Convoyage maritime et fluvial d'une vedette, une aventure ponctuée d'embuches

Agriculteur, Stéphane se lance dans l'aventure nautique en achetant un Fjord de 1968. Pour ses premières navigations initiatiques, il va convoyer le bateau de Cannes jusque chez lui, dans le Lot-et-Garonne. Un convoyage maritime et fluvial ponctué de bon nombre d'anecdotes qui auront l'avantage de former ce futur navigateur. Récit.

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Stéphane est un vrai novice. Mais fort d'une foi inébranlable, il se lance dans l'aventure nautique. Lui qui n'a commandé que sa petite barque et son 6 ch sur les canaux, le voici achetant une vedette de 9,15 m : un Fjord 30 Diplomat de 1968. Cet agriculteur, terrien dans l'âme, rêve de voyage et de navigation. Il franchit le pas en achetant Farniente.

La photo du Fjord sur la petite annonce
La photo du Fjord sur la petite annonce

Cette belle occasion lui a fait de l'œil dans le port de Cannes. Pas cher ! Il enlève l'affaire pour 3 000 € et négocie même de laisser le bateau à sa place pendant 3 mois au port, le temps de venir le chercher. Car le projet de Stéphane est de convoyer son bateau proche de chez lui, dans les terres, à Buzet-sur-Baïse, en vue de le rénover.

Première navigation au large
Première navigation au large

La faiblesse de ce bateau - d'où son prix - se trouve dans les moteurs. Il s'agit de 2 x 150 ch Volvo TAMD 31P en Z-drive. Pour commencer, les vérins d'embase ne répondent plus et les embases ne peuvent plus se relever. Mais aussi, quelques signes de faiblesses apparaissent à l'usage. Pour autant, les deux moteurs tournent, ce qui laisse entrevoir la possibilité d'un convoyage.

De découvertes en découvertes

Les deux week-ends qui précèdent le départ du convoyage ont permis de voir de nombreuses faiblesses sur le bateau. La plus importante, une marche arrière inexistante ou rarement existante sur un moteur, ce qui est très gênant pour accoster ou simplement pour manœuvrer. De plus, le moteur tribord recrache un peu d'huile lors des manœuvres brutales, et fume noir lors des fortes accélérations. Point important, c'est sur celui-là qu'est branchée la direction hydraulique assistée. Il ne faut pas qu'il s'arrête, sinon c'est la fin du voyage. Sans parler de la pompe de cale automatique qui ne marche qu'en manuel…

Au mouillage à Port Cros
Au mouillage à Port Cros

Ce convoyage s'annonce donc merveilleux, mais pourrait aussi s'arrêter très vite sans même arriver à Marseille.

Premier jour de convoyage, premiers problèmes

Le 16 juillet 2023, Stéphane prend la mer. Avant cela, il vidange le moteur tribord qui lui semble à problème, histoire de se rassurer. De Cannes, il vise Porquerolles, soit environ 70 milles nautiques pour atteindre son premier mouillage.

Après 50 milles, le turbo du moteur bâbord semble avoir rendu l'âme. Le moteur plafonne à 2400 t/mn. De 8 nœuds avec les 2 moteurs, voilà le Farniente qui navigue à 7 avec un moteur à 2700 tours et l'autre baissé à 1800 tr/mn. L'aventure commence !

Au final, le premier mouillage à Port Man sur l'île de Port-Cros est atteint. En cette saison Stéphane n'est pas seul. Et découvre les joies du mouillage. Il raconte : "Il y a foule, mais je fais confiance à mon application gratuite Orca et laisse tomber mon ancre devant un voilier par théoriquement 5 m de fond. En laissant filer la chaîne, je me brûle les mains. Pas le temps de se reposer. Le vent est changeant, et me voilà le cul contre un cata. Je bondis pour limiter les chocs, mais heureusement le vent replace mon bateau. Un plaisancier mouillé un peu plus loin, vient me voir. Il me conseille de donner un peu plus de chaîne par sécurité. Merci à lui. Je suis un peu perdu : les mains râpées et la tête HS par la tonne d'évènements et de situations auxquelles j'ai dû faire face aujourd'hui. Tellement éloigné de mon quotidien de terrien !"

