Dominique continue son récit sur sa croisière en Antarctique. Mais l'aventure change après que le bateau ait violemment heurté un rocher (lire l'épisode 7). Une voie d'eau envahit le réservoir de gasoil polluant le carburant. Que faire ? Dominique nous raconte la difficile prise de décision sur la suite de l'expédition, après avoir gagné un mouillage coincé entre la terre et un iceberg.
Un bilan technique peu glorieux
À bord l'ambiance est très tendue et morose. Il nous reste 140 litres de gasoil non contaminés dans des bidons, soit 24h de moteur ou 150 milles au mieux. C'est insuffisant pour rallier la base argentine de Déception qui reste ouverte toute l'année. Nous sommes le 22 février 2019 et c'est la fin de la saison. Les bases estivales comme Videla ou Lockroy sont fermées ou en passe de fermer. La plupart des navires sur zone vont retraverser le Drake dans les jours qui viennent. Nous avons un trou important dans la quille, comme en atteste le flux d'eau de mer par l'évent du réservoir et le circuit de retour du moteur. Pour l'instant ces deux entrées d'eau sont endiguées par une pinoche et une pomme de terre. Le choc a été très violent et nous n'avons aucune idée des dommages structurels occasionnés. Le Drake, connu pour ses coups de vent et sa mer démontée, est certainement le dernier endroit au monde où il faudrait avoir à s'inquiéter de ce genre de choses !

Un tour de table de l'équipage
Une fois les manœuvres d'amarrage terminées, le capitaine convoque l'équipage. Chacun doit donner son sentiment sur la situation et préciser les décisions qui lui semblent opportunes. Privilège du capitaine, c'est à lui de s'exprimer en premier : "Je vous demande de ne rien dire sur ce qui vient de survenir, car je ne suis pas assuré dans cette partie du monde"… "Quel que soit l'état du bateau, je retraverse le Drake avec la première fenêtre météo qui se présente." Au moins, c'est très clair. Se succèdent dans l'ordre : Sara, Carole, notre équipier, moi-même et la femme du capitaine. Sara, Carole et l'équipier sont unanimes, sans aucune concertation préalable. Ils tiennent tout d'abord à ce que l'on avertisse immédiatement de notre situation la flotte sur zone : d'une part pour signaler notre situation précaire, et d'autre part pour tenter d'obtenir du carburant supplémentaire nous permettant de rallier une des bases des alentours encore ouvertes. Ils précisent tous, à tour de rôle, qu'ils ne retraverseront pas le Drake avec le bateau à moins qu'un diagnostic précis des dégâts occasionnés soit établi. À l'opposé, la femme du capitaine, la dernière à s'exprimer, se range derrière son mari.
Pas d'accord pour poursuivre dans ces conditions
Pour ma part, ce dernier accident a raison de ma patience : je n'ai plus aucune confiance ni dans le bateau ni dans le capitaine. Sur le plan technique, je ne peux cesser de penser que pour un problème identifié à bord, il y en a au moins dix ("la loi des icebergs") que je n'ai pas repérés. Quelle autre partie critique ou équipement va nous lâcher, par faute d'entretien ou simple négligence ? Je ne me vois pas affronter un gros coup de chien dans le Drake à bord de ce bateau dans cet état. À mon tour, je résume ma pensée en quelques mots : "Ce bateau ne devrait pas être dans cette partie du monde. Si j'avais connu son état avant de partir, nous n'aurions jamais embarqué Carole et moi". ...

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