Unu Mondo Expédition, un voilier à l'assaut du réchauffement climatique au Pôle Nord

Northabout au Groenland © Unu Mondo Expédition

Ils sont jeunes et enthousiastes. L'association Unu Mondo mène des expéditions scientifiques et pédagogiques à la voile en Arctique, pour recueillir images et témoignages des populations, et promouvoir des actions concrètes contre le changement climatique.

Selon un rapport du Programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique publié jeudi 20 mai 2021, le Pôle Nord a connu une hausse moyenne des températures de 3°C en 50 ans versus +1°C dans le reste du monde.

Rappelons que l'Arctique est une mer, l'Océan Glacial Arctique. Le Pôle Nord se trouve sur la mer couverte par un manteau mouvant de 1 à 4 mètres de banquise avec des profondeurs marines de 3100 à 5000 mètres.

L'association « Unu Mondo Expédition » veut contribuer à la recherche en Arctique et prouver au plus grand nombre que la fonte des glaces est une réalité. Tobias explique : "Le plus intéressant pour nous, c'est les 4 millions de personnes qui habitent au-dessus du cercle polaire et qui vont vous raconter les changements qu'ils vivent au quotidien."

Partons à la rencontre de cette jeune équipe enthousiaste qui se donne les missions ambitieuses de :

  • rencontrer les habitants de ces régions touchées par le changement climatique,
  • comprendre et participer grâce à des projets scientifiques,
  • documenter par des films et des projets photographiques,
  • transmettre en sensibilisant et en éduquant les jeunes générations.

Le voilier Northabout avant le départ pour le Groenland en juin 2020
Le voilier Northabout avant le départ pour le Groenland en juin 2020

Le projet de deux passionnés

C'est leur rencontre et un amour partagé de la voile et de la sauvegarde de l'environnement qui relient Sophie Simonin et Tobias Carter. Nos deux trentenaires créent l'association « Unu Mondo Expédition » en juin 2019, alors qu'ils sont aux Caraïbes en train de rentrer en Europe avec le Swanson 36 de Tobias, acheté à Phuket et baptisé Unu Mondo. C'est une philosophie, comme le raconte Tobias, aventurier qui a sillonné la planète, et qui aime se définir autrement que par sa nationalité. "Unu mondo, c'est de l'espéranto, une langue universelle qui relie les hommes du monde. Car par rapport à ce problème de réchauffement climatique, de pollution, aujourd'hui on s'aperçoit que tout est lié."

Pourquoi partir dans ce pays si froid ? C'est un pays froid, mais qui se réchauffe, et beaucoup plus vite qu'ailleurs. Des prises de contact avec des laboratoires et des instituts de recherche, une présence au salon du Grand Pavois avec un petit stand, et l'aventure est lancée auprès du public. Le projet d'expédition peut se déployer : être utile aux chercheurs, aller là-haut avec une équipe média et témoigner de ce qui s'y passe.

Northabout en cours de préparation avant la première expédition
Northabout en cours de préparation avant la première expédition

Un voilier mythique

"On a trouvé et racheté le bateau en janvier 2020. Northabout n'a pas été rebaptisé, car il a une vraie histoire au cœur de l'Arctique.Ce voilier unique de 47 pieds et de 20 tonnes est dessiné par Gilbert Caroff et inspiré des plans d'un Nadja 15. Sa construction amateur en 2000 par des Irlandais avec une coque aluminium renforcée et une étrave faite pour briser la glace lui permet d'écrire une nouvelle page de la navigation dans les régions polaires.

Il est le seul navire au monde à avoir effectué 2 circumnavigations de l'Arctique, avec ces fameux passages maritimes : le passage du Nord Ouest (assez connu) et le passage du Nord Est très peu emprunté (au-dessus de la Russie).

Il est racheté en 2015 par un aventurier britannique plutôt alpiniste et grimpeur au pôle nord et au pôle sud, Sir David Hempleman-Adams. Celui-ci a constaté les changements climatiques affectant les régions polaires et les régions de haute montagne. Il réalise le tour de l'Arctique en 4 mois et 1 jour sur Northabout. La période de confinement de mars à juin 2020 au port commercial de Bristol (UK) permet de réaliser des travaux de remise en état (fissure dans le puits de dérive), d'isolation et d'équipement en panneaux solaires.