Les joies de la croisière

Un circuit électrique à revoir
Un circuit électrique à revoir

Le lendemain matin, Stéphane découvre que le frigo et le feu de mât ont eu raison de la batterie de servitude. Mais surprise, bien que les deux batteries moteur soient à plus de 13 volts, les moteurs refusent de se mettre en marche. Les démarreurs ne se lancent pas. Incompréhensible ! Visiblement, le circuit électrique doit aussi être révisé. Dans le doute, il branche un petit panneau solaire portable pour tenter de recharger, et prend son mal en patience dans ce beau mouillage en cette journée sans vent.

Face à une météo capricieuse

Navigation en mer
Navigation en mer

Mais la nuit ne sera pas tranquille. Stéphane est réveillé par un vent qui forcit à plus de 20 nœuds. Le bateau roule beaucoup, mais l'ancre tient. Ce ne sera pas le cas pour tout le monde, et certains voiliers sont obligés de remouiller dans la nuit. Vers 5 h, le vent se calme et après 1 h de sommeil, Stéphane comprend et répare son problème électrique : "Le câblage est mal conçu. Les démarreurs sont branchés sur toutes les batteries." Au petit matin, il reprend la mer, profitant du passage entre les îles du Soleil : "des îles magnifiques, des côtes rocheuses agressives, mais si jolies."

Une nuit en squater devant l'écluse
Une nuit en squater devant l'écluse

Mais la météo change. Dans l'après-midi, le vent se lève à l'approche de Marseille, la mer devient désordonnée. Des moutons et une houle de 1,50 m obligent le barreur à des écarts de cap de 20 degrés à chaque bord. En plus, les prévisions du lendemain ne sont pas réconfortantes. Le vent et la mer devraient être pires. Pas vraiment rassurant pour ce novice en navigation. Il décide donc de remonter le Rhône, en entrant à côté de Fos-sur-Mer. Il finira la navigation de nuit, avec un amarrage pas vraiment adapté au pied d'une écluse. Il découvrira le lendemain que cette voie de navigation est interdite à la plaisance, réservée aux professionnels !

Le plaisir de la navigation sur les fleuves

Sur le Rhône
Sur le Rhône

Au matin, les éclusiers sympas le laissent passer sa première écluse. La remontée du Rhône se poursuit jusqu'à Arles, où il peut faire un plein de gasoil. Visiblement, ses cartes de navigation fluviale pourtant neuves ne sont pas à jour. Il rate l'entrée du Petit Rhône et navigue 40 km en plus vers le Nord. Une fois la bifurcation retrouvée après avoir fait demi-tour, Stéphane profite : "La navigation sur le Petit Rhône est magnifique. Un petit cours d'eau sauvage, mais extrêmement bien balisée pour que les bateaux de 2,50 m de tirant d'eau puissent naviguer sereinement." Le voici maintenant sur le canal du Rhône à Sète, où il improvise un mouillage forain pour la nuit : en pleine Camargue, avec des chevaux sur les berges.

Convoyage en Camargue

Halte en Camargue
Halte en Camargue

Le canal du Rhône à Sète traverse bon nombre d'étangs. Son entretien est minime, avec souvent ses berges qui disparaissent. Petite pause à Frontignan en attendant que le pont se lève, puis traversée de l'étang de Thau avec le vent, les vagues comme le prévoyait la météo. Le pont est régulièrement couvert d'embruns qui collent du sel sur tout le bateau.

