Rencontre avec Capitaine Tonz, pirate des temps modernes, alias le ''Chuchoteur de la Mer''

© Captaintonz

''Je n'ai pas de cache-oeil, de perroquet ou de jambe de bois, mais je peux vous assurer que je suis un pirate !''. Si la plupart des gens pensent que les pirates ont commencé avec l'île au trésor et se sont terminés avec Johnny Depp, le capitaine Tonz nous prouve qu'ils sont bel et bien toujours actifs aujourd'hui.

Anthony Cummins, alias Capitaine Tonz, a parcouru les océans du monde en exerçant le métier que l'on pourrait qualifier de ''pirate des temps modernes''. Désormais retraité de la Marine, il a vécu des aventures incroyables entre captures de bateaux, confrontations avec des autorités maritimes et rencontres avec des figures de pouvoir, accomplissant à peu près tout ce que l'on attendrait d'un pirate.

Pourtant, son parcours est bien loin des clichés traditionnels. À 13 ans, alors qu'il n'est encore qu'un jeune garçon sans repères, il choisit l'évasion, non pas par les chemins battus, mais en construisant son propre bateau en bois. Ce geste solitaire marque dès lors le début d'une aventure nautique hors du commun où la mer devient son seul refuge et son terrain d'expression.

De fugitif en quête de liberté à pirate respecté, il forge sa vie parmi les vagues et les tempêtes. Ses expériences à bord de bateaux aux destins multiples le propulsent dans un monde où l'audace et la maîtrise des éléments marins sont ses plus grands alliés. Derrière cette trajectoire de pirate, cet homme façonné par les épreuves, ce "Chuchoteur de la Mer", nous ouvre, dans ce premier volet de notre reportage, une fenêtre sur le monde des pirates d'aujourd'hui.

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À l'âge de 13 ans, vous avez construit un bateau en bois et vous êtes enfui. Qu'est-ce qui vous a poussé à partir ainsi et à vous tourner vers la mer à un si jeune âge ?

J'étais un enfant sans mère dans un foyer violent et je cherchais à m'échapper. Avec le recul, j'ai dû penser qu'un bateau représentait la liberté.

Pouvez-vous décrire l'expérience qui vous a fait passer du statut d'adolescent en fuite à celui de véritable pirate ?

À l'âge de 15 ans, je me suis engagé sur mon premier bateau, l'English Star de la Blue Star Line, pour un voyage autour du monde de Londres à la Nouvelle-Zélande. Je n'avais aucune connaissance des pirates ; j'étais simplement complètement attiré par la mer. Malheureusement, en Afrique du Sud, j'ai été arrêté en vertu des lois de l'apartheid simplement pour avoir parlé à des Noirs. Ce sont mes propres camarades d'équipage qui ont provoqué cet événement traumatisant. Déporté au Mozambique, j'ai fini par rejoindre le bateau mais au lieu de me témoigner de la compassion, le capitaine et l'équipage m'ont blâmé. J'ai perdu l'intégralité de mon salaire pour tout le voyage et ai dû travailler sans rémunération jusqu'à notre retour. De retour à Londres, j'ai été mis sur liste noire et il m'a été presque impossible de trouver du travail sur d'autres bateaux.

L'English Star de la Blue Star Line
L'English Star de la Blue Star Line

Lorsque vous avez rencontré un capitaine pirate à 17 ans, quelle était la nature exacte de l'opération qui vous a conduit à suivre ses traces ?

Par pure chance, j'ai trouvé un emploi sur un petit bateau suédois. Après un très mauvais départ, j'ai découvert que j'avais des capacités spéciales pour manœuvrer le bateau dans des conditions difficiles. Cela m'a valu d'être recherché et de recevoir une offre d'emploi avec un salaire plus élevé sur un autre bateau suédois, sans savoir au départ que son capitaine était un pirate. Ce capitaine était incroyablement peu conventionnel et avait des compétences et des attributs dans les techniques de navigation qui m'ont fait comprendre qu'il était un ''magicien de la marine'', alors je suis tombé amoureux de tout ce qu'il faisait et il m'a appris tout ce que j'avais besoin de savoir pour l'imiter. Pour la première fois de ma vie, j'ai été respecté pour mes capacités.

Vous avez capturé et volé des bateaux alors que vous étiez poursuivi par les autorités maritimes. Quelles étaient les motivations derrière ces actes ? Étaient-ce uniquement financiers ou y avait-il une raison plus profonde ?

Bonne question. Avec le recul, je pense que c'était à la fois financier et parce que l'échec, comme pour toute action pirate, serait inacceptable car une mission ratée signifierait qu'il n'y aurait plus de travail, sans compter une étrange certitude innée que je pouvais réussir à faire le travail. Je ne nierai pas la satisfaction et peut-être le regain d'ego qui m'ont donné la confiance nécessaire pour entreprendre d'autres tâches difficiles.

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Vous avez eu de nombreuses rencontres avec des hommes politiques et des personnalités de pouvoir. Comment avez-vous navigué dans ce monde où les intérêts personnels et les enjeux géopolitiques étaient si importants ?

Oui, parfois cet aspect était un peu difficile mais je pense que mon succès dans ces moments-là était dû à mon honnêteté et au fait que ces personnes puissantes savaient que j'étais un pirate et que j'avais donc souvent un avantage dans mes relations avec elles.

