Entre voile et vol, la navigation… selon Alain Thébault, créateur des SeaBubbles

© Francis Demange

Quand un amoureux de la vitesse à la voile se transforme en fan de la mobilité nautique volante… C'est l'histoire peu banale qu'écrit, année après année, Alain Thébault, créateur hier de l'Hydroptère, aujourd'hui de la SeaBubble.  

Tout commence dans les années 70 : Alain vit dans sa 2CV et sur ses planches à voile. Comme Éric Tabarly, il a en tête de faire voler un jour un bateau. Cette idée commune les amène à se rencontrer… « En 1976, Éric a conçu un trimaran à foil, de six mètres. C'est à ce moment-là que je l'ai abordé… et que j'ai fini par m'installer chez lui pour développer mon projet. Pendant trois ans, je l'ai côtoyé, un homme libre et visionnaire et en avance sur tout ! Pour exemple : sa goélette Penduick III en aluminium… Pour lui, les bateaux allaient voler, c'était un fait. Utiliser des ailes pour évoluer dans un fluide et permettre un gain de trainée lui paraissait évident ! » De son côté, Alain conçoit sa propre maquette à échelle un tiers. Il l'expérimente à l'École nationale de voile et des sports nautiques, à Quiberon, pendant plusieurs années… « Je tentais, je chavirais… Et tout le monde, là-bas, rigolait en me voyant avec ce bateau à foils ! ».

L'envol d'Alain

C'est en 1992 que pour Alain, les choses prennent une vraie tournure… « Il y a eu cette réunion au sommet à Bénodet. Au sommet, parce qu'Éric avait rassemblé les grands pontes de deux industries, l'aéronautique et la Navale. Il leur a dit qu'ils savaient que les bateaux voleraient un jour. Il m'a présenté comme celui qu'il fallait suivre en la matière. Quelqu'un d'assez têtu pour aller jusqu'au bout ! Vous imaginez l'appui que m'a offert alors Éric : un vrai parrainage ! » Cependant créer un bateau volant n'est pas une mince affaire : les essais aboutissent à des crashs… quatre au total. Espacés de près de neuf mois de réparations à chaque fois… ce qui permet à Alain d'avoir trois filles, dans les intervalles ! Trois filles qui font partie de l'histoire…

Des voiles, du vent, un vol

C'est finalement en 1994 que l'Hydroptère - c'est ainsi qu'Alain a baptisé son bolide – effectue son premier vol au-dessus de l'eau. En 1995, les deux inventeurs, Éric et Alain, voguent et volent ensemble. Dix ans plus tard, en février 2005, l'Hydroptère traverse la Manche... Et en 2009, après un violent, mais ultime chavirage en 2008, il bat un double record de vitesse à la voile : il atteint les 50,17 nœuds de moyenne sur un mille nautique, et les 51,36 nœuds sur 500 mètres. Il s'offre même des pointes à 55,5 nœuds… soit 103 km/h !

« Mais ce que je voulais, c'était surtout me mesurer à l'océan... Je voulais en traverser, et montrer ainsi qu'un bateau hauturier avec des foils pouvait aller si vite ! ». Alors, Alain vend sa maison, et part s'installer sur la côte ouest des États-Unis, pour se mesurer au Pacific entre Los Angeles et Hawaï. Il passe là-bas un an pour préparer sa traversée. En 2015, Alain rencontre le Prince Albert de Monaco, qui deviendra un soutien. « Il m'a dit alors que c'était bien les records, mais qu'ils n'avaient plus beaucoup de sens à ses yeux. Que ce qu'il trouvait intéressant, lui, c'est que moi je témoigne de la pollution des océans. Notamment de cette masse de déchets que j'allais croiser. Il m'avait aussi incité à croiser la route de Bertrand Piccard et de son Solar Impulse. En fait, Albert de Monaco voulait que je marie performance à la voile et engagement écologique ! ».

De records à la voile… à la mobilité sur l'eau

Alain atteint Honolulu en juillet 2015. Ses trois filles, nées durant les essais de l'Hydroptère, sont là, sur le ponton où il débarque. Elles lui parlent franchement, il s'en souvient bien : « pour elles, j'avais fait le tour de la vitesse à la voile en elle-même. Il fallait que je trouve quelque chose d'autre, quelque chose d'utile. Elles habitaient toutes les trois dans de grandes métropoles. Et souvent, dans ces grandes villes, situées au bord de la mer, d'un lac, ou le long d'une rivière la plupart du temps, justement on n'utilise pas, du moins plus, les voies d'eau pour se déplacer. Bref, l'idée que nous avons eue, ça a été de mettre à profit ce que j'avais appris avec l'Hydroptère pour faire voler tout le monde sur l'eau, dans les grandes villes ! ». C'est ainsi qu'Alain passe de la navigation à la mobilité, et du loisir au transport. Il reprend ses fidèles crayons et planche… Et la SeaBubble naît. Un navire à moteur qui reprend le principe du foil : soulever le bateau pour que sa coque sorte de l'eau et n'entrave plus l'avancée. Un navire qui ne génère ni vagues, ni bruit, ni pollution. Autant d'atouts pour les mégalopoles urbaines à équiper.