Le canal du Rhône à Sete
Le canal du Rhône à Sete

Au fond de l'étang de Thau s'ouvre le Canal du Midi. Il semble minuscule après la mer et le Rhône. Le passage de la première écluse est une manœuvre un peu folklorique avec le Farniente peu manœuvrant, sans marche arrière, et seul à bord !

Du sel sur toutes les vitres
Du sel sur toutes les vitres

Navigation sur le Canal du Midi

Devant le pont de Frontignan
Devant le pont de Frontignan

Le Canal du Midi jusqu'à Béziers est à la fois à l'abandon et noir de monde sur les berges, et de bateaux de location sur l'eau. Le passage de Fonséranes, avec son échelle de 7 écluses, permet rapidement de prendre de la hauteur. C'est impressionnant, mais nullement conçu pour accueillir 3 bateaux de 10m en même temps. Les bollards sont insuffisants et surtout mal positionnés. Stéphane est obligé de mettre son Farniente en travers, vitesse enclenchée, pour que les portes des écluses se ferment derrière lui.

Premières écluses sur le Canal du Midi
Au croisement avec la Robine sur le Canal du Midi

La récompense vient après Béziers, où le canal est magnifique et entretenu. Bien entendu, la vitesse est limitée à 8 km/h pour limiter l'érosion des berges. Et 8 km/h, ce n'est pas beaucoup, surtout quand le vent souffle fort et emmène avec lui le bateau. Après Béziers, l'inverseur tribord - celui sans marche arrière - a été capricieux pour passer en marche avant. Bilan, une rayure sur la coque en sortant d'une écluse !

Les plaisirs de la navigation fluviale

Stéphane enchaine les écluses avec leurs découvertes. Pour lui qui navigue en solo : "certains saisonniers VNF en font le minimum, c'est à dire juste appuyer sur la télécommande. D'autres au contraire sont là pour t'aider, et assurer la sécurité. Ils ont d'ailleurs un ascendant sur chaque capitaine qui transite dans l'écluse. Heureusement, beaucoup ont été super !"

Sur le Canal du Midi
Sur le Canal du Midi

Côté mécanique, Stéphane n'est pas tranquille. Il y a toujours un moteur qui consomme plus que l'autre. Or toutes les stations de carburant indiquées dans l'officiel du Canal du Midi ne font que le plein... d'eau ! Les capitaineries ne savent même pas où un bateau peut acheter du carburant.

À Homps par exemple, le troisième port pour tenter le plein de carburant, Stéphane ne trouve qu'une station essence pour les voitures, à 500 m du canal. Or, il lui faudrait 300 litres. Impossible avec des jerricans ! Heureusement, en face de l'amarrage du Farniente, il y a une base de location Le Boat. Le gérant, un Belge d'origine, très sympathique, accepte de le dépanner de 100 litres. En plus, après avoir discuté de son bateau personnel, il lui offre une cannette de coca glacée et un guide VNF du Canal du Midi, utilisé et gribouillé par endroit, mais 10 fois plus précis que celui qui est à bord. "Il reste encore des passionnés dans la location fluviale. Ça fait plaisir !"

Sur le plan de la navigation, Stéphane a quelques frayeurs : "Un papi avec un bateau de 4 m de large qui n'a pas voulu quitter le centre du canal et m'a traité de fou. Ou une entrée de pont suivie d'un virage où un bateau de location arrivait sans avoir ralenti." Il découvre que cette navigation en eaux intérieures peut être plus exigeante et stressante que celle en mer.

À deux c'est mieux !

Un équipier qui vient aider
Un équipier qui vient aider

À Carcassonne, Stéphane embarque un ami qui va l'accompagner jusqu'à la sortie de Toulouse. À deux, le passage des écluses est plus simple. Surtout avec un bateau qui ne fonctionne plus que sur un moteur. L'inverseur tribord a visiblement rendu l'âme dans un gros crac. Mais Stéphane est obligé de toujours démarrer ce moteur, vu que c'est celui qui alimente la direction hydraulique.

