Convoyages en hiver : 5 questions à un skipper pro pour préparer son équipage et son navire

Darel est un skipper professionnel qui écume la Méditerranée en accompagnement et convoyage. Il nous explique les 5 points incontournables à vérifier avant de prendre la mer sur un voilier inconnu dans le cadre d'un convoyage au coeur de l'hiver.

Embarquer pour un convoyage en hiver, loin de la tranquillité estivale, c'est plonger dans une aventure où chaque instant exige une préparation rigoureuse et une vigilance accrue. Ces traversées, souvent rudes et imprévisibles, nécessitent une préparation minutieuse pour garantir la sécurité de l'équipage et du bateau. Nous avons interrogé Darel, un skipper expérimenté, habitué à braver les éléments hivernaux, sur les points clés à vérifier avant de larguer les amarres.

Portrait : Darel navigue en passionné depuis son enfance (dériveurs, aviron de mer, planche à voile...) et après 15 ans dans le secteur du recrutement, de la formation et de l'insertion il s'est reconverti au métier de marin en Marine marchande : "Je n'avais pas les moyens d'acheter un bateau alors j'en ai fait mon métier" dit-il. Depuis, il a pu embarquer pour différents armateurs : navettes à passagers, vieux gréements, ferries, pêche, ecole de voile et naviguer sur des navires emblématiques : le plus vieux navire français Le Belem, le voilier de grand croisière le Ponant, une transatlantique en Gunboat... Mais chaque navigation a son lot d'apprentissage et il faut rester attentif à chaque instant car "Il n'y a rien de plus terrible que la mer pour dompter un homme" comme le disait Homère dans L'Odyssée, VIII, 138 - IXe s.

Navire : "Votre meilleur allié mérite votre pleine attention"

"Avant de penser à la navigation, aux vagues ou au vent, commencez par vérifier votre bateau. Il doit être prêt à encaisser." Ces mots du skipper, qui a traversé plus d'une vingtaine de convoyages hivernaux, posent le cadre. Le navire devient un refuge, un allié, et chaque détail compte.

  • Planchers et coffre : "Soulevez tous les planchers et vérifiez ce qu'il y a dessous. Une fuite d'eau ou de gasoil peut passer inaperçue au port, mais devenir un vrai problème en mer. Prenez le temps de contrôler les cales, surtout autour des pompes et des réservoirs.
  • Pleins de gasoil et d'eau : "En hiver, mieux vaut être généreux avec les réserves. Avoir une bonne marge de sécurité, c'est s'offrir de la sérénité face à l'imprévu."
  • Moteur et niveau d'huile : "Pensez au moteur comme à votre joker. Même en voilier, en cas de pétole ou d'urgence, il peut vous sauver la mise. Vérifiez les niveaux d'huile, la courroie, et testez-le avant de quitter le port."
  • Gréement : Le skipper insiste sur l'inspection du gréement dormant et courant : "Une drisse usée ou un hauban affaibli peut devenir critique sous 30 nœuds de vent. Prenez une heure pour inspecter chaque élément."
  • Instruments et guindeau : "Aucun instrument n'est inutile en hiver. Vérifiez votre GPS, votre radar, et testez votre AIS." Enfin, ne négligez pas le guindeau : "Imaginez devoir mouiller en urgence en pleine nuit… sans guindeau."

Météo : "L'hiver ne pardonne pas les erreurs de lecture"

La météo devient l'arbitre de tout convoyage hivernal. "La moindre erreur dans l'interprétation des fichiers météo peut transformer une traversée en galère, voire en drame."

  • Anticipation et analyse : Le skipper conseille de ne pas se contenter des applications de base : "Croisez les informations entre plusieurs modèles météo." En hiver, les conditions changent vite, et il faut planifier avec souplesse.
  • Fenêtres météo : "En hiver, il vaut mieux attendre deux jours pour une bonne fenêtre que de risquer de se retrouver face à une dépression. Les vents de 40 nœuds ne sont pas des héros, ils sont des casseurs."
  • Écoute des locaux : Dans certains ports, les pêcheurs et plaisanciers locaux peuvent donner des conseils inestimables. "Ils connaissent les pièges du coin, comme ces zones où la houle se lève soudainement ou où le courant se renforce. Ne sous-estimez jamais leur expérience."

