Interview / Yvan Bourgnon : "Si j'avais su ce que j'avais à affronter, je pense que je n'y serais pas allé"

Yvan Bourgnon

Yvan Bourgnon est actuellement au mouillage à Hatt Bay pour se protéger des violentes tempêtes (100 km/de vent) qui traversent sa route. Alors qu'il vient de vivre des jours difficiles, il retrouve néanmoins espoir de pouvoir repartir lundi 11 septembre 2017 dans de bonnes conditions pour traverser la mer de Baffin. Il espère pouvoir rejoindre Nuuk et terminer son défi aux environs du 18/19 septembre. Il nous explique comment il a vécu ces derniers jours et comment il tient le coup sur ce défi particulièrement difficile.

Liaison téléphonique satellitaire avec Yvan Bourgnon le vendredi 8 septembre 2017 20h heure de Paris

Quel est ton état d'esprit actuellement ? Comment te sens-tu ?

J'ai passé une nuit terrible ! J'ai dû me sécuriser parce que j'affronte deux tempêtes successives, une qui est passée dans la nuit de jeudi 7 septembre et une autre qui arrive ce samedi 9. J'ai failli me retourner deux fois et devant moi (NDLR : au mouillage) deux autres bateaux – un voilier de 23 m et la barge qui transporte l'épave du bateau d'Amundsen (NDLR : Premier marin et explorateur polaire norvégien à franchir le passage du Nord-Ouest en 1905) ont failli me tomber dessus ! L'ancre du remorqueur a dérapé ce qui l'a dévié sur le voilier, qui lui-même a failli s'écraser contre moi…

Cette nuit j'ai encore eu 10 cm de neige, ce n'est pas les grandes chaleurs ! Et la tempête de samedi annonce des vents à 100 km/h ! J'appréhende parce que je suis à deux doigts de me retourner.

Mais la bonne nouvelle c'est que lundi (le 11 septembre), je devrais avoir de bonnes conditions de vents du nord pour traverser la mer de Baffin (environ 500 milles à parcourir). Si ça se passe bien, je devrais pouvoir terminer en une semaine et arriver à Nuuk (NDLR : sa destination finale) vers le 18/19 septembre. On m'avait pourtant déconseillé de traverser en septembre, mais avec ces nombreux jours d'attente, j'y suis obligé.

Il y a deux jours, quand j'ai appris que deux tempêtes venaient vers moi, après avoir passé déjà beaucoup de temps au mouillage, j'ai eu un gros coup au moral. Je venais de me sortir des glaces… ça m'a dézingué… Aujourd'hui j'ai un peu plus le moral même si j'appréhende ces moments. Pour l'instant, ma seule option c'est de rester au mouillage et de me protéger.

Comment tu occupes tes journées au mouillage ? Ce n'est pas trop long ?

Hier j'ai réussi à bricoler, j'ai réparé mon gennaker que j'avais déchiré. Mais c'est clairement long… Je lis un peu et je m'occupe entre 9 h et 18 h et après je me réfugie dans mon sac de couchage. C'est sûr que pour moi qui suis tout le temps actif, ça change. Du coup je gamberge, je pense aux tempêtes qui arrivent…

Je me dis que même si le remorqueur a dérapé avec une ancre qui doit peser une tonne, pour moi ça va être compliqué… Ma grande voile est roulée, j'ai 3 ris de prêt.

Comment tu vois la fin de ton parcours ?

Je pense que je devrais pouvoir prendre du plaisir dans cette fin d'étape. J'ai eu 300 fois l'occasion de taper un iceberg… Quand tu es fatigué, tu peux facilement taper un obstacle. Mais là j'ai clairement besoin de me faire plaisir. Dans mon tour du monde, le plaisir était énorme. Autant là ce n'était parfois pas évident, c'est beaucoup plus aléatoire.

Pour réussir mon défi, il faut que je coupe le cercle polaire. J'avais aussi une autre option dans le cas où je ne pourrais pas passer. Je pouvais descendre le long du Canada, mais avec la météo qui se présente lundi, je n'aurai pas à le faire.

Qu'est-ce qui te fait tenir ?

J'ai des petits coups de mous. Je me suis dit : "tu gardes ta ligne de conduite : être sérieux, raisonnable, naviguer en bon marin". J'ai eu 18 jours d'attente pour la glace. J'aurai pu me dire ça passe, mais j'ai refusé de prendre le risque. Je me suis autorisé à faire demi-tour, à me mettre à l'abri… Je ne vais pas faire n'importe quoi et me mettre en danger. C'est la clé de la réussite. J'ai peut-être 46 ans et je suis peut-être trop vieux pour ce genre de chose, mais à 30 ans je n'aurai pas pu. J'aurai été trop chien fou, pris trop de risques, je n'aurai pas été au bout… Aujourd'hui je sais doser ce mélange entre l'envie, la fougue et l'extrême. Je refuse de faire n'importe quoi.

Pourtant, il y a eu des moments où je me suis dit que ce n'était pas possible, que tout s'acharne contre toi ! Coté météo, cette année est catastrophique ! Je n'ai pas de soleil, donc mes panneaux solaires ne rechargent pas et je n'ai pas de pilote. J'ai barré quasiment 18 h par jour. Il y a la neige, la glace, la température négative, mais je fais avec.

Aujourd'hui, est-ce que tu penses que tu t'es mis la barre trop haute ?

C'est sûr que si on m'avait dit que le Passage du Nord-Ouest il faisait -5 degrés, qu'il y avait des tempêtes, de la neige… je pense que je n'y serais pas allé. Quand je pars en expédition comme ça, je ne veux pas tout savoir à l'avance et découvrir les choses sur place… Mais là clairement, c'est beaucoup !

Et le froid, le sommeil ?

C'est sûr que c'est une lutte incessante même dans mon sac de couchage, j'ai froid. Tout de suite, le soleil vient d'arriver, il fait encore -2 degrés, mais ça fait du bien. Ça faisait 10 jours que n'avait pas vu le soleil. J'ai des crevasses partout dans les mains… C'est une lutte physique, mais je ne me plains pas. Dans ma tête je m'étais préparé. Juste, je ne m'attendais pas à avoir autant d'obstacle. J'ai parfois des coups au moral, mais j'ai décidé de venir ici tout seul et je vais ressortir avec des images que je garderais toujours en tête.

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Didier Mahieu
Didier Mahieu
Un défi de folie....Bravo à cet immense navigateur.....la fin lui sera encore plus belle...
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