Naviguer… autrement !

Parce qu'elle s'adresse aux citadins, la SeaBubble se doit d'être confortable et pratique. « On doit pouvoir partir au boulot par ce biais : travailler avec le wifi, porter des talons... C'est le contraire d'un zodiac, en fait : pas d'embruns, pas de mouvements… » Un objectif qui explique que les sensations soient bien différentes entre le traditionnel bateau et la SeaBubble… même s'il s'agit toujours de navigation ! « Dans la SeaBubble, on est comme en apesanteur au-dessus de l'eau, comme dans un avion en fait. Ou sur un tapis volant… moi j'ai toujours rêvé de voler sur un tel tapis ! ». Puis, tout s'enchaîne : on passe d'un projet dessiné à Hawaï à une vraie structure industrielle, créée en 2016. En juin 2017, Anne Hidalgo, Maire de Paris, fait un trajet sur un prototype. En mai 2018, même expérience avec le Prince Albert II de Monaco. Puis présentation la Bubble Taxi en Hollande. En 2019, le design du Bubble Taxi électrique est achevé. « En 2020, sur les conseils de mes amis Jean-Louis Étienne, Gérard Feldzer et Bertrand Piccard, j'opte pour l'hydrogène pour motoriser les Bubbles. Sincèrement, quand je suis allée voir ce que ça donnait dans un labo suisse, je me suis dit que c'était le pétrole de demain cette technologie ! Une autonomie bien plus grande pour un temps de recharge bien plus réduit. »

Redonner le sens de la navigation aux citadins

Le développement de l'entreprise SeaBubbles continue : dix personnes, en majorité des ingénieurs de haut niveau, sont embauchées pendant le confinement. Mi-décembre, la New Bubble, à grande autonomie puisque propulsée à l'hydrogène, et pouvant transporter jusqu'à huit personnes dont le pilote, sera présentée. Et Alain travaille d'arrache-pied sur le Hi-Bus qui pourra embarquer, lui, entre 12 et 48 personnes. « Le maire de Miami est intéressé par le 48 places et surtout parce que le Hi-Bus ne fait pas de vagues, utile dans un espace marin très fréquenté… Le Prince Albert de Monaco, lui, est intéressé par un 32 places, pour une liaison Nice-Monaco-Italie. Quant au Cheik de Dubaï, il m'a demandé de plancher sur des Bubbles autonomes (sans pilote et avec réservation digitale depuis les smartphones). » Alain prévoit la fabrication de 50 Bubbles à hydrogène dans la foulée pour que leur commercialisation soit effective dès 2021. D'ici deux ans, l'embauche de 70 salariés devrait être possible selon le business plan validé par les financiers qui le suivent. « Aujourd'hui, je sens une vraie accélération du projet. Me voilà à nouveau porteur d'une idée qui me dépasse. Je vais encore essuyer les plâtres, comme pour l'Hydroptère... ».

La voile… et son avenir ?

Alain qui se dit très sollicité par ces projets trouve tout de même le temps d'emmener ses deux fils voguer… Par l'intermédiaire d'un tout petit bateau de 10 cm et 50 g, doté d'une petite voile mobile. « Je le fais naviguer avec eux sur le Lac Léman, sur le bassin du Luxembourg…  « Small is beautiful », dit-on, n'est-ce pas ? Et lui m'autorise tous les rêves ! ». C'est ce à quoi tient le plus sans doute Alain : l'ouverture. « C'est ce mélange de technologies, navales et aéronautiques, qui m'ont amené là où je suis. Et c'est un peu ce qui manque, je trouve, à la voile d'aujourd'hui. Ce sont les ruptures technologiques qui font évoluer les machines. Et, à elles, je ne suis pas certain que le milieu de la navigation à la voile soit toujours prêt. Moi, j'avais le projet de traverser en deux jours l'Atlantique. Vous comprenez bien que pour ça, il faut penser tout autrement. Il ne s'agit plus de savoir si les haubans ou le mât doivent être comme ceci ou comme cela… Il faut envisager d'une manière différente la navigation. Heureusement, il y a le Vendée Globe : là on dépasse la voile bien sûr, là c'est une affaire d'hommes et de femmes qui vivent une aventure intérieure, et qui la partagent. Eux portent la voile haut et font rêver ».

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