqué le Mini 900, qui compte 3 traversées de l'Atlantique. C'était une réussite. C'est la première fois que l'on réalisait une pièce de cette taille-là avec la résine Elium. Après la première Transat en 2017, ça nous a plutôt rassurés sur ce type de composite. On effectue des contrôles non desctructifs pour étudier le vieillissement de la résine, mais on est plutôt rassuré. On verra son évolution dans 10 ans.

La construction d'Arkema 4 a validé un certain nombre de paramètres dont la déconstruction. Les moules de coques en Elium ont été broyés et recyclés pour être réutilisés pour faire le carénage avant du trimaran et une partie du roof.

Le Class40 Captain Alternance est en fibre de verre, résine Elium et mousse PET, fabriquée à partir de 30 % de bouteilles en plastique recyclées. La qualité mécanique est un peu moins bonne que les mousses PVC que l'on utilise dans les bateaux de course, mais elle est plus vertueuse. On a fait beaucoup de R&D avec Arkema et le cabinet Lombard.

On a bouclé la boucle avec une construction qui se rapproche fortement de la construction de bateaux de plaisance au niveau des matériaux et de la technologie. C'est ce qui nous permet de dire que demain on pourra construire des bateaux de plaisance avec ce type de matériaux.

Le Mini 900 aux couleurs d'Arkema
Le Mini 900 aux couleurs d'Arkema

Est-ce que l'on pourrait bientôt naviguer sur des bateaux de plaisance fabriqués à base d'Elium ?

Des constructeurs de plaisance comme Brunswick s'intéressent à cette technologie. Ça va booster son évolution. On a validé ce principe chez Lalou Multi. On l'utilisait dans la construction de nos bateaux. On a prouvé la faisabilité et levé un certain nombre de verrous techniques. C'est une technologie qui commence à être mature pour passer un stade supérieur. Des chantiers français sont intéressés et des discussions en cours.

À terme, si le consommateur est prêt à payer la différence de coût, oui c'est l'avenir. On va commencer par du prototypage, pas sur des grandes séries. Ça sera peut-être le cas d'ici 5 à 10 ans. On commencera à utiliser ce type de résine dans la plupart des bateaux produits. Les mentalités évoluent, les technologies aussi. La résine est de plus en plus facile à utiliser et les équipes seront formées.

C'est un sujet d'actualité de fabriquer des produits vertueux et recyclables. Il faut diminuer au maximum l'impact que l'on a sur l'environnement. Il faut le temps que les mentalités évoluent.

Quels sont les freins à la mise en œuvre du thermoplastique dans la plaisance ?

La formation des équipes. On n'utilise pas ce type de matériau comme du polyester. Elle nécessite des techniques particulières. Il faut aussi un outillage particulier, des moules, un système de découpe qui répondent à un cahier des charges précis.

Quant au tarif, la résine Elium est plus chère que le polyester, mais moins que l'époxy.

Et qu'en est-il de son développement dans la course au large ?

Les autres skippers attendent de voir si nos bateaux tiennent le choc, que l'on prouve que notre technologie fonctionne pour l'utiliser. Pour les IMOCA, on ne peut pas utiliser la résine Elium, car ils sont construits avec du pré imprégné époxy et nous n'avons pas de pré imprégné Elium. C'est une technologie qui utilise essentiellement l'infusion, avec un poids de résine plus lourd donc ça n'est pas intéressant mécaniquement pour la classe IMOCA.

Par contre, les Class40 et les Mini utilisent la méthode de construction de l'infusion. Mais c'est une technologie encore peu mature. Sur un bateau de plaisance, la jauge de sécurité est très importante. Les coques monolithiques ont une épaisseur de 10/15 cm. L'inertie du matériau qui va faire que la résine Elium sera solide.

L'Ocean Fifty Arkema 4
L'Ocean Fifty Arkema 4

Quand on cherche la performance, la peau est très fine donc la résine (matrice) est mise sous contrainte. C'est elle qui va faire la résistance aux chocs. Il y a un risque que pour l'instant les skippers ne sont pas prêts à prendre.

En parallèle, on construit un 2e Class40 en époxy (NDLR : le Class40 Paprec Arkea de Yoann Richomme) et on va étudier les différences avec celui construit à base d'Elium. La technologie est la même, tout comme l'équipe, mais le matériau est différent. On réalise un bilan carbone en 3 scopes :

  • De la production du pétrole jusqu'à l'atelier
  • Des matériaux jusqu'à la mise à l'eau du bateau
  • Exploitation et fin de vie du bateau

On peut voir qu'avec le Class40 à l'Elium, on gagne 50 % d'empreinte carbone sur la construction. On voit un réel impact carbone d'un bateau thermodurcissable.

Je construirai également un autre Class40 en thermoplastique avec lequel je participerai à The Race Alone (le tour du monde avec étapes des Class40 en 2023). Je cherche des financements pour ce projet.

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