Tobias explique que "le voilier est utilisé ici comme plate-forme logistique pour faire de la science parce qu'il y de la place à bord (jusqu'à 10 personnes), parce que le bilan carbone est faible, et parce qu'on a besoin de la science pour communiquer sur les conséquences des changements climatiques."

Première expédition au Groenland en 2020

Les journées passent à 100 à l'heure, entre préparation du voilier, recherche de partenaires et d'équipage, communications avec les médias et les nombreuses démarches à accomplir avant le départ.

Celui-ci, annoncé le 30 mai 2020, a finalement lieu le 6 juillet au départ de Roscoff, pour une navigation de 2 semaines sans escale vers le Groenland.

L'équipage Unu Mondo au complet
L'équipage Unu Mondo au complet

Les conditions sont musclées et l'équipage, constitué de Sophie et Tobias (skippers), Thomas BOUR, Lucas BOITIER, Julien FUMARD (les 3 mediamen) et Michaël FONDER (scientifique de l'Université de Liège) s'amarinent vite.

Qaqortoq est la première escale de l'expédition. Surnommée la ville blanche, elle est la plus grosse ville au sud du Groenland. Le pays compte 56 000 habitants sur un territoire qui représente presque 4 fois la France en superficie, et est principalement constitué de petits villages et de hameaux. Aucune infrastructure routière n'existe ici, les déplacements se font en hélicoptère ou en bateau. La population est majoritairement inuit et garde une certaine autonomie et indépendance malgré son appartenance au royaume du Danemark. Tous les produits de consommation sont importés par voie maritime ou aérienne depuis le Danemark.

Qaqortoq au Groenland
Qaqortoq au Groenland

La chasse et la pêche sont le quotidien des locaux. Une activité se développe qui n'existait pas il y a 20 ou 30 ans : l'agriculture.

La visite d'Upernaviarssuk (petit village avec une ferme) en est la preuve : ils y plantent quelques légumes, dont des patates et des navets. Grace aux étés plus chauds, ils ont de plus en plus de facilité à tester et à faire pousser en serre des concombres, tomates, carottes, et fraises.

Les fraises poussent au Groenland
Les fraises poussent au Groenland

... et les premiers constats glaçants

C'est sur l'inlandsis (glacier de très grande étendue) du Groenland que les conséquences du réchauffement climatique sont les plus visibles. En effet, tous les équipements GPS de Northabout signalent la terre ferme alors que le voilier flotte et avance... le glacier est à plusieurs kilomètres devant l'étrave.

Constat sans rappel des conséquences du réchauffement climatique
Constat sans rappel des conséquences du réchauffement climatique

A Igaliku, Christian est archéologue, et il confirme une accélération notable des phénomènes comme la fonte du permafrost et l'augmentation des précipitations. La glace fond à raison de 10 000 m3 chaque jour et représente en moyenne 40 à 50 % de la montée globale des eaux au niveau mondial. A la base, le glacier doit être en équilibre : il doit neiger autant en altitude qu'il fond sur les bords. Le Groenland n'est plus en équilibre depuis les années 1990. Il n'y a pas de scénario crédible où le climat se stabiliserait sur les 100 prochaines années.

Et la population locale n'est pas dupe. Comme le dit Aayu dans le reportage : "Personne ici ne demande si le climat change : tout le monde le sait depuis au moins 10 ans."

Quatre mois sur le terrain

Le trajet vers le Groenland a permis de larguer au milieu de l'Atlantique 3 bouées Météo France, qui serviront à fournir des données météo et à étudier les courants marins.

De nombreux prélèvements sont réalisés pour l'institut Locean, à fin d'analyse des isotopes et salinité de l'eau de mer.

4000 peupliers et épicéas sont plantés en moins de 2 semaines aux alentours de Narsaq en partenariat avec Greenland Trees Association, afin de créer un écosystème comme un héritage.