En Arabie Saoudite, le cheikh savait qui j'étais. Mais un exemple encore plus marquant serait aux Philippines où j'étais reconnu et accepté aussi bien par le président de la Chambre des représentants, plusieurs membres du Congrès et un général philippin trois étoiles que par les insurgés communistes qu'ils combattaient.

Jusqu'à cette époque, la seule ligne de contact entre ces groupes était par l'intermédiaire des prêtres catholiques. J'ai découvert qu'être un pirate me mettait dans la même position qu'un prêtre parce que j'étais considéré comme un pur neutre. Je me suis laissé utiliser afin de renforcer ma neutralité et ses avantages : par exemple, le général m'informait d'une attaque imminente contre les insurgés de la NPA sachant que je transmettrais cette information aux insurgés eux-mêmes, ce qui était l'intention du général pour ses propres raisons.

Ce même type de neutralité était évident dans tout mon travail en Asie du Sud-Est. Tous ceux que j'ai rencontrés savent que j'étais complètement neutre ce qui m'a permis de sympathiser avec les deux ou toutes les parties en même temps. Je pense aussi que plus on est ''audacieux'' avec les personnes importantes, plus les choses peuvent être faciles, y compris la compréhension et l'entente.

J'ai fini par être invité à séjourner dans la résidence privée du président, où tout le monde savait qui j'étais. C'est amusant de constater qu'aujourd'hui, seulement 3 % des gens ''normaux'' me considèrent comme un pirate. Vous avez raison, les enjeux sont élevés, mais c'est une histoire longue et complexe… à raconter une autre fois.

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Il semble que vous ayez vécu des situations extrêmes en mer. Quelles ont été les plus grandes difficultés auxquelles vous avez été confronté ?

Ce qui a poussé le capitaine d'un autre bateau à me demander mes services, c'est la rumeur qui circulait sur la Baltique selon laquelle j'étais un jeune garçon capable de faire des miracles à la barre. Cette réputation s'est propagée à cause d'une seule vague.

Nous naviguions de Klaipeda à Copenhague lorsque nous avons été frappés par une tempête de type ouragan. Pendant cette tempête, une anomalie s'est produite : une vague géante arrivait droit sur nous. Elle était si effrayante que le capitaine et l'équipage ont eu très peur. Dans les 40 secondes qui ont précédé son arrivée, j'ai eu l'impression que tout autour de moi se déroulait au ralenti. Le second et un grand marin suédois sont venus vers moi pour prendre la barre mais quelque chose en moi s'est réveillé. J'étais étrangement connecté à la vague, et plus elle se rapprochait, plus ce lien se renforçait. J'ai repoussé le second et l'équipier, leur disant que j'avais compris. Le capitaine m'a regardé, le visage pâle,car il savait que tout dépendait désormais de moi, un jeune de 17 ans. Je ne ressentais aucune pression, aucune peur. J'étais en parfaite harmonie avec la vague, sans vraiment savoir comment, mais sachant que nous étions un. J'avais réussi à faire passer le bateau à travers la vague. Le capitaine et le marin suédois m'ont entouré de câlins et de poignées de main, soulagés. Je n'ai aucune idée de comment cette connexion avec la mer s'est établie. Elle est simplement survenue, créée par la mer elle-même. J'ai juste accepté cette connexion.

Au fil des années, ce lien s'est développé jusqu'à ce que je devienne un ''Sea Whisperer'' (un "Chuchoteur de la Mer"). Donc la réponse à votre question est que, si vous avez la connexion, il n'y a aucune difficulté. Avec une connexion, la mer vous indiquera le chemin à suivre, ce qu'il faut faire et à quelle vitesse. Pour les non-initiés, certains événements peuvent paraître extrêmes, voire impossibles, mais c'est juste la mer et moi qui travaillons ensemble. Pour nous, c'est juste un travail.

Vous avez également été arrêté à plusieurs reprises. Comment gérez-vous ces moments de tension ? Avez-vous une méthode pour rester calme et éviter que la situation ne dégénère ?

Oui. Mis à part ma première arrestation à Durban où j'ai passé la plupart de mon temps à m'apitoyer sur mon sort et à pleurer, la deuxième arrestation a été une période d'apprentissage. C'était à Stralsund, en Allemagne de l'Est. J'ai été mis à nu dans une cellule minuscule avec un garde armé. J'ai commencé à crier, j'ai exigé de voir l'ambassade britannique et toutes ces bêtises habituelles jusqu'à ce que le garde en ait assez et enlève le cran de sécurité de son pistolet automatique et le pointe sur moi. C'est ainsi que j'ai appris que protester n'était pas une bonne option et que le silence était plus efficace.

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Derrière la figure du Capitaine Tonz, pirate rebelle, se cache un homme complexe dont le parcours, forgé par une quête de justice, en fait une personnalité forte. Dans ce second volet, nous plongerons plus profondément dans la réalité de cet homme, loin des clichés de la piraterie, pour découvrir ce qui véritablement guide sa moralité.

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Sur les photos publiées dans cet article, le capitaine Tonz a choisi de dissimuler ses yeux avec une bande noire afin de préserver son anonymat.

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