Embarquée sur une goélette de 50 pieds en acier pour 60 jours en Antarctique, Sara a vécu une expérience forte. Elle apporte ici un complément au récit de Dominique. Une vision moins nautique, mais étayée par un journal de bord très précis, alimenté heure par heure.
On ne repousse pas ses limites, on les découvre...
Jean-Louis Etienne, (Persévérer)
Ce 23 février 2019 après une nuit plutôt blanche, je savais ce que je voulais et ce que je pouvais faire
La veille, en plein cœur de l'antarctique, on a talonné fortement créant un voie d'eau à bord. J'ai découvert ce matin-là que je n'étais pas prête à revivre ce que j'avais vécu la veille. J'étais sur le pont d'un bateau qui n'avance plus, entrainé par le courant vers des rochers et des reliefs, clairement visibles à bâbord.
La novice que je suis, à ce moment précis, a listé le contenu de mon sac si le bateau venait à s'échouer sur les rochers proches, si la tentative de dernière chance de redémarrage du moteur "salé" par Dominique échouait (dans le choc, le gasoil a été contaminé par de l'eau de mer). Je m'interroge sur la survie et comment on allait l'investir à 6. J'imagine comment passer la nuit dehors quand la température descend, et de regarder un bateau échoué…

Je savais ce matin-là où était ma limite : celle de la confiance que j'avais donnée, tout à fait aveuglément il est vrai, à un skipper et à des marins inconnus. J'avais donné ma confiance, pleine et entière, à de belles paroles, à un ancien, à un ancien bon marin, à un ancien vendeur aussi, à un homme qui a su me vendre mon rêve et en tirer profit. Cela aurait pu ne pas prêter à conséquence.
Chacun y avait un intérêt, si tout s'était bien passé, sur un bateau suffisamment préparé, l'échange aurait été gagnant-gagnant. Mais la grandeur d'un homme ne se mesure pas à son passé, elle s'éprouve au présent. Et je ne suis pas venue ici, en péninsule antarctique pour y rester.
Depuis 3 ans, mon travail d'artiste se fait en dialogue avec des guides polaires et des photographes. Au-delà de mon métier de joaillier et de designer, je crée des tableaux de métal librement inspirés de photographies, notamment polaires.

Un récit complet et détaillé
En 2018, lorsque le capitaine me propose de participer à une expédition qui "parait" sérieuse et préparée, cela parait trop beau pour être vrai. J'accepte et organise alors ma vie familiale et professionnelle pour être absente deux mois.
Au final le voyage sera riche et mouvementé, le temps passé en péninsule sur le voilier bien plus court que prévu (et habilement vendu). Les rencontres et les accidents de parcours m'auront bien plus appris que toute autre expédition, mais j'ai aussi failli ne pas en revenir…
J'ai commencé à écrire le récit de ce voyage le 2 janvier 2019 à l'aéroport de Marignane. J'ai continué au fil des rencontres extraordinaires, de Buenos Aires à Ushuaia, du ponton du Nautico à celui de l'Afasyn, du Micalvi et des hauteurs de Puerto Williams à Déception, de Portal Point à Enterprise. Chaque jour, j'ai écouté, j'ai observé, j'ai noté : Ce que j'entendais, ce que je voyais, ce que disaient ces hommes et ces femmes sur le bateau, et d'autres, croisés sur un ponton ou un pont d'un autre bateau. Chaque soir dans le carré devant leurs verres, ou sur le pont entre deux manœuvres, et pour moi entre deux photos et durant chaque quart de mouillage. J'ai écrit.
Mon métier est un métier d'observation et de détail. J'ai écouté et j'ai noté encore. Après deux tentatives et finalement la traversée du Drake, je garderai toujours la mémoire de cette aube qui s'est levée, sur nos premiers icebergs.

Je suis partie sans savoir, les yeux fermés, pour vivre mon rêve. Je tiens à revenir.
Et oui, en toute conscience et après avoir murement réfléchi, j'ai quitté le bord d'un navire qui avait un dégât structurel avéré, dont il était impossible de mesurer l'étendue exacte. Il risquait de couler, surtout si la météo n'avait pas été aussi bienveillante comme elle a choisi de l'être finalement.
Cela sur un bateau négligé, fatigué, mal préparé, et néanmoins solide. Un bâtiment solide et fissuré reste un bâtiment solide. Tant qu'on ne le secoue pas trop fort…
Un skipper qui défaille
J'ai quitté un bateau sur lequel le skipper disait : "Je vais plonger voir… Voir la taille du trou dans la quille." Ce trou qui a occasionné l'arrivée de 20 litres à la minute dans le bateau : "Je vais descendre voir".
Dans une eau à zéro degré, sans combinaison et sans visibilité, à 72 ans et sans la condition physique d'un plongeur, en fait, sans être plongeur. Et lorsque nous avons "osé" évoquer l'hypothermie (équipé avec une combinaison étanche, on ne tient que 20 minutes), il nous a dit que son épouse le réchaufferait ! Ma confiance déjà très entamée s'est dissoute un peu plus dans cette plongée imaginaire et impossible. Je suis plongeur, mais je ne serai pas descendue sans ...

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