Passagers : "Un bon équipage fait toute la différence"

Que vos équipiers soient novices ou expérimentés, ils doivent être prêts, physiquement et mentalement. "Les passagers sont votre plus grande force, mais aussi votre plus grande faiblesse si vous ne les préparez pas correctement."

  • Santé : Le skipper insiste : "Pas de compromis sur la santé. Si quelqu'un tousse ou semble malade avant le départ, mieux vaut reporter. En hiver, une grippe en mer devient vite une galère."
  • Alcool et vigilance : "Pas d'équipier en ébriété, jamais. En mer, chaque seconde compte, et vous avez besoin de tout le monde à 100 %." Il recommande également d'avoir une trousse de secours bien garnie, avec des médicaments contre le mal de mer, qui peut surprendre même les plus robustes.
  • Cohésion d'équipage : "Briefer l'équipage avant de partir est essentiel. Expliquez le plan de navigation, les rôles de chacun, et ce qu'il faut faire en cas d'urgence. Une équipe bien informée est une équipe plus sereine."

Navigation : "Restez souple et préparez-vous à tout"

En hiver, même le plan de navigation le mieux pensé doit pouvoir évoluer. "Vous ne pouvez pas tracer une ligne droite sur une carte et espérer que tout se passe comme prévu."

  • Plan adaptable : "Préparez un itinéraire principal, mais aussi des plans B, voire C. Repérez les ports abris et les mouillages possibles en cas de coup dur."
  • Quarts bien organisés : En hiver, les nuits sont longues et les températures mordantes. "Assurez-vous que chaque équipier sache quand il doit prendre son quart et qu'il ait l'équipement nécessaire pour rester au chaud."
  • Cartes papier et outils traditionnels : "Même si vous avez un traceur GPS dernier cri, gardez toujours des cartes papier et un compas à bord. L'électronique peut vous lâcher au pire moment."

Le skipper conclut avec un sourire : "En hiver, la prudence n'est pas une option, c'est une obligation. Mais si vous êtes bien préparés, ces convoyages peuvent être les plus mémorables de votre vie. Imaginez-vous, à l'aube, contemplant un lever de soleil glacial sur une mer argentée, avec le sentiment d'avoir relevé un défi hors du commun. C'est dans ces instants que l'aventure maritime révèle toute sa grandeur."

Sécurité : "Quand tout va mal, c'est elle qui vous sauve"

L'équipement de sécurité est l'assurance-vie de l'équipage. En hiver, les conditions extrêmes augmentent les risques, et chaque minute compte en cas d'incident. Le skipper insiste : " Avant de partir, demandez-vous si vous êtes prêts à gérer une situation critique. "

  • Matériel à jour : Vérifiez la date de révision de votre radeau de survie. "Un radeau mal entretenu peut être inutilisable quand vous en avez besoin. Vérifiez aussi les brassières, les harnais et les lignes de vie. En hiver, personne ne devrait se déplacer sur le pont sans être attaché."
  • VHF et communications : Testez votre VHF et, si possible, emportez une balise EPIRB (balise de détresse) : "Si vous devez abandonner le navire, c'est cette petite chose qui pourra sauver votre vie." Une VHF portable de secours est également recommandée.
  • Lampes et visibilité : "En hiver, les jours sont courts et les nuits noires. Ayez des lampes frontales pour chaque équipier et un projecteur puissant pour les manœuvres de nuit."
  • Formation aux manœuvres d'urgence : "Faites un briefing sur les procédures de récupération d'homme à la mer. Chacun doit savoir quoi faire si quelqu'un tombe. En hiver, une personne dans l'eau froide a moins de 15 minutes avant l'hypothermie."

Le skipper conclut cette partie avec un rappel simple : "L'hiver ne pardonne pas. Préparez votre bateau, votre équipage et vous-même à tout ce qui pourrait arriver. Cette préparation vous apportera sérénité et confiance, même si tout se passe bien."

Convoyer en hiver : un défi à relever

Naviguer en hiver n'est pas une aventure à prendre à la légère. Entre conditions météo exigeantes, journées raccourcies et risques accrus, chaque étape demande une préparation minutieuse et une exécution sans faille. Pourtant, pour les skippers et leurs équipages, ces convoyages sont une occasion unique de mettre leurs compétences à l'épreuve et d'optimiser chaque choix de navigation.

Au final, ces missions hivernales, bien que rudes, renforcent l'expérience et l'efficacité de ceux qui les entreprennent.

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