La navigation se prolonge avec des surprises, comme au passage à Toulouse où la profondeur du canal est de moins de 1,20 m, avec les embases qui frottent souvent. Et toujours l'angoisse de voir l'hélice du seul et unique moteur s'endommager.

Galère et bricole

Des réservoirs qui ne communiquent pas
Des réservoirs qui ne communiquent pas

Réveil à 4h00, le matin du 14e jour. Stéphane a oublié d'éteindre le frigo la veille au soir, si bien que la batterie de servitude affiche 11,5 V. Les démarreurs refusent à nouveau de fonctionner. Le marin est obligé de modifier le câblage et d'essayer de l'améliorer pour résoudre ce problème récurrent. Hélas, c'est le même câble qui sert à alimenter les démarreurs et recharger la batterie. Il faut donc bidouiller temporairement.

De plus, depuis la veille, suite au plein de gasoil au Port Saint-Sauveur à Toulouse, le Farniente déverse du gasoil dans le canal, mais apparemment également dans la cale. Je vous laisse imaginer l'odeur à bord… Après inspection, il s'avère que du gasoil coule du trop plein du réservoir bâbord lorsque celui-ci et au ralenti. En ouvrant la trappe des réservoirs, le bâbord déborde alors que l'autre a sensiblement baissé. Voilà donc l'équipage en train transvaser le carburant d'un réservoir à l'autre. Une matinée de perdue sur le planning pour résoudre les problèmes et pouvoir continuer.

Petite anecdote : "Nous avons oublié la gaffe à Toulouse. Marc est allé couper un bambou pour que je ne me retrouve pas sans rien dès le lendemain. Comme il rentre chez lui, je dois continuer mon chemin seul."

Un homme à la mer !

A Castelnaudary
A Castelnaudary

Après avoir traversé Agen et son magnifique pont-canal, la voie d'eau revêt une tout autre parure. La nature reprend ses droits durant quelques kilomètres. Arbres et plantes envahissent le canal, le passage devient étroit, rendant impossible l'évitement des plantes aquatique. Forcément, quelque chose s'enroule autour de l'hélice, la transmission se met à vibrer et la direction devient plus dure. Stéphane doit intervenir. Il accoste donc dès que la végétation l'y autorise. Il raconte la suite : "Je me couche sur la plate-forme de bain et essaie d'atteindre les hélices, je les touche, mais il me manque 20 cm. Je me penche bien plus pour y arriver et forcément bascule dans le canal ! Heureusement, l'eau est chaude. J'ai maintenant la position idéale pour inspecter ces hélices. Fils métalliques et plastiques agrémentés de plantes aquatiques sont retirés. Ne reste plus qu'à me sécher !"

Quelques heures plus tard, il arrive à destination à Buzet sur Baïse, où le Farniente pourra être sorti de l'eau pour des réparations et une restauration durant les mois d'hiver. Ce convoyage aura permis à Stéphane de s'aguerrir en prenant en main ce bateau, et de déceler nombre de problèmes. Mais malgré les embuches, en aucun cas, ces 16 jours de navigation ne l'auront dégouté, et notre marin en herbe a hâte de remettre son Farniente au meilleur de sa forme pour repartir à l'aventure.

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François Peluchon
François Peluchon
Magnifique récit, et vive la mer et la marine,… et même l'eau douce (à ne pas boire quand même )
Bernard Cazin
Bernard Cazin
Super, je viens de vivre les mêmes aventures entre Dijon et Arras, des galères à n'en plus finir... Mais après 3 semaines de convoyage, je commence à maitriser la bête, un Aquanaut UNICO. QUE DE SOUVENIRS... - Bernard -
Jean-claude Audouin
Jean-claude Audouin
Pour moi , novice des eaux intérieures , je croyais qu'il était interdit de passer les écluses en étant seul à bord. sur le canal du midi et le latéral à la Garonne.
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