Le projet KATABATA, porté par l'Université de Liège, partenaire de Unu Mondo, peut se déployer sur le terrain. Il s'agit pour Michaël de réceptionner les quelque 400 kg de colis, de les charger tant bien que mal sur Northabout, où tous les espaces sont utilisés. Il est enfin temps de réaliser à la main les montages et installations de 3 stations météorologiques sur une petite île au large de Nanortalik, sur une petite colline au bord d'un fjord, et dans une vallée glacière. Mesurer le potentiel des vents catabatiques et synoptiques du sud du Groenland permettra d'envisager le remplacement des centrales à énergie fossile par d'autres sources comme l'éolien, et de décarboner le secteur de l'énergie.

En Kayak le long des icebergs
En Kayak le long des icebergs

La transmission

De retour en France le 1er octobre, Tobias et Sophie déploient le troisième volet de leurs actions concrètes : la pédagogie en intervenant dans des classes et en organisant des conférences partout en France.

Une tournée entre janvier et mars 2021 a permis de voir 7 000 élèves sur tout le territoire français. L'éducation au monde polaire - Qu'est ce qu'un iceberg ? Qu'est ce qu'un glacier ? Qu'est ce que la calotte polaire ? - permet de faire le lien avec les changements climatiques et les actions possibles.

Tobias est enthousiaste : "Ça marche bien d'aller dans les écoles, et de leur montrer qu'il y a des jeunes qui s'engagent. Nous devons nous mobiliser et agir, montrer ce qui se passe sans s'avouer vaincu."

Afin de favoriser une Éducation au Développement Durable, Sophie a créé et met à disposition des supports pédagogiques intéressants sous forme de fiches en fonction des cycles (primaire, collège, lycée) avec de nombreux thèmes autour de la vie à bord, la géographie du pôle nord, les changements climatiques et leurs conséquences.

Vue des fjords
Vue des fjords

Les partenaires

Unu Mondo bénéficie du soutien de Jean-Louis Étienne, célèbre médecin explorateur, qui rappelle que "l'Arctique change de couleur". Les coups de pouce de la Fondation Explore et de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et pour l'Homme en 2020, ainsi que de nombreux dons et participations financières des partenaires scientifiques permettent de faire un bilan satisfaisant de la première saison. La couverture médiatique est relayée par France Bleue La Rochelle et par Sky News (média anglo-saxon) qui diffusera cet été quelques reportages sur l'association.

Les sympathisants sont les bienvenus et peuvent s'inscrire sur le site internet et faire des dons privés, à partir de 2 euros, une marque symbolique pour adhérer au projet Unu Mondo, et les soutenir.

Les projets à venir

L'association s'est structurée avec une trentaine de membres actifs, et un bureau. Un nouveau projet sur 5 ans est d'ores et déjà relancé, afin de mettre en place des missions scientifiques avec des partenaires identifiés.

Les rencontres en mai en remontant les côtes françaises (Ifremer, IPEV) puis en Angleterre avec l'université de Southampton et le British Antarctique Survey doivent permettre de développer les liens avec les instituts de recherche et les écoles cette année, car la transmission est essentielle.

Tobias souhaite "continuer en Arctique, c'est vraiment ce qui nous anime. Il reste beaucoup de choses à aller voir. L'année dernière on a vu juste une petite partie : on n'est pas monté jusqu'en haut.">Cet été, la première étape est l'Expédition 66°N en direction de l'Islande, sur des projets de recherche avec l'Université d'Islande et avec le laboratoire LOCEAN situé à Paris.

La volonté assumée pour les années suivantes est de poursuivre les missions, au Svalbard, puis sur la côte Est du Groenland, avant d'envisager la troisième circumnavigation de Northabout avec le passage Est, Nord Est et Nord Ouest en deux ans. Rencontrer les populations, car il y a différentes problématiques selon les régions, permettra de proposer une compréhension globale de l'Arctique.

Les changements climatiques sont bien réels.

Unu Mondo a cette volonté d'éveiller les consciences sans faire peur, en vulgarisant les études scientifiques, en s'appuyant sur des témoignages d'hommes et de femmes qui vivent ces bouleversements dans leur quotidien, en montrant ces images et leurs visages. Notre monde est unique et est en train de changer. C'est indéniable et il faut l'anticiper. Nous devons apprendre et agir afin de le préserver.

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